Interviewée par Imane Bouhrara I
Baisse de rideau sur la 14e édition du Sidattes. L’occasion de faire le point sur le développement filière phœnicicole, épine dorsale du développement oasien. Mais surtout d’explorer les développement de la stratégie de l’ANDZOA, les opportunités et défis du développement des zones oasiens, le challenge de concilier développement durable et compétitivité économique… autant de point développés avec dans cet entretien avec Latifa Yaakoubi, Directrice générale de l’Agence Nationale pour le Développement des Zones Oasiennes et de l’Arganier (ANDZOA).
EcoActu.ma : Le rideau est baissé sur la 14ᵉ édition du SIDATTES qui s’est tenu a Erfoud du 29 octobre au 2 novembre. Pourquoi avoir choisi cette année la thématique de la gestion durable des ressources hydriques ?
Latifa Yaakoubi : Cette année, la priorité est la gestion durable des ressources hydriques, car les oasis marocaines subissent depuis de longues années à une pression croissante liée à la sécheresse et au changement climatique. Ce choix s’explique par la nécessité de préserver les équilibres écologiques, puisque les oasis constituent des écosystèmes résilients face à la désertification et des réservoirs de biodiversité. Il répond aussi à l’importance socio-économique de l’eau, pilier de la filière phœnicicole qui génère près de 60 % du revenu agricole dans ces territoires.
Au-delà des enjeux climatiques, ce thème valorise le savoir-faire ancestral et les pratiques locales qui ont permis la survie des oasis pendant des siècles. Les khettaras, galeries drainantes souterraines, illustrent cette ingénierie traditionnelle, complétée par des systèmes communautaires comme le tour d’eau et les bassins de rétention. Ces solutions, associées à la richesse de la biosphère oasienne, traduisent une approche intégrée où patrimoine, innovation et durabilité se conjuguent pour renforcer la résilience face aux défis actuels
À travers cette édition placée sous le thème «Gestion durable des ressources hydriques : base de développement du palmier dattier et des oasis », l’ANDZOA, en concertation avec le Ministère de l’Agriculture, de la pêche maritime et du développement rural et les partenaires territoriaux et institutionnels, souhaite promouvoir une réflexion collective sur la gouvernance de l’eau, l’optimisation de son usage et la valorisation des innovations technologiques et locales. Comme vous le savez, l’eau n’est pas seulement un intrant agricole, c’est en plus un capital environnemental, économique et social. Le SIDATTES 2025 a ambitionné ainsi de mobiliser l’ensemble des acteurs – institutionnels, scientifiques, économistes et associatifs – autour de solutions concrètes d’adaptation hydrique et de résilience oasienne.
Quelles ont-été les grandes nouveautés de cette 14ᵉ édition par rapport aux précédentes ?
La 14e édition du Sidattes marque une avancée significative pour la filière phœnicicole et le développement des zones oasiennes. Elle s’est distinguée par une production record de 160.000 tonnes de dattes, soit une hausse de 55 % par rapport à l’année précédente, et par l’organisation d’un Forum de l’investissement dédié à l’investissement responsable dans les oasis. Une journée scientifique a réuni des institutions de référence telles que l’INRA, l’ANDZOA, la FAO et l’ICARDA, confirmant la dimension recherche et développement de l’événement. Le salon a également innové au niveau du contenu des pôles d’exposition (produits du terroir, agrofournitures, machinisme, élevage) et de l’espace enfant. Avec plus de 220 exposants, la participation de 9 pays étrangers, 94.646 visiteurs et un chiffre d’affaires dépassant 38 MDH.
Au-delà des performances économiques, cette édition a mis en lumière l’entrepreneuriat des jeunes des zones oasiennes : 8 prix pour les meilleurs jeunes entrepreneurs, à travers la remise de prix d’encouragement et de distinction. Parmi les récompenses attribuées figurent : des prix honorifiques, une distinction pour la participation étrangère (Émirats arabes unis, Royaume d’Arabie saoudite), 4 prix pour les meilleurs stands de dattes dans les quatre régions participantes, un prix pour le meilleur stand de produits du terroir, ainsi que 22 prix pour les meilleures unités de production de dattes. Ces distinctions ont salué des projets innovants dans la transformation des dattes, la valorisation des produits locaux et le développement de l’économie circulaire, confirmant l’engagement du Sidattes en faveur d’un modèle de développement inclusif et durable.
Pour les enfants de cette région un bel espace ludique et éducatif a été aménagé pour sensibiliser les enfants à la préservation des écosystèmes oasiens. L’espace a connu un grand flux et a suscité la curiosité de enfants envers les défis des changements climatique et de la préservation de la nature.
Grace aux différents espaces, le salon amis en lumière la richesse culturelle et patrimoniale des oasis à travers des concours de dattes, des animations artistiques et des soirées thématiques, consolidant ainsi son rôle de carrefour entre patrimoine, tradition, innovation, résilience et durabilité.
Quelle suite l’ANDZOA donne-t-elle aux différentes recommandations qui sont issues des travaux du Salon ?
A L’ANDZOA, nous accordons une grande importance au suivi des recommandations du SIDATTES depuis plusieurs éditions, que nous traduisons en actions concrètes à travers une stratégie intégrée qui préserve l’équilibre entre développement économique, protection de l’environnement et amélioration des conditions de vie des populations. Un mécanisme de capitalisation a été mis en place puisque toutes les propositions pertinentes sont analysées et intégrées dans nos programmes d’action.
L’agence a engagé avec ces partenaires des programmes structurants pour la mobilisation des ressources hydriques non conventionnelles, la réutilisation des eaux usées traitées, la recharge artificielle des nappes et la valorisation des eaux pluviales. Plus de 102 ouvrages de recharge artificielle et 125 ouvrages de collecte des eaux pluviales ont été réalisés dans les zones d’intervention de l’ANDZOA, représentant une capacité de plus de 31 millions de m³. Ces efforts s’accompagnent de la promotion de l’irrigation économe et de l’utilisation de l’énergie solaire dans les exploitations agricoles.
Parallèlement, l’ANDZOA met en œuvre un plan d’action 2024-2026 axé sur la santé, l’éducation, l’entrepreneuriat rural et la préservation des oasis. Entre 2020 et 2025, nous avons financé 976 projets générateurs de revenus, soutenu 427 coopératives et 469 très petites entreprises (TPE), créant ainsi plus de 4.400 emplois permanents. La réhabilitation des palmeraies traditionnelles, la lutte contre les incendies et les inondations, ainsi que la valorisation des produits du terroir, sont au cœur de ses interventions. Cette approche globale vise à renforcer la résilience des territoires oasiens face aux défis climatiques et socio-économiques.
Nous soutenons également la recherche appliquée sur des variétés de palmier plus résistantes à la sécheresse et aux maladies. Ainsi, le SIDATTES dépasse le rôle de simple vitrine pour devenir un véritable laboratoire de solutions concrètes dont l’ANDZOA assure le suivi et la mise en œuvre.
À cette occasion, nous exprimons nos sincères remerciements au ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts pour son appui constant et son engagement aux côtés de l’ANDZOA dans la valorisation des territoires oasiens.
Nous réaffirmons également notre attachement aux Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, exprimées dans Son discours d’ouverture du Parlement :« Les zones montagneuses, les oasis, le littoral et les espaces ruraux ne sont plus des marges : ils deviennent les nouvelles centralités d’un Maroc équilibré, porteurs d’un potentiel à reconnaître, relier et valoriser »
Le palmier dattier est souvent présenté comme l’épine dorsale du développement oasien. Comment se porte aujourd’hui la filière phoenicicole ?
La filière phœnicicole demeure un pilier stratégique pour les zones oasiennes, contribuant à 60 % du revenu agricole et générant près de 2 millions d’emplois. Malgré les sécheresses, elle a enregistré une hausse de production de 77 % entre 2008 et 2025, grâce aux stratégies Plan Maroc Vert et Génération Green. Le contrat-programme 2021-2030, doté de 7,5 milliards de dirhams, vise à planter 5 millions de palmiers, moderniser les circuits de distribution, renforcer la traçabilité et développer la transformation locale pour diversifier les usages des dattes.
La filière se porte relativement bien. Pour la campagne 2025-2026, la production nationale de dattes est estimée à plus de 160.000 tonnes, soit une hausse de près de 55 % par rapport à la saison précédente. Depuis le lancement du contrat-programme, plus de 399.000 palmiers ont été plantés dans les oasis traditionnelles et 370 000 hors oasis
Cependant, la filière reste confrontée à des défis majeurs : maladies comme l’El Bayoud, sécheresse persistante, faible exportation et dépendance aux importations. Pour y faire face, l’ANDZOA mise sur la réhabilitation écologique des oasis, le pompage solaire, la transition énergétique et la coopération scientifique avec des partenaires tels que l’INRA, l’UM6P et la FAO. Cette stratégie combine innovation technologique et savoir-faire traditionnel.
En janvier 2025, vous avez présenté la stratégie de l’ANDZOA à horizon 2030. Quelles avancées concrètes ont été réalisées depuis ?
Depuis cette présentation, plusieurs actions structurantes ont été engagées. Près de 1,2 Md de DH ont été mobilisés en 2024-2025, dont 421 millions provenant du budget propre de l’Agence. Ces fonds ont permis de lancer de nombreuses conventions avec les ministères et les collectivités.
Les priorités sont claires : 504 MDH dédiés au bien-être social, 543 MDH pour renforcer la résilience climatique, et 157 MDH pour la diversification économique à travers des filières à forte valeur ajoutée. À l’échelle internationale, plusieurs projets structurants sont en cours notamment le « DARED », financé par le Fonds Vert pour le Climat, pour le développement de l’Arganiculture, le « PROGEDOM », qui renforce la résilience des oasis et améliore les moyens de subsistance de 37.000 habitants ; et l’« ESMAB », financé par l’Union européenne, qui promeut la coopération régionale sur la gestion durable de l’eau, de l’énergie et de l’alimentation.
Ces réalisations traduisent la mise en œuvre concrète de notre stratégie 2030, fondée sur la durabilité, l’équité territoriale et l’innovation. Notre ambition reste de faire des oasis marocaines des laboratoires de durabilité, conciliant patrimoine naturel et développement inclusif et où la recherche scientifique se combine à l’action pour un avenir meilleur de nos enfants.



