Au Maroc, la sincérité des comptes publics a été renforcée par les différentes réformes notamment la loi organique des finances relative à la loi de Finances. Toutefois des zones d’ombre subsistent. Les détails avec Mohammed Bastaoui, président de la deuxième chambre à la Cour des comptes.
A l’occasion de la rencontre initiée par le Ministère de l’Economie et des Finances, en partenariat avec l’Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP), le magistrat a articulé son intervention autour des projets actuels et à venir de la Cour en matière de sincérité des comptes.
Il rappelle à ce titre que depuis l’éclatement de la crise économique et financière en 2008, la sincérité des comptes est érigée en principe cardinal. Elle n’est plus la propriété exclusive de l’Etat mais une propriété publique. Tous les Etats ont été contraints de publier des comptes sincères et transparents qui reflètent une situation fidèle. C’est aujourd’hui une exigence même des organismes internationaux.
Au Maroc, la sincérité des comptes publics a été renforcée par les différentes réformes notamment la loi organique des finances de 2015 relative à la loi de Finances.
Pour M. Bastaoui, les éléments qui doivent appuyer la sincérité budgétaire sont au nombre de trois :
Le premier concerne la qualité des hypothèses retenues au cours de la prévision (un semestre avant l’exercice) ou plus précisément si les prévisions budgétaires sont faites sur des hypothèses valables, réalistes et surtout réalisables. A ce titre le magistrat appelle à ce que des réflexions soient faites et à ce que des analyses approfondies permettent l’élaboration de ces hypothèses.
Le deuxième est relatif à la pertinence des priorités stratégiques qui déterminent chaque année la Loi de finances. A noter qu’à l’occasion de l’élaboration du Budget, le Chef de gouvernement publie une note de cadrage dans laquelle il cite les priorités de l’exercice. Mais est-ce que le budget traduit-il réellement ses orientations dites stratégiques ?
Le troisième élément concerne la qualité des prévisions en termes de ressources, de charges… A ce titre, force est de constater que valeur aujourd’hui, le Maroc ne dispose pas d’un système solide en matière de ressources.
Ceci étant, quand la Cour des comptes peut-elle apprécier la sincérité du budget ?
En effet, elle dispose de la latitude de le faire à l’occasion de l’examen du projet de la Loi de finances et au moment de l’examen du projet de loi de règlement.
Au moment de l’examen du projet de Loi de Finances par le Parlement, la Cour des comptes contrairement à ce qui se fait sous d’autres cieux ne peut pas intervenir, ne peut pas se prononcer sur un projet politique porté par le gouvernement. Dans d’autres pays comme la France, le Parlement dispose de commissions spécialisées dont les membres de la cour des comptes sont associés au moment de l’élaboration des prévisions du Budget. Autrement dit, ils contribuent avec les parlementaires leur permettant ainsi de challenger le gouvernement sur la qualité des prévisions budgétaires.
En ce qui concerne l’examen du projet de loi de règlement, la Cour des comptes contrôle à postériori l’exécution de la loi de règlement. Malheureusement la Cour des comptes ne le reçoit que deux ans après. D’après les propos de M. Bastaoui, il s’agit d’un rapport que la Cour élabore depuis sa création, qui ne traite pas en profondeur la sincérité des comptes mais plus la conformité. La CC se limite à l’autorisation budgétaire donnée par le Parlement au gouvernement. La marge de manœuvre est réduite parce que le projet des juridictions financières a limité le champ d’intervention de la CC.
Ajoutons à cela la périodicité, élaborer un rapport deux ans après la Loi de Finances lui fait perdre sa valeur et sa pertinence.
Pour dépasser ces contraintes, la CC a été décidé d’inscrire la veille de la dépense publique comme une priorité stratégique et depuis 2016 la publication d’un rapport sur le budget clos dans le semestre qui suit. Il s’agit d’un objectif qui n’est pas encore atteint. Le rapport 2016, le premier a été publié en janvier 2018. Celui de 2017 a été publié en octobre 2018 et le rapport de 2018 sera publié au maximum au cours de la première quinzaine du mois de juillet 2019.
Les premiers éléments qui concernent la sincérité budgétaire peuvent être résumés dans les éléments suivants : la traduction budgétaire des priorités stratégiques du gouvernement, les charges communes, les comptes spéciaux du Trésor (CST), les dépenses d’investissement et la dette publique.
La Cour des comptes a du mal à voir comment le Budget puisse-t-il traduire les priorités du Gouvernement.
En matière des charges communes, malgré les réformes déployées dans le cadre des lois organiques des finances, leur poids demeure très important. Il corrobore ses propos par le budget 2019 dont le poids des crédits est de plus de 164 Mds de DH soit 20% de l’ensemble des crédits ouverts par la Loi de Finances.
Autre point important et pas des moindres est celui des comptes spéciaux du Trésor. Sans une dérogation du principe de l’affectation des ressources, la réforme de la Loi organique des finances a apporté des clartés en matière de gestion des CST. Toutefois, il reste encore à faire. Pour le budget 2018-2019, les crédits ouverts pour les comptes spéciaux sont de 85 Mds de DH, soit 33% des recettes ordinaires. « Ce qui est énorme ! C’est une dérogation qui devient quasiment une règle», avise M.Bastaoui. De cette manière, le budget des CST devient un budget parrallèle ce qui se traduit par un émiettement des ressources publiques.