Ecrit par Imane Bouhrara I
Depuis la lettre royale adressée en 1999 au symposium sur l’intégrité, le Maroc a entrepris une longue et douloureuse marche dans son combat contre la corruption à travers le renforcement du cadre institutionnel et réglementaire et l’adoption de conventions internationales. Mais à quelques encablures de l’échéance de la stratégie nationale de la lutte contre la corruption (2025), les indicateurs augurent d’un échec annoncé.
C’est une vraie plaie pour le développement et l’équité au Maroc. La corruption est un fléau qui semble réellement tenir au défi les autorités marocaines et ce malgré plus de deux décennies de lutte quelque peu disparate et d’une stratégie nationale qui n’a pas réussi à inverser la tendance.
Les chiffres en attestent : entre 2018 et 2022, le Maroc a perdu 21 places sur le classement de l’indice de perception de la corruption (IPC).
C’est un vœu d’échec de cette stratégie lancée en 2017, du moins sur l’amélioration de cet indice et du classement du Maroc.
En effet, à l’exception de l’année 2018 où le Maroc avait gagné 8 places dans le classement de l’IPC passant du 81ème au 73ème rang parmi les 180 pays classés et améliorant son score de trois points, son classement et son score n’ont cessé de dégringoler par la suite.
En 2019, le Maroc a été classé à la 80e place et perd deux points pour un score de 41/100. A rappeler que plus le score est proche de zéro, plus le pays est considéré comme très corrompu et plus le score obtenu est proche de 100, plus le pays est perçu comme très peu corrompu.
En 2020, le classement du Maroc s’est détérioré de six places et un point par rapport à 2019, avec un score de 40 sur 100, et est classé 86 sur 180 pays.
La situation s’est aggravée en 2021 puisque le Maroc perd une place par rapport à 2020 et se classe 87e sur 180 pays et obtient un score de 39/100 qui reflète la nature « endémique » de la corruption dans le pays.
En 2022, le classement du Maroc 94e sur 180 et le score de 38/100 se passent véritablement de tous commentaire.
Même le dernier rapport de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) révèle que la situation ne semble pas s’améliorer pour la lutte contre la corruption. Le Maroc a encore perdu des points dans le dernier indice de perception de la corruption. Le rapport a pointé l’impact sur l’accès équitable aux moyens de production et sur la concentration des richesses entre les mains d’une minorité. C’est dans ce contexte qu’une étude de terrain a montré que 72% des Marocains estiment que la corruption reste très répandue au Maroc.
Quelques jours après la présentation de ce rapport, le président de l’INPPLC soulignait l’importance de l’approche multidimensionnelle des politiques publiques en matière de lutte contre la corruption, ajoutant que la prévention de ce phénomène pointe au cœur de cette stratégie globale “irréversible”, lors de la 10è conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption.
Et pas plus que ce mardi, intervenant devant la commission du contrôle des finances publiques à la Chambre des représentants sur le rapport de l’INPPLC au titre de l’année 2022, il a relevé que la réalisation des objectifs de développement escomptés nécessite « un changement d’approche de manière à assurer une complémentarité institutionnelle efficace à travers la convergence et l’articulation des rôles et des responsabilités des autorités, instances et institutions concernées ».
Bien plus facile à dire qu’à faire, sans moyens d’investigation et un pouvoir répressif. Et ce d’autant plus qu’il n’y a pas un signal politique fort dans ce sens.
Déclaration de patrimoine et enrichissement illicite…
En effet, dès l’arrivée de l’exécutif aux manettes, le retrait par le ministre de la Justice du projet de loi n° 16-10 relatif à la réforme du Code pénal, qui contenait un article contre l’enrichissement illicite a créé le tollé et est perçu comme un mauvais signal politique sur la voie du renforcement de l’État de droit.
Surtout que le projet de réforme du Code pénal avait fait l’objet d’un long travail mené par son prédécesseur Mohamed Ben Abdelkader.
Un projet de réforme d’un texte vieux d’un demi-siècle qui s’inscrit dans la droite ligne de la Constitution de 2011 et qui traîne malheureusement depuis presque 10 ans alors que l’actuel ministre de la Justice ne cesse de répéter que le projet de texte est en phase finale.
Autre bémol, la déclaration de patrimoine, la Cour des comptes dans son dernier rapport a souligné que le modèle actuel de déclaration ne permet pas un suivi efficace de l’évolution du patrimoine.
Aussi, dans le cadre des activités d’examen des déclarations, la Cour a procédé, au cours des années 2022 et 2023, à l’examen d’un échantillon de 172 déclarations déposées, dans l’objectif d’analyser dans quelle mesure lesdites déclarations, en leur forme en vigueur, comportaient les éléments nécessaires permettant à la Cour de relever des incohérences entre l’évolution du patrimoine de l’intéressé et celle de ses revenus.
Cet examen a révélé que les informations contenues dans lesdites déclarations, ne permettent pas de tirer des conclusions fiables. Cette situation est due au manque de clarté des concepts utilisés dans le modèle en vigueur, ou d’erreurs et d’imprécisions commises par le déclarant en renseignant les données requises.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour est en cours de préparation d’un rapport exhaustif portant sur l’évaluation du bilan de l’exercice de ses compétences en matière de déclaration obligatoire du patrimoine, et ce depuis son entrée en vigueur. Ce rapport comprendra les principales conclusions et recommandations en vue de l’amélioration du système de déclaration du patrimoine dans sa globalité et l’augmentation de son efficacité.
De tels verrous éclipsent malheureusement tous les efforts fournis dans le renforcement de l’intégrité, la bonne gouvernance et la moralisation de la vie publique (et privée) au Maroc que ce soit en matière de simplifications des procédures, de réforme des marchés publics, l’OpenGov… Et la stratégie actuelle n’a pas pu répondre à la complexité du phénomène de la corruption ni en limiter l’étendue, comme espéré.
D’ailleurs, la Cour des comptes souligne pour les projets de la transformation éthique, la nécessité d’accélérer l’adoption d’un cadre législatif pour un suivi efficient de la stratégie nationale de lutte contre la corruption.
A l’approche de l’échéance 2025, il est impératif de plancher sur un dispositif global qui ne reproduit pas à l’identique la stratégie nationale de lutte contre la corruption, qui renforce l’accès à l’information, soutient l’action des institutions de lutte dans leurs missions et surtout qui prévoit un mécanisme de suivi et de pilotage. Et surtout qui renforce aussi bien la confiance des citoyens que de la communauté internationale. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas.