Interviewé par Lamiae Boumahrou I
Le recours aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle est inévitable dans tous les secteurs y compris celui de l’agriculture. Au Maroc, bien qu’il ait encore du chemin à parcourir, les agriculteurs adhèrent de plus en plus aux Agritech. Le point avec Faissal Sehbaoui, Directeur Général de AgriEdge qui opère au Maroc depuis 5 ans.
EcoActu.ma : L’importance du recours aux technologies dans le secteur agricole n’est plus à démontrer. Comment AgriEdge a-t-il accompagné l’émergence des AgriTech au Maroc mais également en Afrique ?
Faissal Sehbaoui : Les nouvelles technologies ont révolutionné plusieurs secteurs à commencer par le manufacturier, la finance ou encore la santé avec des objectifs d’optimisation des coûts, des rendements et de l’expérience client. Le caractère conservateur de l’agriculture a fait que l’adoption des nouvelles technologies par ce secteur a pris du retard partout dans le monde et plus particulièrement en Afrique. AgriEdge a commencé à parler AgriTech au Maroc en 2018, peu d’acteurs étaient sur le terrain parce qu’au-delà de la complexité technique de développer localement des solutions adaptées au contexte local, il y a de multiples défis à relever. Parmi ces défis : développer des solutions abordables pour l’agriculteur marocain et africain, établir une confiance avec des outils nouveaux et jusqu’au là méconnus du secteur, démontrer la viabilité et le retour sur investissement des solutions…
Nous nous sommes donnés une mission de développer une agriculture de précision adaptée avec ces défis et aussi de vulgariser les notions d’AgriTech via plusieurs initiatives dont notamment la Caravane AgriTech pour rapprocher les solutions AgriTech à l’agriculteur, le programme de Filaha Innovation Program pour créer une offre de service en AgriTech et le programme InFarmer pour habiliter des jeunes à devenir des agents AgriTech afin qu’ils participent dans le développement de ce secteur Maroc.
Quel bilan dressez-vous de ces 5 années d’activité au Maroc ?
5 années intenses où nous avons appris à mieux connaître l’agriculteur africain, cerner ses besoins et innover chaque jour pour y répondre. Cette connaissance de près est la base de notre bilan aujourd’hui. On est aux côtés de nos agriculteurs pour éclairer chaque décision quotidienne qu’ils prennent pour leurs fermes. Ce fût l’objectif, ça l’est encore dans des perspectives d’amélioration des rendements et de durabilité environnementale et économique.
Concrètement, durant ces 5 années, nous avons développé plusieurs services, visant à utiliser efficacement l’eau, AquaEdge, raisonner l’utilisation des fertilisants, FertiEdge, prédire les rendements agricoles, YieldEdge ou encore calculer l’empreinte carbone de son exploitation grâce à CarboEdge.
Ces services couvrent actuellement presque deux millions d’hectares et servent environ 90.000 agriculteurs dans 11 pays africains. Notre ambition est de doubler le nombre d’hectares couverts en exportant notre expertise vers d’autres continents.
En outre, nous avons organisé deux éditions des Agri Analytics days mobilisant chacune environ 300 participants, 15 arrêts de la caravane AgriTech touchant chacun une soixantaine d’agriculteurs, 5 éditions du Filaha Innovation Program mobilisant une vingtaine de porteurs d’idée AgriTech chacune et 6 arrêts de la formation InFarmer touchant chacun une dizaine de jeunes.
Dans quelle mesure les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle contribuent-elles à l’amélioration du rendement agricole Marocain ?
Ces outils permettent d’améliorer le rendement essentiellement par leur capacité à mettre à la disposition de l’agriculteur, d’une façon simple, toute la data nécessaire pour sa prise de décision. Des images satellites, des données météos, des cartes d’humidité… toutes ces données, compliquées qu’elles soient, se transforment grâce à de l’intelligence artificielle en information décisionnelle aidant grandement l’agriculteur à prendre la meilleure décision au bon moment.
Aujourd’hui les services de AgriEdge permettent aux producteurs de blé, par exemple, d’économiser jusqu’à 20% d’engrais azoté tout en améliorant leur rendement grain de 24%
Peuvent-elles atténuer les conséquences de la sécheresse qui menace de plus en plus le secteur agricole marocain ? Jusqu’à quel degré ?
En effet, elles peuvent atténuer les impacts de la sécheresse en permettant à l’agriculteur d’utiliser à bon escient chaque goutte d’eau dont il dispose. Le déficit de pluviométrie et l’épuisement de la nappe phréatique combiné aux coûts croissants de l’énergie font que l’irrigation est un poste de coûts important pour l’agriculteur. Notre solution AquaEdge permet d’économiser jusqu’à 30% d’eau. Cette économie d’eau a une grande valeur dans les moments de grandes chaleurs et en absence de pluies.
Les agriculteurs marocains sont-ils assez sensibilisés aux enjeux du digital dans le secteur agricole ?
Nous avons encore du chemin à faire dans ce sens à mon avis. Toutefois, depuis que nous avons commencé à proposer des solutions AgriTech au Maroc, nous constatons que l’adoption s’inscrit dans une tendance haussière. Aussi, il est à souligner que l’agriculteur marocain a de l’innovation dans son ADN. En effet, malgré qu’on soit dans des conditions climatiques pas très favorables, notre Royaume a un classement très avancé dans l’exportation de plusieurs produits agricoles. Je suis convaincu que ce gène d’innovation dont dispose l’agriculture marocaine accélèrera fortement l’adoption de l’AgriTech pour qu’il devient un des leviers stratégiques dans notre souveraineté alimentaire.
Quelles sont les ambitions d’AgriEdge à moyen et long terme au Maroc mais aussi en Afrique ?
Une seule ambition : positionner notre Pays dans le secteur AgriTech à échelle mondiale au même rang dans lequel il est dans le secteur agricole. La production agricole de notre Royaume parcourt le monde entier portant le génie de nos agriculteurs, nous souhaitons que nos services parcourent le même chemin pour exporter cette expertise.
Après cinq ans, cette expertise est déployée dans presque 2 millions d’hectares réparti dans 11 pays africains. Nous comptons doubler cette surface l’année prochaine et atteindre dans 5 années 20 millions d’hectares couvert tout en exportant nos services également vers d’autres continents.