Il ne passe pas une semaine sans qu’un scandale n’éclate : une sextape diffusée par-ci, des photos de flirt entre adolescents par-là… Mais le plus dangereux c’est la fuite des données personnelles d’institutions comme un tribunal, une prison ou un poste de police.
Voir son image souillée sur les réseaux sociaux et son existence et carrière professionnelle détruites dans la vie réelle c’est ce qu’est en train de subir un jeune homme arrêté suite à un accident de circulation durant la soirée du réveillon à Marrakech. Le fait qu’il soit déguisé en femme en a fait un sujet croustillant pour les médias d’abord qui étaient les premiers à porter l’incident sur la place publique. Puis il a été jeté en pâture aux particuliers sur les réseaux sociaux. Mais, qu’en est-il de la responsabilité des services de l’ordre dans cette violation flagrante de la Constitution (Articles 22 et 24), du Code pénal (Articles 447-2 et 447-3) et de la Loi n° 09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel qui protègent la vie privée et la sécurité des gens et leurs données personnelles ?
En effet, si l’on peut mettre sur le dos de voyeurs d’avoir pris la photo du jeune homme par téléphone au moment de son arrestation et l’avoir diffusée sur le web, comment peuvent-ils avoir les détails sur son nom, âge, adresse et profession voire même sa pièce d’identité ?
C’est ce qui a d’ailleurs poussé le Directeur général de la sûreté nationale, Abdellatif Hammouchi à réagir, en chargeant les services de l’inspection générale de mener une enquête administrative afin d’élucider les circonstances entourant la divulgation des données de cet individu. Et surtout établir la responsabilité disciplinaire en cas de dépassements ou manquements de la part des fonctionnaires de la police.
Une affaire qui met à mal la volonté exprimée par la note du Président du ministère Public, Mohamed Abdennabaoui, diffusée le 6 décembre dernier sur les infractions portant atteinte à la vie privée et enjoignant les magistrats du parquet d’appliquer les dispositions contenues justement dans les articles 447-2 et 447-3 du Code pénal.
Les cas sont légion
Force est de reconnaître qu’il y a du pain sur la planche en matière de protection pénale du droit de l’image au Maroc, d’abord auprès des institutions et ensuite auprès des particuliers.
Rappeler-vous en juillet 2017, l’incident et non des moindres que constitue la vidéo de Nasser Zefzafi, le leader du Hirak du Rif, tournée à Oukacha. La séquence filmée par un smartphone et balancée sur les réseaux sociaux est diffusée comme une trainée de poudre. Pourtant, peu de gens réalisent combien cette vidéo est humiliante pour la personne filmée qui se met à poil pour montrer l’inexistence d’éventuelles traces de torture. Elle est particulièrement humiliante pour l’administration pénitentiaire elle-même et pour la Justice de manière générale, puisque l’on ne savait pas qui a tourné cette vidéo ni à quelle fin.
Ce qui montre que les réactions en cascade suite à cette diffusion n’ont eu qu’un effet de poudre aux yeux puisqu’à ce jour, l’on n’a aucune idée sur les résultats de l’enquête du procureur général du roi Hassan Matar sur cet incident.
Cela laisse présager une voie sans issue également pour l’enquête ordonnée par Abdellatif Hammouchi.
Autre cas d’une extrême gravité est la diffusion des premiers procès-verbaux manuscrits de l’affaire Bouachrine, torpillant d’un coup, la présomption d’innocence de l’accusé et le droit à la protection de la vie privée de ses victimes. Les détails des faits incriminés, les noms des victimes, et par la suite les séquences vidéos tournées dans le bureau de l’accusé… Alors que l’affaire était toujours instruite en Justice !
Nous en sommes là aujourd’hui : une pléiade de lois et une profusion d’institution pour un résultat quasi-nul : CNDH, HACA, CNDP, conseil national de la presse, la sûreté nationale, la Justice… à quoi servent-ils in fine ?
Des petits délits aux grands
L’un des cas édifiants est la commission nationale de Contrôle de la protection des données à caractère personnel. Créée par la loi n°09-08 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, la CNDP est chargée de vérifier que les traitements des données personnelles sont licites, légaux et qu’ils ne portent pas atteinte à la vie privée, aux libertés et droits fondamentaux de l’homme. Son président est nommé par SM le Roi. D’ailleurs, en novembre dernier, lors de la nomination de Omar Seghrouchni, reçu en audience royale en tant que nouveau président de la Commission, le Souverain a donné Ses Hautes Orientations afin que la Commission renforce ses dispositifs et ses moyens à l’effet d’accompagner les évolutions technologiques et juridiques, pour une meilleure protection des droits des citoyens et leurs données à caractère personnel.
>>LIRE ÉGALEMENT CNDP : LE NOUVEAU PRÉSIDENT FACE À DE GRANDS DÉFIS
Malheureusement, les rapports de ladite commission sont savamment ignorés et n’ont aucune force obligatoire. L’exemple le plus édifiant est celui d’un procès pour licenciement abusif en cours au tribunal social de Casablanca, où un juge prend en considération des preuves obtenues illégalement par l’employeur par l’accès frauduleux à un mail personnel, alors même qu’un rapport de ladite commission, suite à la plainte du détenteur du mail, souligne que la partie adverse « n’avait pas le droit d’accéder à la boîte émail personnelle de la plaignante ni au contenu des messages personnels qu’elle contient ». Ce qui est, non seulement contraire à la loi mais fait fi des orientations royales pour une meilleure protection des droits des citoyens et leurs données à caractère personnel. C’est de là que commence la banalisation de la dérive, se donner le droit d’accéder à un mail personnel jusqu’à diffuser des contenus scandaleux.
C’est dire tout le travail à faire pour réellement faire respecter la loi et assurer enfin aux Marocains le respect dû à leur vie et à leurs données privées.
>> LIRE ÉGALEMENT : RÉVOLUTION NUMÉRIQUE : QUEL IMPACT SUR LES DONNÉES PERSONNELLES ?
1 comment
Votre site Web ne comporte pas, ni de manière générale ni au moment de la collecte des données personnelles nécessaires à laisser ce commentaire, les informations requises par l’article 5 de la Loi n° 09-08.