A quelque chose malheur est bon. La pandémie du Covid-19 a mis tous les pays à rude épreuve. Des communautés telles que l’Union européenne sont au bord de l’implosion. La première puissance mondiale, en proie de son système néolibéral qui n’accorde à l’humain qu’une place secondaire, est en train de payer le prix de la défaillance de son système de soins inaccessibles pour une large frange de la société.
Même les théoriciens les plus visionnaires, qui prédisaient une nouvelle crise économique mondiale, n’auraient pu prévoir un tel scénario. Un scénario qui rappelle étrangement les grandes productions hollywoodiennes !
Le Maroc n’est pas en reste. En l’espace d’un mois, la vie et les priorités du Royaume ont été chamboulées. Et l’Etat qui, jusqu’à ce jour a fait preuve d’une gestion remarquable de la crise, a été pris de court, lui qui était justement en train de revoir son modèle de développement.
D’ailleurs la Commission spéciale sur le modèle de développement maintient le délai de fin juin pour rendre sa copie. Et autant dire que le Coronavirus lui a mâché le travail. Car comme il s’attaque aux organes faibles du corps humain, il a mis à nu les défaillances de notre modèle actuel par la preuve réelle : en effet nous vivons un exercice d’urgence mais en temps réel et aux conséquences véridiques. L’enjeu n’est pas uniquement d’en sortir indemne mais se préparer à la deuxième vague du virus : les conséquences économiques et sociales n’étant toujours pas exclues.
La réactivité est dans cette conjoncture déprimée un élément crucial et autant dire que sur ce plan, l’exécutif met les bouchées doubles, sous impulsion royale, pour gérer d’une part la crise sanitaire qui nécessite la mobilisation d’importants investissements et d’autre part, endiguer les conséquences sociales et économiques. D’emblée, il saute aux yeux que si l’Etat avait suffisamment investi dans son système de soins, l’effort financier actuel aurait pu être déployé ailleurs, la circonscription de l’épidémie serait relativement plus rapide et le corps soignant mieux loti qu’il ne l’est actuellement. Nous ne manquons pas ici de saluer chaleureusement la mobilisation du corps soignant qui fait montre d’un patriotisme hors pair en prenant des risques considérables pour sauvegarder la santé publique.
Donc, la première rupture concerne le système de soins et de santé et la valorisation des métiers du secteur de santé.
La deuxième difficulté qui a mobilisé un important effort est celle afférente à l’enseignement à distance. Le ministère a d’abord pris la bonne décision à temps pour éviter la propagation de la pandémie. Mais il a été confronté à une triste réalité : en ce troisième millénaire et à l’ère numérique, l’écrasante majorité des établissements publics fonctionnent encore au tableau et à la craie ! Pourtant sur 20 ans, bien de marchés ont été octroyés par ci par là pour équiper les écoles publiques engloutissant au passage des milliards et des milliards de DH pour les résultats que nous savons. Le ministre a pu finalement compter sur la mobilisation des cadres du ministère et la mobilisation du corps enseignant pour construire chemin faisant un modèle d’enseignement à distance pour que les cours se poursuivent à domicile. Encore faut-il que les parents jouent le jeu et veillent sur l’assiduité des élèves.
Sur un autre registre moins visible, la détérioration de l’école publique a contribué dans l’analphabétisme d’une large partie de la population et a accentué l’ignorance au sein des populations alphabétisées en raison de l’absence de son rôle d’éducation de la population. Difficile pour un pays d’avancer si tous ses enfants ne sont pas logés à la même enseigne, notamment dans l’accès à un enseignement de qualité.
La deuxième rupture est inéluctablement le système d’enseignement !
Venons-en, aux mesures prises par l’Etat pour aider les populations sinistrées par la pandémie. Autant dire que la première batterie de mesures rassure notamment pour le secteur formel, avec un effort considérable aussi bien de l’Etat que du secteur privé dont les banques, les assurances… Mais là encore, le pays et ses entreprises feront les frais de certaines défaillances du tissu économique avec une majorité de TPE-PME fragiles, ce qui menace une rapide reprise de la machine économique post-pandémie.
La lutte peu soutenue contre l’informel est également un élément qui rend vulnérable notre économie. D’ailleurs, l’on attend encore que le Comité de veille économique ne lève l’embargo sur les décisions prises le 23 mars à destination de cette catégorie.
La troisième rupture serait certainement de rendre le tissu économique plus homogène, compétitif, moins dépendant de l’extérieur (industrie, tourisme…) et résilient puisque ce ne sera certainement pas la dernière pandémie que nous vivrons.
Mais qu’en est-il des populations vulnérables ? Pauvres, personnes sans emplois, handicapés, SDF, journaliers… Le retard accusé dans la généralisation des programmes sociaux et la mise en place d’un organe de gestion de ces différents programmes, rendra la tâche ardue à l’Exécutif pour que les aides cibles aillent véritablement vers les populations nécessiteuses. Ces catégories fragiles rendent vulnérable tout le pays.
Donc la quatrième rupture est celle des réformes sociales et la mise en place rapide de l’aide ciblée. Sans filets sociaux, ce maillon faible de la chaîne finit par fragiliser l’ensemble des autres maillons.
A signaler également que depuis le déclenchement de la crise, les partis politiques se font très discrets si ce ne sont deux ou trois partis qui restent très dynamiques, les autres sont carrément aux abonnés absents. Avec ce qu’ils coûtent à l’Etat, ils devraient au moins remplir leur rôle d’encadrement de la population. Alors qu’au final, ce sont les agents de l’Etat, cadres, fonctionnaires qui se retrouvent sur tous les fronts.
L’un des effets de la pandémie est qu’elle a fait sauter le sacro-saint « équilibre budgétaire ». La discipline budgétaire et monétaire n’est pas si mauvaise mais en face une reddition des comptes ne serait pas un luxe à l’heure où les deniers fondent comme neige au soleil.
On peut continuer ainsi à l’infini à énumérer les dysfonctionnements révélés par la pandémie, mais l’essentiel des changements qui doivent s’opérer immédiatement est clair maintenant. Pourvu qu’on retienne la leçon et qu’on travaille à prémunir le pays face aux crises sanitaires qui deviendront récurrentes.
Une chose est sûre, le virus a augmenté la prise de conscience de l’importance d’adhérer sérieusement à la réforme du modèle de développement et l’importance de construire son pays, car vaille que vaille en cas de pandémie, il demeure notre unique refuge !