Ecrit par Houssifi El Houssaine |
commerce extérieur au Maroc se démarque par un déficit structurel. Plusieurs opérateurs économiques pointent du doigt les différents accords de libre-échange conclus par le Maroc comme facteurs aggravant ce déficit.
Covid-19 immobilise le commerce extérieur
Quelques jours avant que le Covid-19 lance ses tentacules sur l’économie nationale pour l’immobiliser, plusieurs opérateurs économiques réclamaient haut et fort que le royaume soit muré et que l’économie nationale soit repliée sur ses frontières. Ils pointent du doigt les différents accords de libre-échange conclus par le Maroc. Maintenant que le protectionnisme est dicté par Covid-19, que les portes conteneurs sont à quai accolées bord à bord, que les grutiers sont en chômage économique et que BADR est seul, faisons une lecture des chiffres du commerce extérieur du Maroc sur les deux dernières décennies pour extraire le bon grain de l’ivraie.
Chose est sûre : le commerce n’est pas une affaire de chiffres. Le commerce extérieur est le plus grand de tous les intérêts politiques.
Zoom sur deux décades du commerce extérieur
Entre 1998 et 2018, les échanges commerciaux du Maroc sont passés de 167,25 Mds de DH à 756,88 Mds de DH, marquant ainsi un taux d’accroissement annuel moyen (TCAM) de 7,84%. L’évolution des échanges commerciaux peut être également évaluée par le biais du taux d’ouverture qui est passé de 22,25% en 1998 à 34,19% en 2018 affichant ainsi une évolution de 11,94 points. Ce taux n’est pas à confondre avec l’ « indice commerce de marchandises » publié par la Banque mondiale qui est passée pour le Maroc de 41,70% en 1998 à 67,90% en 2018 enregistrant ainsi une augmentation de 26,2 pts.
Les importations du Maroc sont passées de 98,67 Mds de DH à la fin de l’année 1998 à 481,44 Mds de DH au terme de l’année 2018, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 8,25%. Les importations ont amorcé leur décollage avec la signature du 1er accord de libre-échange avec l’Union Européenne en 2000. En 1998 et 2018, la structure des importations n’a pas enregistré de changement notable. Il s’avère donc que notre tissu économique national ne déploie pas les efforts nécessaires pour réduire la dépendance vis-à-vis du marché international et de récupérer des avantages concurrentiels comparatifs.
Les exportations du Maroc sont passées de 68,57 Mds de DH à fin 1998 à 275,44 Mds de DH au terme de l’année 2018, soit un TCAM de 7,20%. Les exportations ont enregistré durant les deux dernières décennies trois mutations majeures. La première coïncide avec le lancement du Plan Émergence en 1998, la seconde épouse le démarrage effectif de la zone franche d’exportation de Tanger en 2005 et la troisième concorde avec le début des exportations des voitures en 2012.
Au niveau de la structure des exportations, force est de constater l’augmentation significative des exportations des produits finis d’équipement industriel et des demi-produits et la chute notable des exportations des produits finis de consommation. Le Maroc a finalement réalisé que l’avantage concurrentiel s’acquiert à travers des activités à forte présence capitalistique et non pas sur des activités fortement consommatrices de main d’œuvre bon marché. Nous souhaitons que cet élan ne soit pas freiné par le Covid-19, espérant qu’il ne fera pas long feu.
Un déficit du commerce extérieur
Pour ceux qui croient que le déficit commercial est né avec l’entrée en vigueur des accords de libre-échange (ALE), qu’ils se détrompent. Depuis que le Maroc commerce à l’international, le déficit est omniprésent. Il faut reconnaître que le gap entre les importations et les exportations s’est rondement élargi avec l’activation des différents ALE. Le déficit commercial est passé de 30,1 Mds de DH en 1998 à 206 Mds de DH au terme de 2018, soit un TCAM de 10,10%.
Le déficit marque les relations commerciales du Maroc avec tous les continents sans exception. Ce n’est que ces dernières années que la situation s’est légèrement inversée avec la crise. En 20 ans de commerce extérieur, on n’a pu ni inverser la tendance, ni permettre une communication entre les vases « continents » pour assurer un déversement et aboutir à l’équilibre escompté.
Ainsi, le déficit commercial avec l’Europe qui était de l’ordre de 15,92 Mds de DH en 1998 est passé à 116,01 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 10,44%. Le déficit commercial avec l’Asie est passé de 5,18 Mds de DH en 1998 à 65,98 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 13,56%. Le déficit commercial avec les pays de l’Amérique est passé de 7,96 Mds de DH en 1998 à 28,83 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 6,65%. Avec l’Australie, le déficit commercial qui était de l’ordre de 0,3 Mds de DH en 1998 a atteint 0,92 Mds en 2018, soit un TCAM de 6%.
Ce n’est qu’en Afrique que le Maroc avait changé la tendance en passant d’un déficit commercial de 1,28 Mds de DH en 1998 à un excédent commercial de 2,67 Mds de DH en 2018.
Au sujet des accords de libre-échange, il importe de signaler que le Maroc a signé 8 ALE avec ses principaux partenaires. Il est de ce fait le deuxième pays ayant signé le plus grand nombre d’ALE en Afrique du Nord. D’ailleurs cette région concentre la majorité des ALE signés au niveau continental, soit un nombre de 29 accords sur 33.
Maroc – Union Européenne
Les échanges commerciaux avec l’UE sont passés de 133.14 Mds de DH en 2000 à 447,58 Mds de DH à fin 2018, soit un TCAM de 6.96 %. L’accroissement des échanges extérieurs avec l’UE a généré une aggravation du déficit commercial de 13.78 Mds DH en 2000 à 81,83 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 10.40 %.
La structure des importations du Maroc à partir de l’UE n’a pas enregistré de changements entre 1998 et 2018. Les importations des demi-produits, des produits finis d’équipement industriel et de produits finis de consommation représente 76% des importations en 2018 contre 83% en 1998.
La structure des exportations du Maroc vers l’UE a marqué un tournant majeur. On a assisté entre 1998 et 2018 à la régression des exportations des produits finis de consommation qui représente 42% des exportations en 2018 contre 51% en 1998 et à la montée en flèche des exportations des produits finis d’équipements industriels qui représente en 2018, 26% des exportations contre seulement 10% en 1998.
Maroc – pays de l’Accord d’Agadir
Concernant l’ALE conclu avec la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie, il a permis un TCAM des échanges commerciaux de 4.45 % en passant de 11.49 Mds de DH EN 2007 (entrée en vigueur de l’accord) à 19,37 Mds de DH en 2018. Le Maroc réalise un excédent commercial avec ces trois pays. Cet excédent est passé de 0,96 Mds de DH en 1998 à 3,41 Mds de DH en 2018. Cet accord semble donner un coup de fouet notamment aux échanges commerciaux entre le Maroc et l’Égypte et une augmentation massive des importations du Maroc de la Tunisie.
La structure des importations a enregistré entre 1998 et 2018 une mutation profonde. Alors que 56% des importations réalisées en 1998 étaient constitués de demi-produits, ces dernières ne représentent que 25% des importations en 2018. Cette chute a été bénéfique aux produits « Énergie & lubrifiants » qui représentent 33% en 2018 contre 13% en 1998 et aux produits « Alimentation, boissons et tabacs » qui représentent en 2018 27% des importations contre 20% en 1998.
La structure des exportations vers les pays de l’Accord d’Agadir a été chamboulée de fond en comble entre 1998 et 2018. Ainsi les exportations des produits finis de consommation représentent 42% des exportations en 2018 contre seulement 9% en 1998. La part des produits finis d’équipement industriel est passée à 22% en 2018 contre seulement 9% en 1998.
Maroc – USA
L’accord de libre-échange avec les USA a permis de porter les échanges commerciaux de 7,15 Mds de DH en 1998 à 50,27 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 10,24%. Les échanges commerciaux se sont soldés par un déficit commercial de 11,45 Mds de DH en 2018 contre seulement 1,48 Md de DH en 1998, soit un TCAM de 10,76%.
La structure des importations a enregistré des changements radicaux entre 1998 et 2018. Ainsi, les produits d’énergie & lubrifiants représentent 25% des importations en 2018 contre seulement 3% en 1998. Les importations de demi-produits sont passés de 9% en 1998 à 34% en 2018. Les importations des produits finis, d’équipement industriel ont vu leur part chuter à 21% en 2018 contre 33% en 1998. Le même sort a été réservé aux produits finis de consommation qui ont vu leur part régresser à 4% en 2018 contre 18% en 1998.
La structure des exportations du Maroc vers les USA a été à son tour marquée par une mutation profonde. ainsi les exportations des demis produits représentent en 2018, 70% des exportations contre seulement 4% en 1998. ce changement a été rendu possible grâce à la chute de la part des produits finis de consommation qui est passée à 4% en 2018 contre 33% en 1998 et des produits bruts d’origine animale qui est passée à 4% en 2018 contre 33% en 1998.
Maroc – Turquie
L’accord de libre échange conclu avec la Turquie a permis de porter les échanges commerciaux de 10.57 Mds de DH en 2006 (date d’entrée en vigueur de l’accord de libre échange) à 27,09 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 7,50%. Ces échanges commerciaux ont permis une aggravation du déficit commercial passé de 0.88 Md de DH en 1998 à 15,99 Mds de DH en 2018, soit un TCAM de 15,62%.
la structure des importations du Maroc est marquée par la prédominance des produits finis de consommation avec une part de 46% en 2018 contre seulement 26% en 1998 et l’importance des demis produits qui représentent 29% en 2018, contre 25% en 1998. force est de constater que la part des importations des produits d’alimentation boissons et tabacs qui représentaient en 1998 36% des importations est passée à 40% en 2018.
La structure des exportations du Maroc vers la Turquie a enregistré un changement de taille. En effet, la part des demi-produits a chuté de 68% en 1998 à 34% en 2018. On a également assisté à une augmentation des exportations des produits d’alimentation, boisson et tabac qui représentent 24% des exportations de 2018 et des produits finis de consommation qui représentent 23% des mêmes exportations.
Le bilan du commerce extérieur
Après cette analyse des différents ALE conclus par le Maroc avec ses différents partenaires, il revient de conclure que le déficit commercial est inhérent au commerce extérieur marocain, que les échanges commerciaux se sont généreusement développés après la conclusion desdits accords et que le déficit commercial s’est lourdement aggravé consécutivement à l’entrée en vigueur desdits accords.
Seulement, c’est l’accord avec la Turquie qui présente le plus d’inconvénients. En cause : il génère un déficit commercial qui s’accroit annuellement de manière considérable, ne procure que des produits de consommation finale sans aucune valeur ajoutée pour l’économie nationale. Pis encore, ces produits importés se trouvent en abondance sur le marché marocain avec des qualités différenciées pouvant assouvir tous les besoins. C’est dire que la théorie de l’avantage comparatif, qui anime le commerce extérieur, brille par son absence.
A travers cette analyse, il paraît impératif de sauvegarder notre autonomie et ce à travers la diversification de la production nationale et l’ouverture sur de nouveaux marchés. Il est également souhaitable que la variable économique prime sur celle politique lors des prochains accords et de prévoir éventuellement des évaluations à mi-parcours pour procéder aux ajustement nécessaires.
La négociation ou l’évaluation des ALE doit également prendre en ligne de compte les importations en admission temporaires ignorées actuellement alors qu’elles permettent des débouchés pour les entreprises installées au-delà des frontières ainsi qu’une optimisation des coûts de production de ces entreprises du moment qu’elles ne s’acquittent pas des droits de douanes et taxes à l’entrée sur le territoire.