De nos jours la digitalisation des services publics est d’une importance cruciale pour une administration 2.0. Si le secteur privé s’est investi ces dernières années dans ce processus pour des considérations de rentabilité, le secteur public n’est cependant pas en reste et a aussi pris conscience de la nécessité d’opérer le virage de la digitalisation. Et les demandes d’autorisation d’urbanisme en constituent un champ par excellence ou la digitalisation doit être une réalité.
Les autorisations d’urbanisme représentent des enjeux de taille pour les acteurs urbains qu’ils soient publics ou privés. Si les pouvoirs publics veillent, à travers ce dispositif de régulation urbaine, au respect de l’ordre urbain et aux droits des sols, en revanche, les acteurs privés sont sur une logique entrepreneuriale. Rapprocher ces deux visions suppose, outre la pédagogie d’écoute, une intelligence collective des acteurs pour faire de nos villes des lieux de vie attractifs, mais aussi, des espaces de création de la richesse économique. Quels sont les grands traits de ce processus ? Le lancement de la nouvelle plateforme nationale Rokhas.ma annonce-t-il un tournant vers l’entrée en jeu de prestataires privés ? Analyse en deux points.
Un système d’autorisation propice à des pratiques non éthiques
Dans un rapport du Ministère de l’urbanisme et de l’habitat soumis au CESE, ce département souligne que ‘’compte tenu de la fragilité de la gouvernance matérialisée par une architecture complexe, difficultés d’accès à l’information, des procédures non formalisés, le système d’autorisation de construire au Maroc, est propice à l’émergence de plusieurs pratiques illicites et non éthiques (corruption, conflits d’intérêts, rétention de l’information, excès de pouvoir…etc.), contribuant ainsi à alourdir davantage la procédure et à proroger les délais d’obtention des autorisations’’.
Consciente de l’impact de cette donne sur l’environnement des affaires, les pouvoirs publics ont fait du processus de l’amélioration de l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme une constante, et ce depuis des années. La simplification des procédures, la réduction des délais, l’instauration du guichet unique, l’implémentation progressive de la dématérialisation, et la mise en place de plateformes en ligne pour l’instruction des autorisations d’urbanisme (casaurba.ma et e-instruction) sont les grands traits de ce processus d’amélioration de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme.
Toutefois, et de l’avis de beaucoup d’acteurs, l’expérience a démontré ses limites au regard de plusieurs considérations. La faible adhésion du système d’acteurs (agences urbaines, collectivités territoriales et professionnels) et l’absence d’un réel portage politique, juridique et technique du projet de dématérialisation des autorisations d’urbanisme constituent les grands freins, bien que, des expériences entreprenantes ont fait cas d’Ecole à Casablanca, Taza, Agadir, …
Rokhas.ma, une plateforme nationale pour les autorisations urbanistiques et économiques
Capitalisant sur l’expérience de casaurba.ma, née il y a quatre ans à Casablanca, la DGCL vient de lancer une nouvelle plateforme qui couvrira la totalité des services de dépôt, d’instruction et de délivrances des autorisations émanant des collectivités territoriales. Baptisée Rokhas.ma, cette plateforme est entrée en vigueur le 1er juin 2019, et ambitionne ‘’d’impacter la relation entre l’usager et l’administration territoriale en consacrant la vision Maroc Numeric dans l’un de ses axes stratégiques à savoir le portail unique du citoyen’’ selon la Société chargée du projet.
Ce projet Rokhas.ma annonce-t-il les prémices d’un tournant vers une instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme par des prestataires privés. Dans un contexte de digitalisation de l’administration, tout laisse présager que cette hypothèse n’est pas à exclure une fois le système Rokhas.ma sera stabilisé. Qui aurait pensé un jour à des prestations en ligne dans le secteur public comme (rokhas.ma, marchespublic.ma, massar.ma, vignete.ma, barid e-sign, watiqa.ma, passeport.ma, etc.). D’autant plus que l’opérabilité de cette mutation d’externalisation des autorisations d’urbanisme est de nature à permettre aux acteurs urbains de se consacrer sur leur domaine de compétences afin de relever les défis réels que connaissent nos villes en termes de gouvernance, d’aménagement urbain, et de développement socio-économique.
En France, un pays d’inspiration pour le Maroc dans les politiques publiques, la loi portant Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (ELAN) de novembre 2018 a prévu une disposition autorisant les communes à externaliser l’instruction des autorisations d’urbanisme. Ainsi, un décret rendant effectif cette disposition est entré en vigueur le 24 mai 2019, et qui autorise ‘’les communes à confier l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à un ou plusieurs prestataires privés, dans la mesure où l’autorité de délivrance conserve la compétence de signature des actes d’instruction’’, toutefois, ‘’l’autorité communale garde l’entière liberté de ne pas suivre la proposition du ou des prestataires’’.
Pour conclure, la digitalisation des autorisations d’urbanisme est porteuse de transformations majeures qui ne manqueront pas d’impacter la gouvernance urbaine dans sa dimension plurielle (efficience, célérité, éthique,…). C’est aux acteurs urbains (collectivités territoriales, agences urbaines, Agences à compétence en urbanisme (AAVB, Marchica, etc.), et professionnels) de saisir l’opportunité de la mise en œuvre de la plateforme nationale rokhas.ma pour conforter cette voie vers davantage de digitalisation de services publics.
Mostafa KHEIREDDINE
Urbaniste-Université de Montréal
Chercheur en sciences de la ville