Autre composante et pas des moindres de notre modèle de développement, celle relative au système des valeurs. Dans cet entretien, l’économiste Omar Bakkou explique comment le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement n’a pas opéré un diagnostic explicite de notre système de valeurs. Mais cela ne l’a pas empêché de dresser un portrait de notre modèle de valeurs.
-Vous avez présenté lors des précédents entretiens les caractéristiques de trois composantes importantes de notre modèle de développement, à savoir celles économique, sociale, ainsi que celle institutionnelle. Quid de notre modèle de valeurs ?
La réponse à cette question exige, à mon sens, de définir au préalable la notion de modèle de valeurs.
Cette définition requiert de faire une précision concernant le vrai sens du mot valeurs.
En réalité ce mot désigne les valeurs non marchandes, et ce, par opposition aux valeurs marchandes.
En effet, les valeurs marchandes englobent les biens et services utiles et rares.
Ces biens et services sont qualifiés d’utiles dans la mesure où ils sont appelés à satisfaire des besoins effectifs.
Ils sont en outre qualifiés de rares dans la mesure où ils nécessitent la mobilisation de ressources humaines et matérielles pour leur production.
Ces biens et services comprennent ceux appelés à satisfaire des besoins nés d’une exigence de la nature (nourriture, etc.) et ceux appelés à satisfaire des besoins nés d’une exigence de la vie sociale (voyages, etc.).
Quant aux valeurs non marchandes, il s’agit de biens utiles mais qui ne peuvent pas être vendus et achetés.
Ces biens sont invendables car leurs valeurs s’estompent en cas où ils font l’objet d’échanges marchands.
En effet, Il n’y a plus de justice quand on paie de l’argent pour acheter un jugement.
De même, l’amitié se dissout ou se transforme en autre chose quand on paie de l’argent pour l’acheter.
Les valeurs non marchandes peuvent être scindées en deux catégories.
La première catégorie englobe les valeurs présentant un caractère personnel, tels l’amitié, l’amour, la générosité, l’honneur, etc.
Quant à la seconde catégorie, elle englobe les valeurs présentant un caractère collectif, tels la démocratie, les libertés publiques, les droits de l’homme, la justice, etc.
–Alors quelles sont les caractéristiques de notre modèle de valeurs « non marchandes » ?
Le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement n’a pas opéré un diagnostic explicite de notre système de valeurs.
Mais on peut tout de même, à la lecture de ce rapport, dresser un portrait de notre modèle de valeurs.
Ce portrait comprend en fait deux facettes.
La première facette pourrait être qualifiée de « facette théorique »
Quant à la seconde, elle pourrait être qualifiée de « facette réelle ».
-Quelle serait alors cette « facette théorique » de notre modèle de valeurs ?
La facette théorique consiste dans les valeurs prônées par la constitution du Royaume du Maroc.
Ces valeurs comprennent la solidarité sociale, l’égalité des chances, la liberté, le respect de la dignité des citoyens, la justice sociale, l’ouverture, etc.
Ces vertus se fondent sur un référentiel qui prend en considération deux piliers : la prééminence accordée à la religion musulmane et l’attachement aux valeurs universelles.
-Quid de « la facette réelle » ?
La facette réelle consiste dans le système de valeurs effectif de la population marocaine.
Ce système peut être appréhendé à travers un ensemble d’indicateurs clés tels, la qualité du système judiciaire, des services publics et de l’action citoyenne de la société civile, ainsi que le degré de confiance dans les institutions.
Ces indicateurs constituent des signes révélateurs de la qualité du système de valeurs sévissant dans un pays donné : probité, sérieux, sens de l’éthique, transparence, moralité, degré de prolifération de la corruption, etc.
Selon les éléments ressortant du rapport sur le NMD, ces signes sont généralement négatifs.
Cela signifie que notre système de valeurs de facto peut être qualifié comme étant de mauvaise qualité.
–Pourriez-vous nous citer quelques fragments de ces éléments négatifs ?
La lecture du rapport de la CSMD permet de relever plusieurs passages qui font état de la dégradation de la qualité du système de valeurs au Maroc.
Ces passages concernent les principaux indicateurs précités d’appréhension de la qualité du système de valeurs.
Ces indicateurs comprennent la qualité du système judiciaire, des services publics et de l’action citoyenne de la société civile, ainsi que le degré de confiance dans les institutions.
-Pourriez nous présenter les passages du rapport de la CSMD qui montrent que notre système judiciaire est de mauvaise qualité ?
A la lecture du rapport de la CSMD, on relève un paragraphe qui fait état de la mauvaise qualité de notre système judiciaire.
Ce paragraphe est le suivant : « Malgré les réformes entamées pour garantir l’indépendance de la justice et renforcer son efficacité et sa fiabilité, les résultats tardent à se manifester : délais longs, imprévisibilité des jugements, manque de compétences, déficit de transparence, faible éthique et moralité ».
-Quid de la qualité des services publics ?
A la lecture du rapport de la CSMD, on relève un paragraphe qui fait état de la mauvaise qualité des services publics.
Ce paragraphe est le suivant : « la perte de confiance dans l’action publique, sur fond de détérioration de la qualité des services publics et de manque d’éthique et de probité des gestionnaires de la chose publique ».
-quel est le passage du rapport qui traite de l’action citoyenne ?
A la lecture du rapport de la CSMD, on relève un paragraphe qui fait état de la mauvaise qualité de l’action citoyenne.
Ce paragraphe est le suivant : « la participation citoyenne demeure limitée, en dépit des garanties de la Constitution en faveur des mécanismes de démocratie participative ».
-Quid de la dégradation de la confiance des citoyens dans les institutions ?
A la lecture du rapport de la CSMD, on relève un paragraphe qui fait état de la dégradation de la confiance des citoyens dans les institutions.
Ce paragraphe est le suivant : « les conflits d’intérêts, les collusions, les rentes indues, les immixtions et les interférences entre sphères autonomes, politiques, économiques, sociales, effritent la confiance envers les institutions ».