Interviewé par Imane Bouhrara I
Après des années d’attente pour la mise en place du cadre réglementaire du Crowdfunding, l’année 2024 pourrait-elle être l’année de démarrage effectif de ce financement collaboratif ? Et combien de temps faudra-t-il pour un véritable écosystème de ce type de financement présenté comme une excellente alternative d’accès au financement pour les porteurs de projets ? Nous avons posé la question à Othmane Lamrini, Co-fondateur de la plateforme de Crowdfunding Kiwi Collecte.
Ecoactu.ma : En comparaison avec d’autres pays, combien d’années faudra-t-il au Maroc mais aussi d’éléments nécessaires à l’émergence d’un véritable écosystème de financement participatif qui contribue efficacement à la diversification des sources de financement des entreprises ?
Othmane Lamrini : Le crowdfunding a véritablement émergé dans sa version moderne aux États Unis puis en Europe en 2008/2009. Si on prend l’exemple du marché français un peu plus proche de chez nous.
A son lancement, le crowdfunding était une activité de niche, jusqu’en 2013/2014 où il a franchi un palier. Depuis le crowdfunding a connu une croissance exponentielle jusqu’à représenter un marché de plus de 2 milliards d’euros ces dernières années, soit une croissance à deux chiffres tous les ans.
Si l’on se réfère donc à ce benchmark, le crowdfunding a mis environ 5 ans pour être un mécanisme relativement populaire et 10 ans pour devenir véritablement incontournable.
Bien entendu que le niveau moyen d’éducation financière côté contributeurs, la nombre et la maturité des projets côté porteurs de projets et la fiscalité adaptée (parmi d’autres éléments) sont autant de facteurs qui ont grandement favorisé le développement du crowdfunding en France.
La comparaison avec le marché marocain a donc ses limites.
C’est pour cela qu’il est difficile de dire à quel point le crowdfunding va se développer au Maroc et à quelle vitesse. Le plus important aujourd’hui est de lancer l’activité, parce qu’il faut bien commencer quelque part. On veut y croire chez Kiwi Collecte.
Ecoactu.ma : Le crowdfunding est souvent présenté comme une alternative de financement « accessible » pour les entrepreneurs, comme la panacée. N’est-ce pas un peu exagéré cette activité étant à ses balbutiements au Maroc mais aussi parce que les plateformes doivent veiller à l’équilibre entre engagement envers les entrepreneurs et garanties des droits des investisseurs ?
Othmane Lamrini : Oui, je suis d’accord pour dire que le crowdfunding n’est pas quelque chose de miraculeux qui va régler le problème de financement de tous les porteurs de projet. Une campagne de crowdfunding est un exercice difficile qui requiert un projet de qualité, une communauté mobilisée, une communication efficace, et beaucoup de travail de préparation.
Mais il est vrai aussi que le crowdfunding est un mécanisme alternatif, non institutionnel, qui peut être un très bon moyen pour nombre de porteurs de projets qui sont aujourd’hui soit totalement exclus du circuit de financement traditionnel – c’est le cas dans les secteurs culturel, sportif, associatif, etc. – soit ne disposent pas des garanties classiques suffisantes requises par les acteurs de financement traditionnels tels que les banques, investisseurs – c’est le cas des startups et TPEs typiquement.
Le travail des plateformes agréées est de faire le lien entre les porteurs de projets en recherche de financement et les personnes en capacité de financer, dans de bonnes conditions. Le crowdfunding suscite de l’espoir chez beaucoup d’acteurs suspendus aux annonces des autorités sur le sujet.
Ecoactu.ma : Dans ce sillage, et au regard du cadre réglementaire marocain, les intérêts aussi bien des investisseurs que des entrepreneurs sont-ils suffisamment protégés ?
Othmane Lamrini : Oui, le cadre réglementaire a été conçu pour veiller à la protection des porteurs de projet comme des contributeurs. Un des principaux objectifs du processus d’agrément avec les régulateurs est de s’assurer que les procédures sont mises en place par les plateformes pour le garantir dans le cadre de la réglementation en vigueur. C’est un élément fondamental pour que le crowdfunding ait un avenir au Maroc.
Ecoactu.ma : Qui dit plateformes, dit cybersécurité. Quel enjeu dans ce sens, et quelles opportunités pour les fintech au Maroc ?
Othmane Lamrini : La fintech peine à voir le jour au Maroc, probablement plus que d’autres secteurs dans le monde des startups. La fintech ne peut émerger que si tout l’écosystème lui est favorable (banques, réglementation, fiscalité, paiement, etc.).
Le développement du crowdfunding peut donc constituer une avancée dans l’émergence de la Fintech au Maroc et peut également faire effet de levier pour d’autres sujets.
Ecoactu.ma : Le crowdfunding serait-il le prélude à l’émergence d’autres financements innovants au Maroc ?
Othmane Lamrini : Oui, mais ce qui est important est de réussir ce qu’on entreprend, avant de s’investir sur d’autres nouveaux sujets, autrement on ne sert pas l’objectif ultime qui est d’avoir un impact sur l’économie, les populations et les territoires.
Le Maroc a fait du crowdfunding une priorité, en étant le premier pays en Afrique à réglementer cette nouvelle activité. L’enjeu maintenant est de réussir son lancement et faire en sorte que le crowdfunding se développe à grande échelle.
C’est le travail des plateformes elles même qui seront agréées mais également des autorités publiques qui doivent mettre les premières dans de bonnes conditions pour ce faire, par exemple en apportant leur soutien sur les sujets de communication et de vulgarisation nécessitant des moyens, parce qu’il s’agit in fine d’un sujet nouveau au Maroc, encore peu connu et pas toujours bien compris. Il faut installer un climat de confiance.
Ecoactu.ma : Qu’est-ce qui a motivé la création de la plateforme de crowdfunding Kiwi Collecte avant même l’opérationnalisation de ce type de financement au Maroc ?
Othmane Lamrini : On est sur du don avec Kiwi Collecte. Notre objectif est donc principalement d’avoir un fort impact. Aider des porteurs de projets talentueux à collecter du financement pour leurs projets dans la culture ou dans le sport. Aider le monde associatif à compléter ses levées de fonds avec un canal complémentaire pour financer des projets à impact.
Agir dans les contextes de crise où tout va très vite. Améliorer la solidarité au Maroc, pour la rendre plus efficace, plus sécurisée, et fléchée vers les domaines qui comptent comme la santé et l’éducation. On était très motivés, nous sommes allés peut être un peu plus vite que le temps réglementaire qu’on n’a pas anticipé aussi long pour être honnête. Le plus important aujourd’hui est que nous sommes prêts, et restons dans l’attente de l’agrément de Bank-Al-Maghrib pour nous lancer !