«Interviewé par Lamiae Boumahrou I
Le Chef du gouvernement dévoilait le 11 mars « l’Offre Maroc » pour le développement de la filière de l’hydrogène vert. Une offre qui devrait placer le Maroc dans l’échiquier mondial de cette énergie. Amin Bennouna, Professeur à l’Université Cadi Ayyad et chercheur en énergies, revient dans cet entretien sur les points forts mais aussi sur les défis à relever par cette Offre Maroc.
«««EcoActu.ma : Tant attendue par les opérateurs, le gouvernement vient de dévoiler l’Offre Maroc pour le développement de l’hydrogène vert. Quel commentaire faites-vous de cette offre ?
Amin Bennouna : Beaucoup, dont moi-même, avons cru que ce qui était désigné par « offre Maroc » concernait la fabrication locale d’électrolyseurs d’eau pour la production d’hydrogène (H2). Or, il semble bien qu’on a étendu le concept à « l’Offre Maroc de production d’hydrogène », avec tous ses aspects ce qui est une bonne chose.
Dans ce nouveau contexte, l’Offre Maroc est, à mon avis, sans doute mieux placée que celle de nos concurrents africains pour plusieurs raisons. Avant de les détailler, il faut savoir que le coût de la production d’hydrogène vert (encore au dessus de 2.5$/kg) est encore trop élevé pour les usages énergétiques de l’hydrogène alors qu’ils sont acceptables pour les usages industriels dans la chimie et la métallurgie.
Aujourd’hui, la demande mondiale en hydrogène vert est donc essentiellement centrée sur ces derniers et il se trouve que l’OCP devrait avoir besoin de 2 millions de tonnes d’ammoniac (NH3) en 2031 et envisage que la moitié soit de l’ammoniac vert qui nécessite 3/17émes de la masse totale en hydrogène vert.
Il y a donc déjà, une demande locale d’un peu plus de 150.000 t/an pour 2031, ce qui représente 15% de la demande de 2022 en H2 vert. L’Offre Maroc se distingue donc par l’existence d’un off-taker local existant déjà qui va permettre d’assurer d’emblée des quantités produites qui vont contribuer à baisser les coûts et donc de tracer la voie vers les usages énergétiques du futur de l’hydrogène vert pour le stockage et le transport d’énergie.
Ensuite, « l’Offre Maroc » se distingue par un environnement des affaires un peu meilleur que la majorité de nos concurrents sans compter que nous avons aussi des ressources humaines et infrastructures existantes favorables à l’investissement dans ce domaine. En plus, le pays comporte maintenant la plupart des services sociaux disponibles même loin des grandes métropoles, car leur absence peut être un repoussoir à l’attrait de compétences.
Quelles sont les retombées de cette ressource sur l’économie marocaine ?
A mon avis, il y aura, bien sûr, des emplois à la clé mais pas seulement. Il me semble évident, ou en tous cas je l’espère bien, qu’à l’instar de ce que l’ONHYM fait avec les prospecteurs de pétrole, l’Etat devrait prendre une participation dans tous les projets, en plus des locations des terrains. La production locale va aussi permettre de faire des économies de devises sur les importations d’ammoniac faits pour l’OCP (1 million de tonnes pour 2031) et même d’éventuelles importations d’hydrogène pour des industries de la métallurgie.
Bien sûr, tout ceci en attendant un usage intensif de l’hydrogène vert dans l’énergie et dans ce cas, il y aura du travail pour tous les pays concernés. L’Allemagne a la ferme intention d’alimenter ses turbines à gaz et centrales à cycle combiné par de l’hydrogène vert au lieu du gaz naturel. Comme ce pays est pionnier dans le domaine de la décarbonation de l‘électricité sans utiliser l’électronucléaire, il est fort possible qu’il passe des commandes anticipées visant à débloquer le dilemme de la poule et l’oeuf « du marché pour stimuler la baisse des prix contre la baisse des prix pour stimuler le marché ».
Les sources d’énergie renouvelables dont dispose le Maroc aujourd’hui lui permettent-elles de relever les défis en matière de production d’hydrogène vert ?
Oui, personnellement, je n’ai aucun doute sur cette question. Même s’il est possible que, sur le très long terme, les sites où l’électricité éolienne est extrêmement rentable seront saturés, il restera toujours d’énormes surfaces où l’électricité solaire est très rentable. Il faut toutefois rappeler que les sites ne doivent pas être éloignés de la mer car il ne faudrait pas que la production d’hydrogène utilise les eaux douces conventionnelles dont nous manquons déjà mais plutôt de l’eau dessalée, même si elle suppose un très léger surcoût que quelques pourcents.
Ceci étant dit, lorsque l’hydrogène vert sera devenu suffisamment rentable pour être utilisé comme vecteur énergétique, la demande sera tellement grande qu’il y aura du travail pour tous les pays ayant un environnement des affaires favorable, du soleil et du vent suffisants en proximité d’un océan (mieux qu’une mer à cause de l’impact des rejets d’eau très salée).
Avant de commencer à produire des électrolyseurs au niveau national, l’offre, telle qu’elle a été conçue, permettra-t-elle au Maroc d’être compétitif ?
Il n’y a pas de mystère. Quelle que soit la demande locale en hydrogène vert, sans pénétration significative du marché global pour de potentiels électrolyseurs « made in Morocco », il n’y aura pas plus d’usines qu’il n’y en a eu pour fabriquer des modules solaires photovoltaïques. Si la recherche-développement n’est pas capable, dans un délai raisonnable, de trouver des technologies nationales, sans doute faudra-t-il procéder comme cela a été fait pour les industries automobile et aéronautique.