Quels seront les relais mis en place après le 30 juin date qui signe la fin des aides aux entreprises et aux ménages ? Quels sont les contours du plan de relance ? Où en est la Loi de Finances rectificative ? Quid des secteurs sociaux, des Ramedistes et non-Ramedistes ? Et surtout où en sommes-nous de tous ces chantiers enclenchés d’un coup ?
A quelques encablures du 30 juin, date d’échéance des principales mesures d’aides aux entreprises et aux particuliers, le Maroc devra parvenir d’une seule foulée à mettre en œuvre le plan de relance économique qui doit couvrir une période d’une année et demi et dont la mise en œuvre est liée à deux autres chantiers majeurs que sont la Loi de Finances rectificative et le PLF 2021.
De mémoire, et sans risquer de se tromper, jamais un Exécutif n’a eu autant à travailler en un laps de temps réduit que celui-là. Et c’est loin d’être fini. Toute la politique générale est appelée au changement et à l’adaptation à un des contextes les plus contraignants, et la politique budgétaire qui va avec… tout en gardant l’œil sur la pandémie et le risque d’une deuxième vague.
En effet, les entreprises en activité et celles en reprise d’activité sont à l’expectative du plan de relance économique, et ses déclinaisons sectorielles, censé atténuer les effets de la crise sanitaire sur l’économie nationale, aider les secteurs les plus sinistrés à redémarrer la machine et surtout sauvegarder les emplois.
Les chantiers sociaux sont plus que jamais érigés en priorité, le Covid-19 ayant démontré le coût du non achèvement des principales réformes liées à la couverture sociale et aux mécanismes d’aide ciblée.
Les contours de l’après 30 juin… LFR 2020
Selon des sources concordantes, le projet de Loi de Finances rectificative (LFR) est finalisé par la direction du Budget. Ce texte est un impératif pour les allocations budgétaires aux différents axes du plan de relance, en prenant en considération toutes les répercussions du Covid-19 sur l’économie nationale et pression récessive qui en résulte.
Cette LFR doit répondre à trois impératifs, tels qu’annoncés par le chef de gouvernement. D’abord des mesures d’urgence pour sauvegarder le pouvoir d’achat des ménages et soutenir la reprise des activités économiques. Faudra-t-il s’attendre à ce que le gouvernement revoie les taux de l’IR, de l’IS et la TVA voire même privilégier les impôts directs qui tiennent plus compte du revenu de chacun dans un contexte d’amenuisement des recettes fiscales ?
A ce jour rien ne filtre sur les mesures contenues dans cette première mouture de projet de Loi de Finances rectificative avant qu’elle ne soit adoptée en Conseil des ministres présidée par le Roi.
Le deuxième impératif de cette LFR est de renforcer les budgets des secteurs prioritaires identifiés lors de cette crise sanitaire que sont l’enseignement et la Santé. D’ailleurs, la circulaire sur les dépenses publiques, qui a été signée ce mardi 14 avril à l’issue de la réunion du Comité de veille économique, a balisé le terrain dans ce sens.
Et enfin, la révision du déficit à l’heure même où le contexte de l’élaboration des hypothèses de la LFR est empreint de fortes incertitudes et hostile aux ambitions de relance. Le déficit du compte courant devrait se creuser en 2020 à 10,3% du PIB avant de s’alléger à 5,8% en 2021, les exportations connaîtraient un repli de 15,8% en 2020, les recettes de voyage et les transferts des MRE reculeraient respectivement de 60% et de 25% en 2020 avant de progresser de 60% et de 5,2% en 2021…
Le contexte actuel est marqué par une régression des entrées d’IDE à 1,5% du PIB en 2020 avant de retrouver leur niveau tendanciel de 3,2% du PIB en 2021.
A moyen terme, sur la base des estimations disponibles, le déficit budgétaire, hors privatisation, devrait s’aggraver de 4,1% du PIB en 2019 à 7,6% en 2020 avant de s’atténuer à 5% en 2021. Dans ces conditions, l’endettement du Trésor devrait augmenter, passant de 65,0% du PIB en 2019 à 75,3% en 2020 et à 75,4% en 2021.
Sur les cinq premiers mois de 2020, les recettes ordinaires ont diminué de 10%, impactées particulièrement par le recul des rentrées fiscales. Enfin, le ratio de la dette publique totale devrait s’accentuer, passant de 80,5% du PIB en 2019, à 91,7% en 2020, avant de reculer légèrement à 91,1% du PIB en 2021.
Et ce n’est pas tout. Même la note de cadrage 2021 doit intervenir plutôt que prévu et tenir compte du plan de relance puisqu’il s’étale jusqu’à fin 2021.
Le plan de relance bute-t-il ?
La LFR est une condition sine qua non pour le déclenchement du plan de relance, notamment pour fixer les allocations budgétaires à chaque volet de ce plan, qui est toujours en discussion et dont les contours ne sont pas totalement précis.
Si ce n’est les réponses du Chef de gouvernement devant les parlementaires qui dressent les grandes lignes de ce plan que l’Etat soutienne à travers le système de garantie et une offre d’assistance à la relance financée par l’Etat à hauteur de 80%.
Un intérêt particulier est accordé à l’accompagnement des établissements et entreprises publiques pour régler leurs fournisseurs ce qui ne manquera pas d’alléger les problèmes de trésorerie des prestataires.
Ce plan table sur le partenariat public-privé pour maintenir et stabiliser les investissements publics et les entreprises d’importance systémique et celles œuvrant dans des secteurs stratégiques pour l’économie nationale et qui devraient bénéficier d’un soutien pour encourager la production et la dynamique économique.
Le chef de gouvernement annonce dans la foulée le projet de création d’un fonds d’investissement public pour soutenir la dynamique économique et la création d’emploi mais sans plus de détails. Serait-ce un projet de banque publique, auquel cas il faudrait éviter de reproduire le scénario de la BNDE ? Ou encore s’agira-t-il d’un fonds souverain qui prendrait le relais du Fonds spécial de gestion de la crise liée au Covid-19, auquel cas, il faudra penser aux sources de financement, par mobilisation de l’épargne ou par affectation des recettes des exportations de produits comme les phosphates ?
Une réunion du Comité de veille économique, disparu des radars, devrait se tenir la semaine prochaine pour accélérer ce chantier de relance qui doit donner les grandes orientations de l’économie nationale. Le dispositif financier, notamment mis en place par la CCG, a démarré ce 15 juin.
Mais, des mesures plus importantes sont en négociation et impliquent plusieurs parties prenantes, dont les syndicats, ainsi que des arbitrages s’avèrent nécessaires sur les secteurs les plus prioritaires et sur les moyens à mettre en œuvre pour les aider à se remettre sur pied.
Sans oublier, le secteur privé, qui pour une économie de marché est toujours et encore plus aujourd’hui fourré dans les jupons de l’Etat, a établi un cahier revendicatif très étoffé alors que l’Etat dispose d’une faible marge de manœuvre dans ce contexte hostile.
Mais rien n’est encore figé puisque le chef de gouvernement a reçu 23 mémorandums au sujet de ce plan de relance et qui sont encore en phase d’étude, comme il l’a annoncé le 16 juin au Parlement.
Filets sociaux, paix sociale
A ce jour, dans le cadre de la mesure de reports d’échéances de crédit, près de 491.500 demandes ont été approuvées à fin mai dont 94% au profit des particuliers et 6% des entreprises.
L’indemnité forfaitaire a profité à 950.000 salariés en arrêt provisoire de travail en avril. Et plus de 2,8 millions de ménages «Ramedistes» et près de 2,6 millions «non Ramedistes» ont bénéficié du soutien financier dans le cadre de l’opération «Tadamon», menée sous la supervision de Bank Al-Maghrib.
Ces mesures qui concernent les mois d’avril, mai et juin, couvrent la période allant jusqu’au 30 juin 2020. Qu’adviendra-t-il de tous ces gens (les affiliés de la CNSS dans une moindre mesure comparativement aux autres catégories, avec la reprise de l’activité) ?
Tout prête à croire qu’il n’y aura pas de rallonge de ces mesures financées par le Fonds Covid-19. D’autant que sur les perspectives d’avenir le chef de gouvernement a plus mis l’accent sur la poursuite de la mise en œuvre du projet de la politique publique intégrée pour la protection sociale 2020-2030 qui repose sur deux principaux piliers que sont le mécanisme d’assurance sociale et celui d’assistance sociale.
Ce dernier pilier revêt une importance cruciale car il concerne les catégories les plus vulnérables. Se pose dès lors la question de savoir si les dispositions du projet de loi 72.18, adopté en commission de l’intérieur à la Chambre des conseillers le 11 juin, peuvent-elles être mises en œuvre dans ce contexte d’urgence ? Notamment la création de l’agence nationale des registres et un registre social unique qui permet un meilleur ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social.
Le ministère de l’Intérieur prend ce sujet à bras le corps. Mais si l’opération Tadamon n’est pas reconduite, il devra capitaliser sur le circuit mis en place pour que les bénéficiaires de l’appui social puissent continuer à en profiter en attendant que la nouvelle entité voie le jour.
En somme, la crise a mis un coup d’accélérateur sans précédent au train de réformes mais elle implique un raz-de-marée tout aussi spectaculaire. Et l’heure tourne…