« Être obnubilé- affirme Olivier Blanchard-, par la réduction de la aux prix de dépenses d’infrastructure réduites ou du chômage plus élevé est une erreur »
« A l’usage, les idées se valorisent indûment ». A survoler les commentaires médiatiques ou politiques des évolutions de la dette publique, on songe immanquablement à cette assertion de Bergson. En invoquant à satiété des poncifs, des images et des chiffres, ces commentaires en viennent à cautionner des propos dépourvus de fondements qui, faute de débat, passent pour des évidences.
Il en ainsi de l’affirmation, « l’endettement de l’Etat devient insoutenable » parce qu’il alourdit le fardeau intergénérationnel en excédant le seuil de 60% du produit intérieur brut. Quoi que largement partagée, cette affirmation prête le flanc à la critique à un triple titre. En premier lieu, l’adoption de ce seuil comme norme de discipline budgétaire n’est aucunement liée à des conditions de soutenabilité spécifiques à l’économie marocaine. Il s’agit bel et bien d’un critère issu des limites imposées aux déficits et aux dettes dans le cadre du processus de convergence du Traité de Maastricht et puis par le Pacte de stabilité et de croissance. Les 60% sont le ratio retenu dans la détermination des règles de gestion des finances publiques. La stabilisation de la dette à ce niveau requiert la croissance de celle-ci au même rythme que le PIB :
B et Y sont, respectivement, la dette et le revenu et ΔB et ΔY leur variation.
En supposant que le déficit public, D, est financé exclusivement par la dette et en divisant les deux termes de l’égalité par Y, on obtient : d = gb
Où d est le taux du déficit public, g le taux de croissance de l’économie et b le ratio de la dette.
Sous l’hypothèse d’un taux de croissance nominale à 5%, le solde budgétaire nécessaire à la stabilisation de l’endettement à 60% est de l’ordre de 3%.
C’est à partir de données propres à l’économie allemande que ces calculs ont été effectués en vue de définir la contrainte du déficit public et les pré conditions du passage à la monnaie unique. Il ne s’agit donc pas de critères déduits d’une évaluation de la soutenabilité requise au sein d’une union monétaire. Par construction, ils sont arbitraires et a fortiori pour les autres pays.
En second lieu, le décideur de la politique économique au Maroc a opté, depuis deux décennies, pour les mêmes chiffres au titre des règles des actions budgétaires. A leur appui, il n’use pas de justification autre que rhétorique. Ainsi, l’exemple de l’Union européenne est mis en avant pour illustrer la pertinence de la même quantification du ratio de la dette et du taux du déficit public. Qu’on se rappelle la déclaration souvent proférée au cours des années 2000 lors de la présentation des performances de l’économie : « Le Maroc satisfait aux critères de Maastricht ». Enfin, la signification du ratio dette/PIB n’échappe pas à l’ambiguïté. Cet indicateur compare un stock, la totalité des emprunts que l’Etat doit rembourser, à un flux annuel de richesse. Affirmer qu’un endettement supérieur à 60% est insoutenable revient à considérer que l’Etat doit honorer toutes ses échéances en un an en ponctionnant sur les revenus créés. On ne saurait s’en tenir à ce ratio pour juger de la soutenabilité. Celle-ci dépend à la fois de la structure de la dette (interne/externe), de l’ampleur de l’endettement privé, du comportement du système monétaire et financier, de la croissance, etc. Il n’y a pas, par conséquent, un quelconque critère absolu.
Compte tenu de ces limites, Olivier Blanchard, soutient qu’« être obnubilé par la réduction de la dette, aux prix de dépenses d’infrastructure réduites ou du chômage plus élevé est une erreur », (Grands débats de l’économie, Le point Références, p. 26). L’ancien économiste en chef du FMI suggère l’option en faveur du recours au rapport entre service de la dette et PIB.
Au total, le jugement sur la dette publique à l’aune du seuil des 60% n’apparaît pas fondé. La faveur dont il bénéficie est consécutive à la gouvernance par le nombre, laquelle semble annihiler le débat et favoriser, selon Alain Desrosières, le chiffre comme instrument de contrôle et non d’analyse.
Par RédouaneTaouil
Professeur agrégé des universités