Dans certains des nos articles précédents (voir l’article de septembre[1] et ceux qui y sont cités en référence), nous nous demandions pourquoi l’on ne retrouvait pas, à la pompe, l’impact qui aurait pu être attendu de la baisse tendancielle des cours du pétrole qui s’est déroulée entre mai 2022 et août 2023 et contribué ainsi à alerter le Conseil de la Concurrence qui s’est saisi de l’affaire.
Finalement, neuf compagnies distributrices de produits pétroliers du Maroc[2] suspectées d’entente commerciale ont accepté la procédure transactionnelle prévue à l’article 37 de la loi 104-12 pour les griefs retenus à leur encontre. Et, pour finir, elles-mêmes et leur organisation professionnelle, ont accepté une amende de plus de 1,8 Md de DH et auraient souscrit à « un ensemble d’engagements comportementaux… afin d’améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché des hydrocarbures à l’avenir, de prévenir les risques d’atteinte à la concurrence au bénéfice des consommateurs« . Nous suivons le prix pour voir si les distributeurs de combustibles ont bien adopté ce à quoi ils ont souscrit.
Le simple citoyen bâtit aussi son opinion sur de simples faits affectés par une part de subjectivité car la douleur de la hausse des prix du gasoil se ressent plus que le bénéfice d’une baisse :
- on a semblé plus prompt à imputer les hausses que les baisses de prix diffusés par les médias,
- les amplitudes des hausses ont toujours semblé plus élevées que les baisses.
La Figure 1 montre l’évolution :
- des différents cours moyens hebdomadaires internationaux de pétrole en dollars US (échelle bleue de gauche), tels qu’ils sont rapportés par un site de statistiques internationales[3]:
- Brent (bleu) : prix moyen de pétroles extraits de la Mer du Nord,
- OPEC (vert) : prix moyen de pétroles provenant des différents pays de l’OPEP,
- WTI (noir) : prix moyen de pétroles légers américains (West Texas Intermediate).
La Figure 1 montre aussi l’évolution du cours du Dirham face au Dollar US[4] (échelle rouge de droite).
Figure 1 Evolution des cours internationaux du pétrole et du cours du Dh face à l’US$
La Figure 1 met bien en évidence :
- la lente reprise des cours mondiaux après celle de l’économie « après » COVID (Octobre 2020),
- la hausse brutale générée par la crise en Ukraine (Janvier 2022),
- l’évolution du Dirham face au Dollar US est prise en considération « ab initio » puisque le Dh a quand même perdu 18% entre le printemps 2021 et l’automne 2022 avant de remonter à un cours « relativement stable » depuis le printemps 2023 à aujourd’hui.
Établissement d’une fourchette de prix « théorique » à la pompe
La méthodologie de calcul utilisée est basée sur une évolution retardée de 6 semaines des prix à la pompe par rapport aux cours du pétrole on trouvera plus de détails dans article de septembre 20241.
Une fois la « mise en phase » réalisée, les prix locaux du gasoil sont calculés par une multiplication par 0,01375 des cours du pétrole en Dirhams « décalés ». Ce multiplicateur est obtenu par analyse de la période où la structure des évolutions coïncidaient le mieux (03/2021 – 08/2022).
Ceci fait, ce « prix théorique » ne doit pas être considéré comme parfait et il y a lieu de définir une tolérance à l’écart entre le prix calculé et le prix effectivement constaté. Cette tolérance (9.6%) est établie à 2.6 fois la moyenne des écarts relatifs durant la même période où la structure des prix calculés et réels coïncident le mieux (03/21 – 08/22). Ce facteur 2.6 provient de l’hypothèse que la répartition statistique des écarts rend la coïncidence improbable (< 1%) dès que l’on s’écarte de 2.6 fois l’écart type.
Ainsi, la Figure 2 montre comment le prix moyen observé à la pompe l’évolution (courbe noire) évolue par rapport au dit intervalle de tolérance fixé à ±9.6% autour du prix calculé.
Figure 2 Prix calculés affectés d’une tolérance et ceux observés à la pompe (arrêtés au 20 Novembre)
CONCLUSION
Le très simple modèle de calcul des prix a correctement décrit les prix à la pompe jusqu’à fin 09/22 mais les « règles du jeu » qui prévalaient alors sont devenues caduques jusque vers fin 2023 et ce n’est pas un hasard si le Conseil de la Concurrence a décidé de verbaliser les distributeurs qui, au lieu de se livrer à une saine concurrence, avaient préféré augmenter leurs marges avec des ententes sur les prix. La subséquente à 09/23 a sans doute permis aux distributeurs de définir de nouveaux niveaux « d’acceptabilité » des prix qui leur ont permis d’augmenter leurs marges mais ça, seul l’avenir le dira. Ceci dit, même si les prix ne changent plus de façon synchrone, les différences sont si faibles qu’on peut se demander où est la concurrence.
On ne voit pas de « réduction des risques d’atteinte à la concurrence au bénéfice des consommateurs » puisque les prix du gasoil à la pompe restent dans la zone supérieure de l’intervalle de tolérance hachurée de la Figure 2 ce qui signifie qu’en moyenne, la formule de calcul des prix pratiquée par les distributeurs leur est plus favorable qu’avant septembre 2022 (leurs marges ont augmenté). Resteront-ils « raisonnables » ? La Figure 2 suggère que les prix devraient encore perdre quelques dizaines de centimes avant fin novembre 2024 mais descendront-ils sous la barre psychologique des 11,00 Dh/litre ?
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] A. Bennouna, « Plus raisonnables, les prix du gasoil évoluent tout de même dans le haut d’un intervalle de tolérance« , Webmagazine EcoActu, 05 Septembre 202, https://ecoactu.ma/plus-raisonnables-les-prix-du-gasoil-evoluent-tout-de-meme-dans-le-haut-dun-intervalle-de-tolerance/
[2] Afriquia, Vivo Ener. (Shell), Total, Petrom, Ola (Oil Lybia), Winxo, Petromin, Ziz, SDDC, Inov, Green Oil, Somap
[3] « Oil Prices« , The Source N°1 for Oil & Energy News, https://oilprice.com/oil-price-charts/#prices
[4] Site web de Bank Almaghrib, https://www.bkam.ma/Marches/Principaux-indicateurs/Marche-des-changes/Cours-de-change/Cours-de-reference