L’essoufflement du modèle économique marocain découle de l’échec de la théorie standard et de l’orthodoxie en matière de développement appliquées des décennies durant. Or, comme l’explique Professeur Noureddine El Aoufi, président de l’Association marocaine des sciences économiques : pour construire son propre concept de développement, le Maroc, sur le plan de la forme, doit adopter un modèle agnostique, par rapport aux courants économiques, sans obédience théorique exclusive. Sur le fond, ce modèle doit être issu d’un consensus qui exprime la volonté de la population et tend vers son bien-être.
Intervenant lors de la journée d’études organisée sous le thème « Maroc : Le modèle économique en question » à la Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales-Souissi, Professeur Noureddine El Aoufi analyse le « modèle » économique du Maroc sur deux volets distincts : La forme et le fond.
Quant à la forme, l’économiste entame son propos par une déconstruction des concepts » qu’on prend pour argent comptant », note-t-il. « Modèle ou nouveau modèle ? On ne peut pas scientifiquement accepter un tel concept. C’est là où réside l’importance de la théorie : On parle de l’échec de quoi en fait ?
Quand on revient aux soubassements théoriques, c’est l’échec de la théorie standard et de l’orthodoxie en matière de développement. Ces recettes libérales soufflées par les institutions internationales, non sans excès de zèle du Maroc.
Or, en économie comme dans d’autres disciplines, les théories ne sont ni neutres ni objectives. Elles participent souvent du parti pris qui se traduit par des choix politiques.
Professeur El Aoufi rappelle d’ailleurs, la bifurcation d’Abbdellah Ibrahim, à l’époque Premier ministre du Maroc, par rapport à la trajectoire économique héritée du protectorat. « Elle aurait pu constituer une rupture à la trajectoire libérale, si elle avait été suivie », note N. El Aoufi. Mais nous savons tous le sort qu’il lui a été réservé.
Pour revenir encore sur la trajectoire libérale. Pourquoi une telle persistance ? « Parce qu’il n’y a pas d’alternative ! Des économistes ont cru en cette injonction. Et s’il faut distinguer un coupable, c’est bien du côté de la théorie orthodoxe qu’il faut chercher », explique Pf El Aoufi. Et d’enchaîner « Ce qui frappe dans les études du FMI ou de la Banque mondiale, c’est qu’ils parlent comme s’ils n’y étaient pour rien dans cet échec. Ces institutions ne procèdent jamais à leur autocritique, non, jamais ! ».
Or, une stratégie de développement naturel ne peut être sur le plan doctrinal qu’une affaire qui intéresse tout un pays, analyse-t-il. Aussi, tout modèle de développement doit être de nature agnostique et sans obédience théorique exclusive.
« Il faut une théorie à mettre en débat mais sans être exclusive parce qu’il s’agit de répondre aux objectifs stratégiques du pays et aux besoins des citoyens. Tout modèle doit être déterminé par l’intérêt général et le bien-être des citoyens », note-t-il. De ce fait, le développement est une affaire consensuelle pour être confiée à des libéraux ou à des technocrates. Le modèle de développement doit être en étroite ligne avec le choix de la société. Mais Pf El Aoufi nuance. Il ne s’agit pas pour autant de faire table rase du modèle actuel qui a ancré des irréversibilités, d’ailleurs les ruptures radicales ont un coût, prévient-il.
Le Fond
Sur la question de fond, El Aoufi rappelle que la finalité de tout développement est le bien-être de la population, plus particulièrement les plus défavorisées, au sens de la théorie de justice. A ce stade de sa réflexion, l’économiste s’intéresse à qui est à même de produire ou qui détient la compétence et la connaissance pour un tel modèle. Il cite d’ailleurs la réflexion de Max Weber sur le statut de l’expert. Dans ce sens, si la demande de l’expertise est nécessaire, elle doit être formulée auprès des compétences nationales et non étrangères. S’en suit un processus d’audition : « Il faut écouter tout le monde et intégrer sa pensée ».
Comme il s’agit d’objectifs stratégiques de long terme, seule une démarche participative et délibérative est de nature à favoriser l’adhésion et la mobilisation de la population autour de la vision et à lui octroyer une base de légitimité. Il s’agit en fait d’élaborer un consensus légitimé démocratiquement. Et de rappeler que l’élaboration d’une stratégie du développement national doit procéder d’une démarche compréhensive, empathique que seules les parties prenantes, c’est-à-dire les différentes composantes de la nation ont les qualités requises et la légitimité nécessaire pour le faire comme il se doit.
Puis vient le rôle de l’Etat, « la meilleure institution à laquelle nous sommes parvenus pour éviter la guerre de tous contre tous », soutient El Aoufi en citant le philosophe Hobbes. Il identifie d’ailleurs deux strates : la première stratégique, qui est un niveau holistique et le deuxième niveau relève du gouvernement, qui, par les mécanismes de représentation, est tenu pour responsable de l’exécution du modèle qui exprime le choix de la population. Ce niveau n’est pas moins décisif dans la mesure où c’est le gouvernement qui donne de l’effectivité aux choix stratégiques et qui traduit les objectifs dans le quotidien des gens.
In fine, le Maroc doit emprunter sa propre voie qui est déjà donnée par l’histoire du pays. Il serait irréaliste de ne pas en tenir compte. Mais nul déterminisme ne doit interdire d’opérer les bifurcations, les infléchissements et les ajustements nécessaires, conclut Noureddine El Aoufi.