Le Maroc traverse une année délicate marquée par une conjoncture socio-économique morose et pleine d’incertitudes.
D’une part, le ralentissement de la croissance dû essentiellement aux effets dévastateurs de la crise sanitaire du coronavirus, au recul des précipitations causées par le dérèglement climatique, ainsi qu’aux instabilités géopolitiques et géoéconomiques liées au conflit Russo-Ukrainien.
Et d’autre part, la hausse structurelle des prix à la consommation, voire exponentielle, et qui ne peut être pas expliquée à part entière par le facteur d’inflation importée, eu égard à l’effet inflationniste général et continu constaté sur les produits locaux marocains et même ceux à composantes étrangères (matières premières et fournitures de fabrication ou de transformation importées de l’Étranger).
Cependant, cette situation au Maroc reflète le phénomène de la « Stagflation », où on observe un taux d’inflation élevé et un ralentissement de l’activité économique, c’est-à-dire une décroissance économique et une hausse du taux de chômage. Ladite conjoncture est une première au Pays, et depuis le Plan d’Ajustement Structurel lancé en 1983 avec l’appui de la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Une Conjoncture très spéciale et particulière, et depuis 30 ans, marquée par une détérioration continue du pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens, et des difficultés financières et logistiques pour les entreprises marocaines importatrices de matières premières de l’étranger (pénurie des produits, hausses flagrantes des tarifs des inputs importées…).
De ce fait, Ladite Stagflation épuise le pouvoir d’achat des ménages et affaiblie constamment leur niveau de vie. La classe moyenne marocaine, touchant en général un revenu par ménage qui vari entre 6 000 et 10 000 dirhams net le mois, a été profondément touchée par la hausse significative et à deux chiffres de certains produits et aliments de première nécessité (entre 10 à 20% d’augmentation des tarifs sur le 1er Trimestre 2023). Par conséquent, et pour la première fois au Maroc, les termes « Classe en deçà de la Moyenne » commencent à être évoqués. Encore pire, cette situation socio-économique a engendré, et depuis la crise liée au covid_19, environ 3 millions de personnes en situation de pauvreté et précarité, soit l’équivalent de 7 ans de recul en matière d’effort de lutte contre la pauvreté au Maroc.
Ce phénomène socio-économique impacte, négativement, le climat des affaires et sape la confiance des investisseurs locaux malgré tous les efforts publics déployés en matière d’industrialisation du Pays et de promotion des PMI (Petites et Moyennes Industries). En effet, le tissu entrepreneurial marocain est profondément touché par ce phénomène. Les Petites et Moyennes Entreprises (PME) ont déployé des plans d’austérité et de suppression de certains projets d’investissement en cycles de production, suite au manque de visibilité et à cause du renchérissement des prix des matières premières à l’échelle nationale ainsi qu’internationale.
Si les Grandes et Moyennes entreprises (GME) poursuivent leurs stratégies d’expansion, il est à noter qu’ils investissent moins en Capital Humain (gèle des salaires, limitation des postes d’emploi, report des promotions et changements de postes…) et en ressources matérielles (limitation des achats ordinaires, revue à la baisse des dépenses logistiques…), ce qui ne permet pas de redynamiser le circuit économique national en l’occurrence le soutien à la consommation des ménages et le rafraichissement de la trésorerie des TPE (Très Petites Entreprises) et PME par le biais des commandes publiques ou privées.
La hausse des prix des denrées alimentaires est causée, dans un premier lieu, par l’augmentation des tarifs à l’importation suite la perturbation des marchés mondiaux par la situation géopolitique dans la région russo-ukrainienne. Mais au-delà, les prix des produits alimentaires de première nécessité, tels que certains légumes (pommes de terre, tomates…), ont connu de fortes hausses sur les marchés nationaux de gros et de détail. Cette situation s’explique, et en partie, par le sentiment général de nécessité de revue des prix à la hausse (esprit d’inflation), en plus de la répercussion des surcoûts supportés par certains fournisseurs et qui ont impacté les prix de ventes publics affichés.
Par conséquent, le libre jeu de la concurrence et le faible contrôle des tarifications permettent à certains opportunistes et revendeurs de tirer profit de cette situation socio-économique assez complexe, et donc de faire cette crise une opportunité d’enrichissement illicite au détriment de la classe moyenne marocaine et de la population pauvre et démunie. A titre d’exemple, un producteur agricole fait écouler sa production avec une valeur de 100 incluant sa marge bénéficiaire et coût de revient, et déclare aux médias constater ces marchandises se faire revendre en grandes surfaces à 200 et même 220 de valeur, soit le double de la valeur de sortie ou même plus. Ainsi, le cas échéant montre l’ampleur de la spéculation et de la revente sur les marchés marocains.
In fine, le contrôle à l’arrivée sur les petites surfaces ou l’aide directe à certains transporteurs de marchandises, encore moins ciblée, ne permettront guère de stabiliser voire baisser les prix de vente publics à la distribution.
D’autre part, les spéculations entre fournisseurs et revendeurs, l’opportunisme en temps de crise de certains délinquants et le manque des contrôles publics au niveau des sources de production et points focaux de distribution de masse favorisent les pratiques non éthiques de hausse de prix et d’explosion des marges bénéficiaires de ventes.
S’agissant des exportations marocaines des légumes et fruits, elles ne constituent pas la principale raison de flambée des prix des produits alimentaires sur le marché marocain. Auparavant, le Maroc réalisait le même niveau d’exportation et les prix étaient toujours raisonnables et à la portée, plus au moins, des citoyens.
L’effet inflationniste extérieur de certains produits et matières premières de première nécessité est l’une raison les plus valables, puisque la répercussion de la hausse des tarifs est causée par l’augmentation des coûts à l’importation. Mais pour les produits alimentaires de base, les pratiques non éthiques de marges excessives sur les prix et les actions spéculatives constituent la plus grande explication à donner à cette hausse exponentielle des prix. S’ajoute à cela, que le Maroc est un Pays Agricole et la pénurie de l’offre n’est pas mise en jeu à l’heure actuelle.
Dans le même sillage, la dépendance alimentaire extérieure est une résultante directe de l’échec de plusieurs mesures du Plan Maroc Vert. En effet, plusieurs terres agricoles marocaines sont mal exploitées aujourd’hui, et leurs agriculteurs se trouvent livrer à eux-mêmes, plus particulièrement dans la conjoncture actuelle marquée par le dérèglement climatique et le recul des précipitations. La sécurité alimentaire dépend de toute une chaîne de valeur, allant de l’accompagnement à donner à l’agriculteur jusqu’à la mise à niveau des terres agricoles et l’optimisation de la distribution des eaux nécessaires à la production agricole. Effet, la réalisation d’une récole céréalière de 35 Millions de quintaux pour cette compagne agricole, au lieu de 75 Millions en moyenne sur les années écoulées, engendrera systématiquement plus d’importations de blé et dérivés, ce qui fera creuser encore plus le déficit structurel de la balance commerciale du Maroc.
In fine, les politiques économiques déployées, à l’heure actuelle, ne sont pas porteuses d’un plan de relance économique à court-moyen terme. Les mesures gouvernementales prises, à date d’aujourd’hui, ne concordent pas avec le nouveau projet de modèle de développement censé apporter une nouvelle dynamique au développement du Maroc. En plus, les politiques publiques déployées par le présent Pouvoir Exécutif ne convergent pas avec les actions et projections des institutions spécialisées dans les questions économiques et financières telles que le Haut Commissariat au Plan et la Banque Centrale.
Dans le même ordre d’idées, les mesures socio-économiques prises par l’Appareil Exécutif, telles que le lancement des programme « Awrach » et « Al Forsa », la détaxation de certains produits alimentaires, et les aides directes aux professionnels du transport, restent temporaires et inadaptées au contexte actuel marqué par une forte Stagflation nécessitant un plan de sauvetage socio-économique et un soutien technico-financier durable au tissu entrepreneurial marocain.
Concrètement, il s’agit de lancer une nouvelle dynamique entrepreneuriale qui favorise l’ouverture des marchés aux PME et un accès plus simplifié au financement mais par de l’accompagnement. Aussi, il est question d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs et salariés et par des décisions audacieuses, en l’occurrence un allégement fiscal considérable (Revue à la baisse du Taux de l’Impôt sur le Revenu de 2%, Détaxation de la Valeur Ajoutée pour certains produits alimentaires du premier degré, entre autres…), mais en contrepartie d’une innovation fiscale permettant de mieux taxer les classes riches et aisées de la population censées constituer une nouvelle marge de manœuvre pour l’Administration Fiscale Marocaine.
En revanche, la communication de crise et l’esprit de leadership manquent à l’appel, et demeurent nécessaires dans les circonstances actuelles. C’est des préalables à la bonne gouvernance publique et étatique, et les bonnes décisions doivent suivre telles que le déploiement des instruments efficaces à la maitrise de l’inflation, la promotion de l’emploi auprès des jeunes et le soutien technique et financier au tissu entrepreneurial marocain.
De ce fait, la préservation des équilibres macro-économiques, à travers le fameux objectif de déficit budgétaire ou la maitrise du seuil d’endettement public, ne doit pas constituer des freins à la relance économique. Ce sont les solutions innovantes qui permettront de tirer la croissance vers le haut tout en rationalisant la consommation des ressources publiques.
Ecrit par Youssef Guerraoui Filali
Président du Centre Marocain pour la Gouvernance et le Management