Ecrit par L. Boumahrou |
La hausse des prix des hydrocarbures à la pompe au Maroc continue de susciter l’indignation auprès des faiseurs d’opinion et ce pour moult raisons. Certes la conjoncture internationale (guerre en Ukraine) y est pour quelque chose. Nonobstant, cette situation est la résultante des choix politiques mais aussi d’un manque d’une réelle volonté gouvernementale pour mettre de l’ordre dans un secteur aussi vital. Analyse de l’économiste Najib Akesbi.
Dans son dernier podcast, l’économiste Najib Akesbi, s’est penché sur le sujet des prix du carburant, l’inflation et la récession. L’économiste n’est pas allé de main morte et a dénoncé l’absence flagrante de la volonté du gouvernement à réformer ce secteur névralgique pour notre économie.
Le secteur souffre pourtant de plusieurs dysfonctionnements dont les conséquences sur l’économie et le citoyen s’amplifient dans le temps. « Les chocs pétroliers se sont succédé durant les 50 dernières années sans pour autant que le prix des hydrocarbures n’atteigne ce cap de plus de 14 DH/L. La question qui s’impose est qu’est-ce qui a réellement changé ? », s’est interrogé Najib Akesbi.
Ce qui a tout simplement changé c’est que le Maroc, en dehors de la conjoncture internationale, a été dépourvu des 2 mécanismes qui lui permettaient d’amorcer les chocs exogènes à savoir la raffinerie La Samir et le système de compensation. En effet, depuis 2015, date de l’arrêt de la raffinerie ainsi que celle de la libéralisation des hydrocarbures, le Maroc s’est retrouvé sans bouclier exposé à tous les risques liés à la fluctuation des prix.
Aujourd’hui, nous récoltons les fruits des politiques gouvernementales en matière de libéralisation d’un secteur vital dépourvues de mécanismes de régulation et de contrôle nécessaires pour garantir toutes les conditions d’un marché de libre concurrence.
« Tous les critères ont été réunis pour soumettre l’économie et le consommateur marocain aux lois des sociétés pétrolières », a déploré l’économiste en rappelant que les gains scandaleux (qu’il a qualifiés de rente) cumulés depuis 2015 (17 Mds de DH selon le rapport de la commission parlementaire entre 2016 et 2017 et plus de 45 Mds de DH à ce jour selon les experts de la Samir) sont dus à une situation de monopole et à une entente entre les opérateurs plutôt qu’à une concurrence saine et loyale.
« Nous sommes face à un secteur qui manque de transparence et pour lequel le gouvernement ne semble pas vouloir réformer », a-t-il martelé. L’économiste a tenu à rappeler que parmi les contradictions flagrantes du principe même de la libre concurrence celles de la fixation des prix chaque 15 jours par les opérateurs ainsi que les achats groupés. « Il s’agit de pratiques qui vont à l’encontre du principe de la libre concurrence que le Conseil de la Concurrence (CC) aurait tout simplement dû interdire », a précisé N. Akesbi.
L’économiste s’est d’ailleurs interrogé sur la part de responsabilité du CC qui refuse de se pencher sur le dossier des hydrocarbures tant que la réforme des lois encadrant le Conseil ainsi que la liberté des prix et de la concurrence ne s’achève pas.
« Et pourtant le CC intervient bel et bien dans tous les autres secteurs hormis celui des hydrocarbures », s’est indigné Akesbi. Aujourd’hui, avec la configuration actuelle du secteur des hydrocarbures, le Maroc se trouve dans une situation très fragile qui l’expose à un réel risque de pénurie d’hydrocarbures.
Rappelons que parmi les facteurs de fragilités, la gestion de stock de sécurité qui est alarmante. En effet avec 26 jours de stock alors que la réglementation exige 60 jours de stock, les pétroliers qui reçoivent une subvention de l’Etat (structure des prix) pour garantir ce stock, mettent en danger la souveraineté énergétique du pays. « Dans le cadre de la transparence, nous demandons à l’Etat de rendre publique la structure des prix des hydrocarbures », a appelé l’économiste.
Malheureusement, ces informations ne sont pas disponibles pour des raisons que nous ignorons et ce depuis 2015. Pourquoi le gouvernement refuse-t-il à divulguer de telles informations ?
Ceci dit, Najib Akesbi appelle les pouvoirs publics à prendre les choses en main en récupérant, de façon progressive, la souveraineté énergétique nationale, à restituer les mécanismes d’intervention de l’Etat pour garantir l’intérêt général.
Aussi et afin d’y faire face à cette situation, l’économiste exhorte les pouvoirs publics à prendre des mesures à court, moyen et long terme. Parmi les mesures urgentes et provisoires à entreprendre selon Akesbi pour « éteindre le feu », le plafonnement des prix et en cas de besoin le recours au soutien.
« Dans le contexte actuel, tous les acteurs doivent faire des sacrifices. D’une part l’Etat doit réduire provisoirement les taxes (bien que je ne sois pas très d’accord mais la conjoncture oblige). Et d’autre part les sociétés pétrolières qui ont énormément profité de cette libéralisation doivent également réduire leur marge de gain », précise Akesbi.
A moyen et long terme, il est impératif de construire un nouveau système plus efficient, plus équitable et plus transparent. Ceci requiert selon Akesbi la réouverture de la Samir qui est inévitable. Et ce sans omettre la restructuration du secteur, l’activation effective du Conseil de la concurrence, la lutte contre le monopole, la révision de la structure des prix qui est obsolète, la réforme de la Caisse de compensation…