Ecrit par Soubha Es-Siari I
La Loi de Finances 2025 constitue à notre sens la 3e session de la série dite réforme fiscale. Toutefois, autant le législateur a eu, au cours des deux premières saisons consacrées à la TVA et à l’IS, l’imagination féconde, il semble au cours de cette 3e saison que le législateur a été frappé du syndrome de la page blanche. La réforme de l’IR s’est concentrée au sens strict sur le réaménagement des taux. Le malaise social qui sévit de nos jours atteste des limites de cette réforme.
La cherté du coût de la vie exaspère toutes les catégories sociales. Si pendant la période succédant la crise sanitaire a été marquée par une inflation galopante, cette cherté était justifiée de surcroit avec l’éclatement de la guerre en Ukraine, aujourd’hui avec un taux d’inflation en baisse, cette hausse des prix notamment des denrées alimentaires demeure pour le moins incompréhensible.
«Après la décélération amorcée au deuxième trimestre 2023, l’inflation continue selon le Conseil de BAM d’évoluer à des niveaux bas après 6,1% enregistré en 2023. Elle devrait rester modérée à moyen terme, se situant, selon les projections de Bank Al-Maghrib, à 2,4% en 2025 et à 1,8% en 2026. De même, sa composante sous-jacente, qui traduit la tendance fondamentale des prix, devrait poursuivre sa décélération revenant de 5,6% en 2023 à 2,1% cette année, puis à 2% en 2025 et à 1,8% en 2026 ». Des taux en dégringolade, certes rassurants mais qui ne reflètent aucunement la réalité.
Ce malaise social, comme en attestent les deux jours de grève (5 et 6 février), ne semble pas pour autant déranger Aziz Akhennouch, chef de gouvernement qui clame haut et fort les efforts déployés par son équipe pour baisser le niveau de pression fiscale et améliorer le niveau de vie des citoyens.
Présentant un exposé lors de la séance mensuelle des questions orales sur la politique générale, consacrée aux « Indicateurs économiques et financiers et le renforcement de la place du Maroc à l’international », Akhannouch a souligné que le gouvernement a procédé à un relèvement de la première tranche du revenu annuel exonéré de l’impôt de 30.000 à 40.000 dirhams, le but étant de pouvoir exonérer les revenus inférieurs à 6.000 dirhams.
Et d’enchaîner : « Il s’agit également de la révision des autres tranches du barème, afin de les élargir et de réduire leur taux d’imposition, a-t-il ajouté, précisant que ceci se traduit par une réduction de ces taux allant jusqu’à 50%, avec une réduction du taux marginal de 38% à 37% ».
Quelques semaines après l’entrée en vigueur du nouveau barème de l’IR soit le 1er janvier 2025, les retombées ne sont guère réjouissantes. La grève générale et nationale à laquelle nous assistons aujourd’hui reflète que les hausses de salaires suite à la récente révision demeurent très limitées face à la détérioration. du niveau de vie des ménages.
Parce qu’au-delà du projet de loi sur la grève qui fait beaucoup de mécontents, la détérioration du pouvoir d’achat attise à son tour la colère de la classe ouvrière.
Commentant une telle mesure, un économiste et membre du parti politique PPS annonce que suite à des simulations, ils se sont rendus compte que ceux qui gagnent un salaire inférieur à 6.000 DH vont économiser autour de 150 DH net / mois en termes d’IR et ceux qui gagnent entre 10.000 et 15.000 DH vont économiser entre 450 et 500 DH d’IR. Pour ceux qui gagnent entre 20.000 et 25.000 DH, l’économie sera aux alentours de 600 DH. Des sommes modiques face à la flambée des prix. ‘Comme le système proposé par le gouvernement ne répond pas à la progressivité de l’IR, tous ceux qui ont des salaires plus élevés vont bénéficier davantage. Ce qui va à l’encontre d’une politique fiscale censée être juste et équitable », rappelle notre économiste.
Par ailleurs, le gouvernement a décidé d’aller à contre-sens des recommandations des assises de la fiscalité tenues en mai 2019 à Skhirat et à contre-sens des recommandations issues du nouveau modèle de développement en matière de politique fiscale. Notre économiste illustre ses propos par la multiplication des systèmes de retenue à la source à taux libératoire qui sont aux antipodes des deux référentiels cités auparavant et qui vident l’impôt de sa substance en réduisant l’assiette fiscale voire l’appréhension de l’ensemble des revenus catégoriels et détruisant ainsi la progressivité de l’impôt.
A en jauger le pouls de la population, cette baisse de l’IR reste somme toutes insuffisante face à cette hausse des prix qui touche pratiquement l’ensemble des bien et services. Que dire d’une population vulnérable secouée ces derniers mois par des hausses touchant des produits de large consommation (sardines, oeufs, volaille, légumes…).
IR : au-delà du réaménagement du barème ?
La Loi de Finances 2025 constitue à notre sens la 3e session de la série dite réforme fiscale. Toutefois, autant le législateur a eu, au cours des deux premières saisons consacrées à la TVA et à l’IS, l’imagination féconde, il semble au cours de cette 3e saison que le législateur a été frappé par le syndrome de la page blanche. La réforme de l’IR s’est concentrée au sens strict sur le réaménagement des taux.
On aurait souhaité que la réforme soit plus large. On s’attendait que l’impôt sur le revenu soit finalement l’impôt de la famille. Autrement dit un impôt qui fait la différence entre le célibataire et le marié, entre un couple avec enfants et un couple sans enfants, ou un couple avec des enfants en situation d’handicap… Aussi, il serait plus judicieux de défalquer de l’assiette fiscale les frais de scolarité ou de soins prodigués par le secteur privé (école ou clinique).
Avec de tels réaménagements, nous allons aboutir à un impôt sur le revenu qui encourage la scolarité des enfants, qui encourage le mariage… bref un impôt au service de la famille et non pas un impôt qui pèse lourdement sur son budget.
Malheureusement, le gouvernement chaque fois qu’il est interpelé sur ces hausses insignifiantes des salaires, sur ce réaménagement des taux de barème, qui in fine, ne résout pas une grande partie des problèmes de la classe moyenne, il persiste et signe qu’il faut raisonner d’une manière globale et qu’il ne faut pas se focaliser sur ces hausses, qu’il reconnait comme dérisoires, mais il faut prendre en considération l’élargissement de la protection sociale, les aides directes au logement qui font également partie intégrante du pouvoir d’achat des ménages. Réponse du berger à la bergère.
Lire également : Syndicats-gouvernement : fin de la lune de miel !