Ecrit par Imane Bouhrara I
Avec deux travailleurs sur trois dans l’informel, les ambitions du Maroc d’emprunter une trajectoire de croissance forte et inclusive sont quasiment réduites à néant. En effet, la transformation structurelle de l’économie qui aspire rejoindre les pays émergents avec de forts taux de croissance, butte sur l’informel. Une fatalité ?
En général, les années de vaches maigres sont celles où l’on va s’attarder et décortiquer plus les goulots d’étranglement de l’économie marocaine et leur incidence sur l’inclusion sociale et la prospérité de la société.
Et autant dire que l’année 2020 a mis à nu les dysfonctionnements structurels de l’économie marocaine, ceux-là même que nous traînons depuis plusieurs décennies et qui, avec la pandémie se sont amplifiés.
Le cas de l’emploi informel, qui avait posé une sérieuse colle pour le CVE (Comité de veille économique), pour la distribution des aides financières du fonds Covid à ces travailleurs ne disposant d’aucun filet social. Ils étaient d’ailleurs les derniers à profiter de ces aides comparativement aux travailleurs formels.
L’informel a posé aussi des difficultés pour mesurer l’étendue des dégâts de la pandémie sur l’économie notamment celle souterraine et sur les emplois. Au-delà de la pandémie, l’informel estimé aux alentours de 20 % du PIB, a continué à jouer son rôle de goulot d’étranglement de l’économie mais aussi de la relance, avec des projections de croissance qui ne dépassent guerre les 3%.
En effet, en l’absence d’une stratégie de lutte frontale et intégrée contre l’économie souterraine, la prédominance de l’économie informelle a montré lors de la pandémie le manque d’accès à la couverture sociale pour une part significative des travailleurs et des ménages ce qui limite l’efficacité des systèmes de protection sociale et leur capacité à réduire les inégalités. Les travailleurs sont ainsi bafoués dans leurs droits sociaux les plus élémentaires mais aussi des conditions du travail. Ce qui est d’ailleurs éclate au grand jour lorsque survient un drame dans les unités de productions informelles.
Après la pandémie, l’informel oppose de grands obstacles à la productivité et à la croissance. En effet selon la Banque mondiale, l’emploi informel se concentre fortement dans les petites entreprises, ce qui peut constituer un frein aux économies d’échelle, à la productivité et à la croissance économique.
En effet, un récent rapport de la Banque mondiale, l’emploi informel est de 77,3% au Maroc, contre 62,5 % en Égypte et 43,9 % en Tunisie. Ce nouveau rapport de la Banque mondiale permet de mesurer et de comparer l’ampleur du phénomène de l’informel au Maroc comparativement à l’Égypte et la Tunisie mais aussi le manque à gagner en termes de croissance par rapport à des pays émergents notamment en Asie.
Sans oublier, l’iniquité fiscale que constitue l’informel avec des entreprises formelles, ce qui se traduit par moins de recettes publiques collectées pour financer la fourniture de biens et de services publics.
Certes la lutte contre l’informel et son intégration dans le formel existe bien en diagonale dans le discours politique mais l’action demeure limitée et dispersée.
Selon Youssef Guerraoui Filali, Président du Centre Marocain pour la Gouvernance et le Management, il faut mettre en place une véritable politique publique d’insertion des unités informelles dans le tissu entrepreneurial marocain. A travers une approche horizontale, ladite politique devrait être orientée vers les entités clandestines ou illégales, en ayant pour objectif leur intégration dans la valeur ajoutée nationale et le circuit économique.
De ce fait, la consolidation de l’économie informelle dans le tissu économique devrait s’effectuer à travers une approche inclusive basée sur la détection, la sensibilisation et l’orientation juridique et fiscale. Par conséquent, il incombe aux pouvoirs publics locaux, en l’occurrence les autorités locales du ministère de l’Intérieur, de jouer pleinement leur rôle de renseignement et d’identification des usines et entités illégales, estime-t-il.
Dans cet ordre d’idées, la mise en place d’un système d’information intégré demeure nécessaire, afin d’assurer le renseignement des informations et le suivi des cas détectés, ainsi que le sort des dossiers en temps réel. Outre le Ministère de l’Intérieur, ledit système doit être accessible à toutes les parties prenantes concernées, entre autres, la Direction Générale des Impôts, le Ministère de l’Emploi, les Tribunaux Compétents de Commerce, le Ministère Public et l’Administration des Douanes et des Impôts Indirects, poursuit Youssef Guerraoui Filali.
Pour sa part et dans le même d’ordre d’idée, la Banque mondiale dresse les éléments clés d’une feuille de route pour lutter contre l’informalité.
En premier lieu des réformes coordonnées avec la mise en place d’une instance interministérielle afin de garantir une approche globale et coordonnée des changements d’orientation.
Des réformes ciblées de la protection sociale sont également préconisées notamment l’extension la couverture maladie à tous les citoyens, en transformant le système de retraite pour qu’il fournisse des prestations basées sur les cotisations versées uniquement par les employés et complétées par une pension universelle non contributive et un programme de transferts monétaires ciblant les personnes démunies. Un chantier déjà en cours au Maroc.
L’outil fiscal n’est jamais bien loin lorsqu’on évoque les moyens de lutte contre l’informel.
Ainsi la Banque mondiale préconise une révision minutieuse du code des impôts de sorte à le rendre plus progressif afin d’atteindre les objectifs d’inclusion sociale, par exemple en taxant les activités non respectueuses de l’environnement, en supprimant les régimes fiscaux spéciaux et les exonérations de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en éliminant les subventions à la consommation universelles et régressives, en particulier sur les produits énergétiques, dont les riches sont plus susceptibles de bénéficier, et en améliorant le recouvrement des impôts.
Sans oublier le secteur privé en assouplissant notamment la réglementation relative à la stabilité de l’emploi, la simplification de l’enregistrement des entreprises et la formulation de meilleurs avantages aux entreprises immatriculées afin d’améliorer les conditions du marché, de promouvoir l’emploi formel et d’accroître la productivité.
Depuis des décennies que le Maroc aspire au statut de pays émergents à l’instar d’autres économies asiatiques en multipliant les réformes dans divers domaines. Mais un élément manque toujours à l’appel, celui d’une croissance soutenue et inclusive de plus de 7% sur plusieurs années. Avec la persistance de l’informel, cette aspiration demeure sous une chape de plomb.