La nouvelle note macroéconomique de Sogécapital Bourse sur les enjeux majeurs du moment s’attarde sur le potentiel changement de cap monétaire dans un contexte de désinflation, l’impact des allocations familiales et le début de la décompensation des produits de première nécessité sur le pouvoir d’achat des ménages. L’hypothèse d’une activation de la baisse du taux directeur est écartée en 2024.
L’activation de la baisse du taux directeur n’aurait probablement pas lieu en 2024, au moins pour trois raisons majeures selon la nouvelle note macroéconomique de Sogécapital Bourse. D’abord, les risques inflationnistes internes relatifs à la décompensation graduelle des produits subventionnés qui devrait s’étaler sur plusieurs années, dans un environnement où il n’y a pas eu de baisse de la masse monétaire.
En effet, les risques d’inflation internes pourraient pousser BAM à être vigilante par rapport au timing de la prochaine baisse des taux. Selon Sogécapital Bourse, les actions parallèles entreprises par le gouvernement et BAM pour protéger le pouvoir d’achat des ménages, ont été minutieusement calibrées, principalement dans un contexte où le processus de décompensation s’étalerait sur plusieurs années. Ces deux organes sont satisfaits de la bonne orientation des prix, et BAM préférerait observer le comportement de la première diffusion des effets de la décompensation, ainsi que les anticipations quant à la deuxième phase de décompensation, qui aura lieu en 2025, selon Sogécapital Bourse.
Ensuite, un écart du taux directeur négatif entre le DH et le panier EUR/USD, qui devrait revenir à la norme afin de préserver la solidité du DH contre les arbitrages potentiels. Ainsi, le coût de l’argent au Maroc est de 190 pbs inférieur à celui des devises composant le panier (60 % EUR, 40% USD) du DH. Depuis 2009, cet écart était naturellement plus élevé, se situant en moyenne à +200 pbs, ou une fourchette allant de +25pbs et +280 pbs.
Cette situation inhabituelle trouve son explication dans le fait que la hausse des taux par BAM était largement inférieure à celles de la BCE et la FED (+5,25% et 4,50% respectivement).
Ainsi, étant donné les relations entre les taux directeurs et les forces du taux de change s’y afférant, BAM devrait maintenir le taux directeur à 3 % selon Sogécapital Bourse, afin de réduire les opportunités d’arbitrage sur le DH vs. EUR et USD et permettre la poursuite de la stabilité du DH. En tenant compte des anticipations de pivot de la BCE (1 baisse de 25pbs à partir de juin) et la FED (6 baisses de 25pbs à partir de juin), cet écart devrait se situer à -74 pbs.
De plus, toujours selon Sogécapital Bourse, il est habituel d’observer historiquement un décalage dans le temps, entre le déclenchement du cycle monétaire entre BAM et la FED – BCE, qui se situe en moyenne à 18 trimestres et 3 trimestres respectivement pour les niveaux de taux actuels.
Enfin, une croissance économique de retour avec des anticipations dépassant les 3% pour les prochaines années, malgré les difficultés endurées par le secteur agricole, ce qui indique que le taux directeur actuel demeure toujours accommodant. Ainsi, les conditions de financement sont relativement préservées à la fois pour le financement de l’Etat que pour l’investissement privé. Pour ce dernier, les deux principaux compartiments de crédits à savoir le crédit à l’équipement et l’immobilier ont connu une transmission limitée de la hausse des taux, offrant un environnement favorable pour la poursuite de la hausse des crédits et ainsi soutenir la reprise économique.
De même, les indicateurs de croissance du secteur du BTP commencent à se redresser sensiblement, notamment la croissance des ventes de ciment (croissance cumulée de plus de 7% en février 2024) à la suite de la forte hausse des mises en chantier, observée en 2023 (+ 37% à juin 2023).
Par ailleurs, la masse monétaire continue de croître alors que les pays partenaires sont en phase de destruction monétaire. Contrairement à nos partenaires économiques, la masse monétaire mesurée par l’agrégat M2 continue d’augmenter à des niveaux supérieurs à la moyenne historique, soit 6,8% en 2023 (vs. 5,8% en moyenne avant-covid). Ceci est attribué principalement à la croissance importante de la circulation fiduciaire (+10,7% en 2023) et à la croissance soutenue des dépôts à vue de +6,1% face à une baisse de -11% pour les dépôts à termes. En revanche, la croissance annuelle de l’agrégat M2 en 2023 a été de -2,3% aux Etats-Unis et de -0,8% dans la zone euro. Ainsi, le cycle haussier des taux a induit non seulement un ralentissement de la croissance de la masse monétaire, mais une baisse de cette dernière, ce qui a contribué davantage au processus de désinflation.
Selon la nouvelle note macroéconomique de Sogécapital Bourse, le « pivot » tel qu’attendu dans les autres économies n’est pas un sujet marocain. Dans la mesure où la hausse du taux directeur a été très limitée au Maroc comparativement aux autres économies et n’a été transmise que partiellement à l’économie. Selon Sogécapital Bourse la future baisse du taux directeur devrait avoir pour objectif de stimuler l’économie, dans le cas où celle-ci venait à faire face à un essoufflement justifiant cette intervention.
Par quels leviers la hausse de 150 pbs a contribué à la décélération de l’inflation ?
Selon l’analyse de Sogécapital Bourse, la décélération de l’inflation est imputable à plusieurs facteurs, dont celui de la hausse du taux directeur, et ce, malgré le fait que les canaux de transmission de la politique de BAM sont relativement limités.
En effet, les canaux de demande classiques sont entravés par le niveau relativement bas de l’endettement du secteur privé par rapport à d’autres pays ainsi que par la nature fixe de 93% des prêts.
De ce fait, la transmission de la politique de la Banque Centrale s’est faite principalement à travers les deux leviers. D’abord, la transmission de la hausse du taux directeur à l’économie.
En raison de la disponibilité limitée des données, le cycle actuel représente la première opportunité significative d’évaluer la façon dont les hausses de taux ont été transmises à l’économie.
La transmission vers les taux débiteurs : en décembre 2023, 71 % de la hausse cumulée du taux directeur avait été reflétée dans les taux des crédits, et a concerné principalement les crédits de trésorerie. Sogécapital bourse évalue cette transmission des taux en utilisant l’indicateur de « Loan Beta » (variation des taux de prêt / variation du taux directeur), qui exprime le pourcentage de la transmission des augmentations du taux directeur aux taux des crédits nouvellement émis, sur les 5 trimestres après la date de la première hausse (sep-22).
Cela permet d’évaluer à la fois la capacité du système bancaire à ajuster les taux débiteurs en réponse aux hausses des taux directeurs (concurrence dans le secteur bancaire) mais également la capacité (ou le besoin) des acteurs économiques à contracter des crédits, tenant compte de leurs conditions financières et économiques. Toutefois, il est inconnu de combien aurait été la variation de ces crédits dans le cas où le système bancaire n’avait pas du tout répercuté la hausse du taux directeur sur les taux débiteurs. Ainsi, la note de Sogécapital Bourse suppose que la répercussion partielle des taux a tout de même refréné la hausse des crédits, participant à la baisse de l’inflation, sans pour autant pouvoir quantifier cet impact.
Lorsque l’on analyse la transmission de la politique monétaire ainsi que la dynamique de croissance des crédits par compartiment, on en ressort avec les conclusions principales suivantes :
Les crédits à l’équipement n’ont répercuté que 23% de la hausse du taux directeur à Tin décembre 2023, avec une hausse des crédits de 9% depuis septembre 2022. Ceci s’explique par le retour franc de la demande de l’investissement privé post-covid, dans un environnement fortement concurrentiel des banques pour cette catégorie de crédit.
Les crédits immobiliers n’ont répercuté que 37% de la hausse du taux directeur avec une croissance modeste des encours de 1,7% depuis septembre 2022. Ceci reflète selon Sogécapital Bourse le retour graduel de la demande du marché immobilier, une tendance qui devrait se renforcer grâce à la dynamique de cette catégorie de crédits, impulsée par le programme Etatique d’aide au logement.
Les crédits de trésorerie ont répercuté 97% de la hausse du taux directeur, avec une décroissance des encours de 4% depuis septembre 2022. Ceci s’explique selon la même source par le fait que les entreprises ont eu massivement recours à cette catégorie de crédits durant la période du Covid et post-Covid, représentant un effet de base défavorable pour cette catégorie de crédit en 2023. De plus, la note soutient que les banques sont plus frileuses pour l’octroi des crédits de trésorerie dont le poids avait augmenté, et se montrent plus exigeantes dans la sélection des dossiers de cette catégorie de crédits.
Ensuite, la transmission de la politique de la Banque Centrale s’est faite via les canaux d’approvisionnement à l’importation, à travers le taux de change. Certes, les prix des matières premières ont baissé en 2023 vs. 2022, mais la politique monétaire a contribué au renforcement du DH et a ainsi participé à l’allégement de la facture à l’importation.
A noter que la prévision de Sogécapital Bourse d’inflation annuelle pour 2024 s’établit à +2,9 % (contre +2,4 % pour BAM), après +6,1 % en 2023 et +6,6 % en 2022. Nous anticipons des augmentations légères des prix à partir du mois d’avril, principalement en raison du début de la décompensation partielle du gaz butane et des effets de la sécheresse sur l’économie et la confiance des ménages.