Ecrit par Imane Bouhrara I
Le suspens se poursuit en cette fin novembre sur l’arrivée de la pluie et les prémices d’une bonne campagne agricole 2023-2024. Une pression exacerbée par le faible taux de remplissage des barrages. L’agriculture a troublé encore une fois la pérennité de la croissance économique au Maroc mais pas seulement. Cette conjoncture difficile repose sur la table la question de la sécurité alimentaire et l’efficience de la politique agricole de ces dernières 15 années au Maroc.
Tous les yeux scrutent le ciel. Près d’un mois s’est écoulé depuis le lancement de la campagne agricole 2023-2024 et les précipitations salvatrices se font attendre jetant une ombre sur les perspectives de croissance en 2024, dans un contexte économique déjà en souffrance.
Ce n’est pas la première fois que cela arrive, juste que l’on ne retienne pas les leçons du passé et que l’on n’accorde pas autant attention à l’importance de l’eau et sa préservation dans les systèmes agricole et alimentaire, ni aux bouleversements des conditions climatiques.
Et bien que depuis 15 ans le Maroc a enchaîné deux grandes stratégies pour le secteur, prônant durabilité, résilience, équité et compétitivité avec des budgets phénoménaux et des subventions à tour de bras (Fonds de développement agricole), en ce novembre 2023 comme pour le reste de la campagne agricole, c’est la pluie qui décidera du rendement du secteur et son incidence sur le PIB en 2024.
Mais ce ne sont pas tant les indicateurs économiques qui accusent le coup, les indicateurs sociaux aussi trinquent, et c’est le petit agriculteur, le pouvoir d’achat et les finances publiques qui finalement souffriront le plus de cette dépendance de l’agriculture aux caprices du ciel.
Cette année le budget de l’État a été grevé de 10 Mds de DH supplémentaires pour faire face aux effets de la sécheresse, le déficit des comptes courants se creuse sous l’effet des importations de produits agricoles, notamment les céréales en raison de la faible campagne 2022-2023. Des institutions comme le crédit Agricole du Maroc et la MAMDA ont également été appelés à la rescousse des agriculteurs.
Sans oublier la suspension des droits de douanes pour que les produits importés soient à portée. Sans omettre l’impact sur l’élevage et la filière des viandes rouges et blanches. On passera sur l’épisode d’importation de bovins.
Et pourtant, le coût du panier de la ménagère atteint des niveaux insoutenables ; pour un pays historiquement à vocation agricole c’est le summum du délire.
D’autant que l’indice des prix à la consommation atteste de la poursuite de la tendance haussière des produits alimentaires.
Certes les crises successives et l’inflation y sont pour quelque chose, mais la non-résilience de l’agriculture aux aléas climatiques à ce jour, y est pour beaucoup.
Et voilà que 2024 risque d’être une année de plus de faible pluviométrie, avec une instabilité conjoncturelle mondiale. Pis, l’épisode de stress-hydrique que connaît le Maroc posera un dilemme entre approvisionnement des citoyens, irrigation dans l’agriculture et usage à vocation industrielle.
Et pas seulement au Maroc, ces problématiques d’eau et sécurité alimentaire créent déjà des tensions sur les marchés mondiaux et l’approvisionnement.
De fait la volatilité de la croissance agricole au Maroc continue de prendre en otage la croissance économique dans son ensemble et l’expose aux aléas des marchés mondiaux, ce qui repose sur la table la question de la sécurité alimentaire et l’efficience de la politique agricole de ces dernières 15 années au Maroc.
Sans oublier, comme expliqué plus haut, les indicateurs sociaux. Ainsi, et alors la politique « agricole » (qui est l’addition de 12 ans du Plan Maroc vert (I et II) et trois ans de la Génération green 2020-2030) poursuit désormais l’ambition de l’émergence d’une classe moyenne rurale, les chiffres du HCP sont édifiants. La dernière note sur le marché du travail relève qu’entre le T3 2022 et le T3 2023, quelque 269.000 en emplois perdus et le taux de chômage de 5,2% à 7%, alors que le taux du sous-emploi est passé de 9,9% à 12% en milieu rural.
Inutile de préciser que la quasi-totalité des emplois perdus ont été constatés pour le secteur de l’agriculture, forêt et pêche.
C’est dire les enjeux économiques, sociaux et territoriaux du secteur de l’agriculture au Maroc. Ce qui implique un débat sérieux sur la feuille de route actuelle et sa mise en œuvre, et l’opportunité de revoir la copie en examinant les indicateurs de force et performance enregistrées à ce jour mais aussi réfléchir aux moyens de faire sauter les verrous structurels (gouvernance, reddition des comptes, PPP, organisation professionnelle, encadrement, innovation et durabilité, gestion hydrique, conciliation en marché national et exportation, inclusion économique et sociale du milieu rurale, agrégation, concertation avec le monde académique et scientifique…) jusqu’à à la réalisation des ambitions annoncées avant l’échéance de 2030.
Les 15 dernières années ont été largement suffisantes pour tier les enseignements qui s’imposent pour se prémunir des crises successives appelant à ériger la souveraineté élémentaire comme priorité avec des systèmes agricoles et alimentaires résilients. Pourquoi attendre jusqu’en 2030 ?