Fidèle à sa tradition, dès la première moitié du mois d’Avril, l’Office des Changes a libéré l’accès aux chiffres officiels provisoires du Commerce Extérieur du Maroc de l’année 2023.
En avant première, nous présentons ici une analyse des chiffres de l’énergie agrégés par source d’énergie sans tenir compte des combustibles qui ne sont pas utilisés en énergie, comme les bitumes, les diluants et tant d’autres. A la fin, nous présentons aussi un classement de l’année 2023 parmi les années précédentes et expliquons pourquoi, malgré l’amélioration par rapport à 2022, nous la classons encore dans la « zone rouge ».
Données 2023 du commerce extérieur des produits énergétiques
La Figure 1 représente quatre colonnes dont les cases sont disposées verticalement. A part la première ligne, chaque case montre le libellé, le montant pour 2023 et sa variation par rapport à l’année 2022 :
- la première contient l’éclatement des imports de produits énergétiques, exprimés en MDh CAF,
- la deuxième contient l’éclatement des exports de produits énergétiques, exprimés en MDh FAB,
- la troisième contient l’éclatement des soldes nets résultants de la différence de deux premières,
- la dernière contient les parts qui reviennent à la production d’électricité.
Les deux cases jaunes en haut à droite montrent :
- l’énergie nette consommée calculée (ENC, production locale d’énergie comprise) en millions de tep,
- ainsi que l’électricité nette appelée (ENA, production locale d’électricité comprise) en GWh.
Figure 1 Segmentation des montants du commerce extérieur des produits énergétiques du Maroc en 2023
Après avoir calculé :
- l’énergie nette consommée (ENC) à 24,177 Mtep (production locale d’énergie comprise), il s’avère que le coût des imports affectés à l’ENC se sont élevés à 4’677 Dh/tep, montant qui a baissé de 26.2% après que le total ait baissé de 22.1%,
- l’électricité nette appelée (ENA) à 43’976 GWh (production locale d’électricité comprise), il s’avère que le coût des imports affectés à l’ENA se sont élevés à 0,53 Dh/kWh, montant qui a baissé de 36.9% après que le total ait baissé de 34.4%.
La Figure 2 montre l’évolution durant les trente dernières années des montants nets importés de produits énergétiques (facture énergétique), excluant les combustibles non utilisés en énergie, comme les bitumes, les diluants et tant d’autres qui, selon les années, peuvent peser jusqu’à 7% du Chapitre 27 de la Nomenclature Douanière (3.2% en 2023). L’insert montre la part relative, en valeur de chaque groupe de produits énergétiques : les charbons (en noir), les produits pétroliers (en rouge), le gaz naturel (en orange) et l’électricité importée en l’état (en vert).
Figure 2 Segmentation des montants nets importés de produits énergétiques
Notons la part du lion (91 GDh et 80% en 2023) que se taillent les produits pétroliers (fuel, gasoil, butane, propane et carburants d’aviation) dans la facture énergétique et mettent en lumière les causes de la sensibilité de l’économie marocaine aux cours du pétrole.
La Figure 3 montre l’évolution durant les trente dernières années des montants nets importés de produits énergétiques destinés à l’électricité (facture électrique). L’insert montre la part relative, en valeur de chaque groupe de produits énergétiques : les charbons (en noir), les produits pétroliers (en rouge), le gaz naturel (en orange) et l’électricité importée en l’état (en vert).
Figure 3 Segmentation des montants nets importés de produits énergétiques destinés à la production d’électricité
Notons la part importante (12.3 GDh et 53% en 2023) que se taillent les charbons (anthracite, houille, coke, lignite, etc.) dans la facture électrique et mettent en lumière les causes de la sensibilité des coûts de la production d’électricité au charbon (63% de la production brute locale d’électricité) aux cours du charbon.
La Figure 4 montre l’évolution de l’énergie importée (en millions de tonnes d’équivalent pétrole, tep), en bleu, se rapportant à l’échelle de gauche alors que son coût unitaire moyen (en Dh/tep), en rouge, se rapporte à l’échelle de droite.
L’énergie importée est calculée à partir de la quantité nette importée de chaque combustible (masse ou volume) et de sa capacité calorifique, à part pour l’électricité importée en l’état pour laquelle c’est un coefficient de 0.26 tep/MWh qui permet de faire la conversion.
Figure 4 Evolution de l’énergie importée (Mtep) et de son coût unitaire moyen (Dh/tep)
On notera que le coût unitaire moyen de l’énergie importée suit une croissance erratique qui comporte des pointes fréquentes (1998, 2000, 2008, 2014, 2018, 2022).
La Figure 5 montre en bleu l’évolution du poids de la facture énergétique sur les habitants (en Dh par habitant) qui se rapporte à l’échelle de gauche et en marron en pourcentage du PIB qui se rapporte à l’échelle de droite.
Figure 5 Evolution du poids de la facture énergétique sur les habitants (Dh/hab) et sur le PIB (%)
Les courbes augmenté elles aussi, mais moins que le coût unitaire moyen de l’énergie importée.
La Figure 6 montre l’évolution de la facture énergétique rapportée aux imports (cercles bleus) et aux exports (carrés bleus pleins).
Figure 6 Evolution de la facture énergétique rapportée aux imports et aux exports
Qu’ils soient rapportés aux imports et aux exports, on notera que les deux pourcentages :
- comportent des pointes synchrones avec celui-ci (1998, 2000, 2008, 2014, 2018, 2022),
- mais suivent une croissance erratique plus lente que celle du coût unitaire moyen de l’énergie importée,
Le fait de l’augmentation tendanciellement plus lente que celle des coûts moyens de l’énergie importée est un bon signe puisque cela signifie que certains de leurs impacts sur l’économie marocaine n’augmentent pas aussi vite que les coûts eux-mêmes, notamment la part des produits énergétiques dans le total des imports, comme montré dans la Figure 7.
Figure 7 Variation de la part des produits énergétiques dans les imports en fonction du coût moyen de l’énergie importée
Même sans une très forte corrélation (72%), la « croissance à tendance saturante » révélée par la Figure 7, traduit une saine réaction de l’économie marocaine à l’égard de l’augmentation du coût moyen de l’énergie importée : la part des produits énergétiques dans les imports n’augmente pas proportionnellement au coût moyen de l’énergie importée… maigre mais heureuse consolation.
POURQUOI SOMMES-NOUS ENCORE DANS LA « ZONE ROUGE » ?
Si nous classions 2023 selon les 5 critères extraits de la Figure 4, de la Figure 5 et de la Figure 6 :
- le coût unitaire moyen des produits énergétiques se classe 29ème sur les 31 années
- le coût des produits énergétiques par habitant se classe 30ème sur les 31 années
- le poids sur le PIB se classe 25ème sur les 31 années
- le poids sur les exports se classe 25ème sur les 31 années
- le poids sur les imports se classe 18ème sur les 31 années
En conséquence, si l’on procède à un classement global intégrant ces 5 critères sans pondération, l’année 2023 se placerait dans le quintile le moins favorable des 31 dernières années, d’où le qualificatif de « zone rouge » malgré l’amélioration substantielle de 2023 par rapport à 2022.
Sans doute encore une lapalissade mais, étant que :
- l’indépendance énergétique du Maroc ne dépasse pas significativement les 10% depuis 1988 et, en 2022, il était 7ème au classement mondial,
- le Maroc ne dispose pas de réserves fossiles prouvées pour s’assurer une indépendance énergétique décente (malgré les récentes découvertes de gaz naturel),
- le coût de la dépendance culmine au sixième du PIB, à la moitié des exportations et au quart des importations,
- le Maroc peut produire de l’électricité solaire et éolienne au-delà de ses besoins, l’électricité la moins chère même si techniquement intermittente et financièrement trop capitalistique pour les ressources du pays,
- le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières menace les exportations marocaines vers l’UE car l’intensité des émissions d’électricité n’est pas descendue sous 600 gCO2/kWh produit depuis 1982,
il n’y a pas d’autres solution que d’accélérer, tant que faire se peut, l’exploitation des niches de réduction de dépendance énergétique qu’offre la combinaison de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables (éolien et solaire).