Pour l’essentiel, nous nous référons à des sources officielles pour les données énergétiques[1], [2], [3], [4], [5].
Pour rappel, les combustibles blancs terrestres consommés par le Maroc en 2021 atteignent près de 6,6 millions de tonnes de gasoil (soit environ 7,9 milliards de litres annuels) et 0,75 millions de tonnes de super (environ 900 millions de litres annuels).
Quel différé entre les cours du pétrole et les prix du gasoil a la pompe ?
Alors qu’une grande partie de la presse et d’utilisateurs de réseaux sociaux montrent leur agacement au retard de la baisse du prix des combustibles, j’ai dû, dans des médias audiovisuels, à plusieurs occasions durant les dernières semaines, expliquer en quoi les prix des combustibles à la pompe au Maroc ne pouvaient être en phase avec les cours mondiaux du pétrole, ni à la hausse, ni à la baisse. La mécanique en est relativement simple, en effet :
- Les raffineries étrangères qui produisent le super sans plomb et le gasoil destinés au Maroc nécessitent un délai entre le moment où elles achètent, reçoivent et stockent leur matière première (pétrole) et le moment où, après fabrication, elles stockent leurs produits raffinés (flèches bleues de la Figure 1).
- Les réseaux de transport internationaux nécessitent eux aussi un délai entre le moment où ils prennent en charge les produits raffinés dans les réservoirs des raffineurs et le moment où ils livrent nos distributeurs locaux dans les ports marocains (flèche rouge de la Figure 1).
- Quant aux distributeurs marocains, ils nécessitent eux aussi un délai entre le moment où ils stockent les produits raffinés dans leurs réservoirs et le moment où ils livrent les pompes à essence. Ce délai, qui est fixé du point de vue législatif à 60 jours n’est en fait que de 25 à 35 jours (flèche verte de la Figure 1).
Figure 1 Schéma simplifié des étapes encadrant les différentes phases en amont des détaillants de combustibles pétroliers
Si l’on pouvait se référer au décalage constaté entre :
- d’une part la date du maximum des cours moyens internationaux du pétrole (07/03/22),
- d’autre part, la date du maximum du prix moyen du gasoil à la pompe au Maroc (04/07/2022),
le cumul des délais des différentes phases décrites par des flèches dans la Figure 1 serait approximativement de 4 mois.
Ce décalage est visualisé sur la Figure 2 qui montre l’évolution :
- des différents cours moyens hebdomadaires internationaux de pétrole (en bleu et se rapportant à l’échelle de gauche) qui ont été relevés sur un site de statistiques internationales[6],
- du prix moyen constaté chez 5 pompistes de Casablanca[7] jusqu’au 18 juillet 2022 (en rouge et se rapportant à l’échelle de droite).
Notons que l’abscisse de la Figure 2 s’étend au-delà de la date d’écriture de ce document, c’est-à-dire à fin novembre 2022, période pour laquelle le prix moyen du gasoil à Casablanca est calculé sur l’ajustement à la moyenne des trois cours (Brent, panier de pétroles de l’OPEC et WTI) décalée de 4 mois.
Figure 2 Evolution des cours moyens internationaux du pétrole et des prix du gasoil à Casablanca
Que retenir de l’évolution récente des prix du gasoil ?
La Figure 2 nous enseigne que si l’on souhaite que le prix du gasoil revienne autour de 10 à 11 DH par litre, il faudra attendre quatre mois après une descente du pétrole brut aux environs de 70 US$/baril.
Par ailleurs, les chiffres prospectifs de la Figure 2 montrent aussi que si les prix du gasoil à la pompe au Maroc n’étaient dictés que par un décalage de 4 mois des cours internationaux du pétrole, nous devrions nous acheminer vers un troisième trimestre 2022 durant lequel les prix à Casablanca devraient légèrement osciller autour de 14,50 Dh/ litre. Toutefois, des réserves doivent être mises sur ces chiffres, ne fût-ce qu’à cause de l’appréciation de près de 4% du dollar américain par rapport au Dirham durant les dernières semaines[8] : si elle se maintenait, celle-ci pourrait à elle seule déjà contribuer pour 0,50 à 0,65 Dh par litre.
Sur le plan politique, et bien qu’énergétiquement dépendant, il est capital qu’un pays comme le Maroc raffine au moins une grande partie des 11,8 tonnes de combustibles pétroliers qu’il consomme, même s’il semble peu probable que les prix auraient été plus bas si le raffinage avait eu lieu au Maroc. Toutefois, il est certain que le retard (entre les cours mondiaux du pétrole et les prix à la pompe au Maroc) serait sans doute réduit d’un à deux mois, sans compter l’intérêt de la relocalisation de la valeur ajoutée du raffinage et son intérêt socioéconomique (emplois) et financier (devises).
Selon le site de suivi des prix du gasoil dans 169 pays[9] (parmi lesquels 143 n’ont pas d’autosuffisance de production pétrolière), le Maroc :
- avait le 82ème prix le moins cher avec les 11,20 Dh/litre rapportés pour le 07/03/2022,
- a maintenant le 107ème prix le moins cher avec les 16,57 Dh/litre rapportés pour le 18/07/2022.
Force est de croire que perdre autant de places en 4 mois dans un tel classement n’est sans doute pas fortuit : c’est probablement un des signes que le gouvernement marocain, même avec un Aziz Akhennouch à sa tête, a pris moins de mesures que d’autres pour freiner la hausse des prix des combustibles, d’abord et surtout parce qu’il n’avait plus aucun instrument pour réguler et contrôler les prix depuis leur libéralisation décidée par le gouvernement de Abdelilah Benkirane en 2015. Avec du recul, il est difficile de ne pas opposer :
- l’intelligence avec laquelle on avait alors choisi la date précise de la libéralisation des prix pour que le consommateur n’en ressente pas l’effet,
- au machiavélisme avec lequel on l’a laissé sans aucune Autorité spécialisée et indépendante qui, à l’instar de l’ANRT, l’aurait protégé de tous abus ultérieurs ou qui aurait au moins, cassé l’opacité des prix et limité le succès de campagnes populistes.
Aucun gouvernement ne saurait combler l’absence d’une telle Autorité spécialisée et indépendante, et encore moins celui qui serait dirigé par l’ancien président d’un distributeur de produits pétroliers. En l’absence d’une telle Autorité, il suffit qu’on mélange un peu de volonté d’en découdre avec le pouvoir en place, avec un zeste de mauvaise foi dans l’exploitation de l’ignorance du poids de la fiscalité indirecte au Maroc, pour que certaines campagnes populistes agressives finissent par avoir de l’écho. Ce qui est sûr, c’est que l’adage « mieux vaut tard que jamais » ne s’applique pas ici puisque créer une telle Autorité maintenant et en pleine crise, paraîtra suspect et alimentera encore plus les campagnes populistes stériles.
Le gouvernement a certes fait des gestes vitaux à l’égard du secteur stratégique du transport sans lequel notre pays irait à la ruine, mais ceux qui soutiennent que cela a préservé le pouvoir d’achat des citoyens n’ont aucune mesure, ni de la modération de l’impact réel des transports sur les prix, ni de l’avidité des spéculateurs intermédiaires pour saisir la moindre cause pour expliquer des hausses de prix injustifiables… mais il semble que là où les autorités de contrôle et de répression existent, elles manquent de moyens. L’inflation marocaine n’est pas entièrement importée et la lutte contre la contribution des spéculateurs locaux ne peut se faire sans moyens juridiques, humains et matériels.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] Royaume du Maroc, Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Energie (OME), https://www.observatoirenergie.ma/data/
[2] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[3] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx
[4] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[5] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013 https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[6] Base de données « Statista« , https://www.statista.com/statistics/326017/weekly-crude-oil-prices/
[7] Webmagazine « Médias 24« , 18 juillet 2022, https://medias24.com/2022/07/16/carburants-baisse-des-prix-du-diesel-et-de-lessence-ce-16-juillet/
[8] Site web de Bank Almaghrib, https://www.bkam.ma/Marches/Principaux-indicateurs/Marche-des-changes/Cours-de-change/Cours-de-reference
[9] Base de données « Global Petrol Prices » consultée le 07 mars 2022 et encore le 24 juillet 2022, https://fr.globalpetrolprices.com/Morocco/diesel_prices/