« Tant que le potentiel des jeunes ne sera pas exploité de manière productive, ni eux ni la société ne pourront prétendre à un avenir satisfaisant…A l’évidence, offrir du travail décent aux jeunes et mettre ainsi fin à la crise de l’emploi des jeunes est l’un des principaux enjeux de notre époque. » Juan Somavia, Ex-Directeur général du BIT
Ces derniers jours, on a assisté à une inflation de cérémonies déclarant la création de centres de formation et/ou des centres universitaires dans les villes des provinces de Sud. Si cette tendance, qui a été objet de plusieurs revendications des citoyens de ces régions, est louable et mérite d’être saluée, toutefois plusieurs questions se posent sur l’utilité, l’efficacité et l’opportunité de tels choix dans des régions caractérisées par une quasi absence de secteur privé et d’opportunités d’emploi et un taux de chômage le plus élevé au niveau national.
- Les provinces de Sud : Une croissance exceptionnelle sans impact sur l’emploi
Nul ne peut ignorer l’effort gigantesque consenti par les pouvoirs publics pour le développement économique et social des provinces de Sud. En fait, les chiffres de l’investissement public en témoignent avec 3,9% de l’investissement du Budget général et 3% de celui des établissements publics en 2019 (MEFRA, 2019). Premier investisseur et premier employeur dans les provinces du Sud, l’Etat a joué un rôle structurant dans la mise en place des infrastructures, dans l’accès effectif des citoyens aux services essentiels et dans la lutte contre la pauvreté selon le CESE.
Le tableau suivant résume les principaux indicateurs affichés par ces provinces :
Source : Profils régionaux, Ministère EFRA, Décembre 2019
Selon le Chef de Gouvernement lors de son dernier oral mensuel au parlement, le programme de développement des provinces du sud comporte des contrats-programme pour la réalisation de plus de 700 projets, pour lesquels une enveloppe globale de 77 MMDH a été allouée, avant d’être, portée à 85 MMDH par la suite.
Parmi les projets programmés à cet effet, figurent de grands projets structurants, notamment la voie express Tiznit-Dakhla sur 1.055 km, (10 MMDH), le programme industriel « Phosboucraa » à Laâyoune (17,5 MMDH) ainsi que le port Dakhla Atlantique (10 MMDH).
Cependant, tous les efforts consentis n’ont pas eu d’impact positif sur la création de l’emploi et surtout celui des jeunes et des diplômés plus particulièrement. qui constituent une grande partie de la population qui est à plus de 96% urbaine.
Ainsi, sur les 20 dernières années et selon les données de l’HCP, le taux de chômage global dans les provinces de sud dépassait largement celui enregistré au niveau national. En effet, en moyenne il le dépasse par plus 72% (plus 100% en 2006). Le taux le plus bas a été enregistré en 2010 (11.40 contre 9.10 au niveau national) cela a coïncidé avec la compagne nationale de recrutement direct dans la fonction publique au profit des diplômés chômeurs ayant un diplôme supérieur.
Le graphique ci-après donne l’évolution du taux de chômage dans les provinces de sud comparativement à celui enregistré au niveau nation entre 1999 et 2019
Source HCP
- Une insertion par la formation : Formé n’est pas employé
Interrogés sur leurs motivations pour le choix d’un tel ou tel établissement ou filière de formation malgré leurs niveaux de formation ou le nombre diplômes qu’ils ont obtenus, un bon nombre de jeunes des provinces de sud en formation vous répondent « pour ne pas rester chez soi sans rien faire ». Un jeune au chômage ou inactif est nettement plus inquiet que celui en emploi ou, dans une moindre mesure, en formation. La formation est donc plutôt vécue, toutes choses égales par ailleurs, comme un investissement rassurant pour l’avenir professionnel, tandis que l’inactivité, qu’elle soit voulue ou non, est ressentie comme un éloignement de l’emploi. ( CÉREQ BREF N° 361, 2018).
Aux provinces de Sud se former, n’importe où ou comment, est le seul moyen pour pallier à la problématique du chômage qui atteint des taux records dans la région avec plus de 16% contre 9% comme moyenne nationale. Ce choix raisonné est motivé par l’absence d’un tissu économique formel, fort et diversifié pour accueillir le nombre accru des jeunes lauréats de différentes spécialités et écoles malgré les promesses, non tenues, du secteur privé à travers la CGEM qui a annoncé en 2015 la création de 10.300 emplois à travers 59 projets à réaliser pour un montant de 5,4 milliards de dirhams !!!.
Cette orientation politique au modèle des études longues et de l’inflation des établissements de formation ne saurait -elle pas une simple fuite en avant provoquée par la politique formation supérieure et professionnelle de ces dernières années, et un pur calcul utilitariste face à la menace du chômage. Toutefois il ne s’agit pas seulement de former, d’attirer ou de retenir des étudiants, mais aussi de capter des ressources car la “tête d’étudiant” reste l’unité de mesure du système de financement.
Les créations des universités et des diplômes sont très souvent guidées par un même slogan : professionnaliser. Ce qui se traduit par l’intégration des besoins exprimés par l’environnement socioéconomique local. Toutefois, deux éléments rendent difficile, voire impossible, l’atteinte de cet objectif. Primo, les établissements ne disposent pas de moyens permettant d’évaluer la réalité de la demande et son évolution future, même dans un avenir proche. Quand on fait état de l’existence de cette demande, cette dernière reste plus présumée que mesurée.
De plus, les établissements de formation et les universités ne disposent ni du temps ni des compétences nécessaires pour se faire une opinion sur ce point. Secondo, la reconnaissance des besoins extérieurs est désormais légitime et tend à évincer les critères de qualité exclusivement académiques fondés sur la valeur intrinsèque des enseignements. Cette reconnaissance est devenue comme un argument plus aisé à mobiliser que les établissements ne peuvent évaluer si la demande est pertinente et tangible. (S. MIGNOT-GÉRARD ET C. MUSSELIN 2001/2).
La thèse de l’inflation « formative » réduit implicitement la valeur des diplômes au prix que l’état actuel du marché du travail leur impose à l’embauche. La classification des emplois est une chose, l’usage que les employeurs font dans ces emplois des capacités attestées par les diplômes en est une autre.
Nous sommes actuellement dans l’impossibilité de stopper cette inflation et de lui opposer des critères d’évaluation et de sélection légitimes et pertinents permettant d’exercer une action régulatrice.
Il est fort clair que nos décideurs ont du mal à se débarrasser de l’illusion selon laquelle les diplômes pourraient se multiplier sans que leur relation à l’emploi n’évolue profondément. Ce qui nous poussent à crier voix haute que notre jeunesse au Sud comme partout au Maroc a besoin d’une reconnaissance et de trouver sa dignité et ce à travers un emploi décent .
La solution est là ..elle a été clairement annoncer par sa Majesté dans son Discours, le Vendredi 13 Octobre 2017 devant les membres des deux Chambres du Parlement : « Aujourd’hui, les Marocains veulent que leurs enfants bénéficient d’un………enseignement de qualité qui leur permette d’accéder au marché du travail, et de s’y insérer aisément, et qui contribue à la promotion individuelle et collective. Et non un enseignement qui fonctionne comme une machine à fabriquer des légions de diplômés chômeurs ».
Par Mohamed Oueld Lfadel EZZAHOU, mezzhou@yahoo.fr
1 comment
La description et lanalyse sont pertinentes. En effet c’est tout un système qu’il faudrait prendre en considération : jeunesse, formation, emploi, planification, embauche, investissements, institutions…
Abbassi Mustafa