La digitalisation et le partage des données de santé sont tributaires de l’adoption généralisée des systèmes d’information de santé par les professionnels de santé à l’échelle nationale. Cependant, actuellement, en raison du niveau inégal, voire limité, de la maturité numérique dans le secteur de la santé au Maroc, seuls quelques médecins, laborantins et pharmaciens peuvent contribuer en fournissant des données. Les opportunités et les défis ont fait l’objet d’un travail en profondeur. Les détails.
L’évolution récente du système de santé au Maroc, insufflée par les Hautes Orientations Royales, témoigne d’une accélération notable dans la digitalisation et l’échange de données de santé. Ces avancées, centrées sur l’implémentation de technologies de pointe et l’optimisation des processus de soins, illustrent l’engagement du Maroc à moderniser son infrastructure sanitaire et à améliorer l’accès aux soins pour tous.
Les initiatives récentes, telles que le projet de dossier médical partagé (DMP) conduit par le MSPS et la feuille de soins électronique de la CNSS, marquent des étapes importantes vers la réalisation de ces objectifs. Ces actions, en plus de renforcer la sécurité et la confidentialité des données de santé, facilitent une meilleure coordination des soins et une réponse plus rapide aux besoins sanitaires de la population.
Le Plan Santé 2025 a constitué un jalon majeur dans la digitalisation et l’échange de données de santé visant à moderniser l’infrastructure sanitaire du pays. Le plan a prévu des initiatives clés telles que l’instauration d’un Système national d’information sanitaire intégré et le développement d’un DMP. L’accent a été également mis sur la télémédecine, la mise en place du schéma directeur informatique du MSPS en faveur de la digitalisation des processus métiers, administratifs et financiers dans les hôpitaux.
Pour autant, la digitalisation et le partage des données de santé sont tributaires de l’adoption généralisée des systèmes d’information de santé par les professionnels de santé à l’échelle nationale. Cependant, actuellement, en raison du niveau inégal, voire limité, de la maturité numérique dans le secteur de la santé au Maroc, seuls quelques médecins, laborantins et pharmaciens peuvent contribuer en fournissant des données. Les opportunités et les défis ont fait l’objet d’un travail en profondeur.
En effet le livre blanc réalisé par le Centre innovation e-santé et l’Université Mohammed V de Rabat en partenariat avec le ministère de la Santé et la CNSS révèle les résultats d’une éetude approfondie sur l’échange des données de santé, nous avons initié une enquête de terrain sur tout le Maroc durant le premier semestre de l’année 2023 auprès de divers acteurs-clés impliqués dans le processus de partage des données de santé.
Leur participation s’est avérée essentielle pour une compréhension approfondie des défis et des opportunités liées à ce processus.
Une étude qui révèle la situation actuelle et les défis à relever pour la digitalisation et le partage des données de santé. Ainsi, les établissements se trouvent à 70% sans dossiers patients informatisés. On compte ici tout l’écosystème, à savoir : hôpital public, établissement de soins de santé primaires, clinique privée, centre de radiologie et laboratoire d’analyse, pharmacie et autres agences et délégations.
Ce qui donne une idée sur le chemin à parcourir pour un parcours du patient digitalisé au complet.
Plus de 80 % des hôpitaux publics interrogés sont équipés d’un DPI (Dossier patient informatisé). En revanche, on note que seulement la moitié des cliniques privées disent avoir mis en œuvre un tel système.
Cette disparité entre les secteurs public et privé pourrait refléter des variations dans l’accès aux ressources ou dans les priorités accordées à la digitalisation.
Un tiers des pharmacies, soit 33 %, affirment disposer d’un DPI, révélant les défis spécifiques auxquels le secteur pharmaceutique est confronté en termes de gestion des données.
Quelque 75 % des centres de radiologie et laboratoires d’analyses déclarent avoir adopté ces systèmes, mettant en lumière une intégration relativement élevée de la numérisation dans les services de diagnostic.
Aussin la moitié des médecins libéraux interrogés indiquent-ils ne pas recourir à des dossiers patients informatisés (DPI), alors que plus de 60 % des médecins spécialistes, disposent d’un DPI, tandis que seulement 30 % des médecins généralistes rapportent en avoir un. Cette différence souligne les écarts dans l’adoption des technologies de l’information entre les différentes spécialisations médicales.
Ces données mettent en évidence les disparités dans la mise en place de la digitalisation du dossier patient au niveau des différents acteurs de l’écosystème de santé au Maroc.
Pour ce qui est des données de santé produites et échangées Les noms et prénoms des patients sont presque universellement gérés, avec 98% des médecins libéraux et 91% des établissements de santé qui traitent ces informations. Il en va de même pour les dates de naissance, gérées par 93 % des médecins libéraux et environ 79 % des établissements de santé.
L’identifiant des patients est une donnée critique mais collectée que lorsqu’elle est fournie par le patient. On trouve 85 % des établissements et 74 % des médecins libéraux qui la demandent.
Par ailleurs, les informations relatives à la couverture de l’AMO (CNSS/CNOPS) sont également largement utilisées. Ces données sont importantes dans les processus de gestion administrative des patients pour les prises en charge.
Les données concernant l’assurance complémentaire privée sont plus fréquemment gérées par les médecins libéraux (64 %) que par les établissements de santé (43 %).
En résumé, les médecins libéraux et les établissements de santé gèrent une grande variété de données patient, avec une gestion particulièrement élevée des informations d’identification et de la couverture d’assurance maladie.
Au-delà des données standards mentionnées, les professionnels de santé aspirent à collecter des informations supplémentaires spécifiques à leurs domaines d’activité. Les hôpitaux publics sont particulièrement intéressés par les données liées aux vigilances, protocoles, complications, événements indésirables et informations sur les médecins traitants.
De même, des informations sur les hospitalisations, les admissions, la facturation, le recouvrement, ainsi que les vaccins, les groupes sanguins, les contacts des patients, sont considérées comme précieuses. Les pharmacies notent un besoin de gérer des informations de contact et de crédit pour certains patients, tandis que les centres de radiologie et les laboratoires d’analyses médicales mettent l’accent sur la facturation et les renseignements cliniques.
De plus, des informations telles que les antécédents personnels et familiaux, les identifiants nationaux de santé et l’évaluation des traitements reçus sont également jugées importantes. Cela reflète une tendance vers une approche plus intégrée et personnalisée dans la gestion des soins de santé.
Un autre aspect critique de l’étude a porté sur la disponibilité des données des patients au moment où elles sont nécessaires pour des soins de santé. L’accessibilité des données est fondamentale pour assurer la continuité et la qualité des soins, et les résultats obtenus révèlent des variations notables.
La majorité des médecins libéraux (56 %) déclarent avoir accès aux données des patients en cas de besoin. Néanmoins, une part significative (44 %) indique le contraire, suscitant des préoccupations quant à la capacité de répondre efficacement aux besoins des patients en l’absence de ces informations essentielles.
L’accès aux données pose encore davantage problème dans les établissements de santé, où seulement 39 % confirment avoir accès aux données des patients en cas de besoin.
Sur un autre registre, l’un des piliers d’un système de santé moderne et intégré est la capacité à échanger efficacement des données de santé entre différents acteurs. Parmi les établissements de santé interrogés, seuls 35 % indiquent procéder à l’échange de données de santé au format numérique avec d’autres acteurs. Cela signifie que la majorité, soit 65 %, ne participent pas à cet échange, suggérant d’importantes barrières à l’interopérabilité ou à l’adoption de systèmes compatibles.
Dans l’ensemble, l’échange de données de santé au format numérique est peu répandu au Maroc. Ce constat révèle la nécessité de faciliter la communication et la collaboration entre les divers professionnels de santé et d’améliorer l’échange de données de santé au format numérique. L’établissement de normes communes, la formation des professionnels de santé et l’investissement dans des technologies adaptées pourraient contribuer à surmonter les obstacles actuels.
Il va sans dire qu’interne et avec les patients, les résultats de l’enquête mettent en évidence la prédominance du format papier dans les échanges d’informations, avec 78 % des médecins libéraux et 81 % des établissements de santé qui continuent de l’employer. Ce moyen d’échange traditionnel suscite des interrogations concernant la sécurité, l’efficacité et l’accessibilité des données.
Pour ce qui est de l’utilisation des messageries électroniques, on note que WhatsApp est utilisé par 52 % des médecins libéraux et 33 % des établissements de santé comme moyen d’échange d’informations. Bien que pratique, ce moyen d’échange soulève des préoccupations en matière de confidentialité et de conformité avec les réglementations sur les données de santé. Le courrier électronique, quant à lui, il est utilisé par 25 % des médecins libéraux et 20 % des établissements de santé, tandis que d’autres supports comme les CD sont utilisés à hauteur de 5 %.
En ce qui concerne l’utilisation de logiciels dédiés à l’échange de données de santé, elle est rapportée par 22 % des médecins libéraux et 17 % des établissements de santé, témoignant d’une adoption progressive des solutions numériques plus sécurisées et intégrées.
Les citoyens unanimes
Pour les citoyens, la question du partage des données de santé ne fait pas débat car ils reconnaissent son rôle bénéfique dans le parcours du patient. Cependant, leurs préoccupations se concentrent sur la manière dont ce partage est effectué. Ils exigent un usage éthique et responsable, redoutant que leurs données de santé ne puissent être exploitées à des fins commerciales. Leur principale inquiétude réside dans l’utilisation individuelle de leurs données et les jugements qui pourraient en découler.
Les participants sont unanimes quant à la pluralité des données de santé, soulignant qu’elles sont omniprésentes. Elles se retrouvent dans les résultats et comptes-rendus d’examen, sur les ordonnances et même dans les ordinateurs des médecins (quand ces derniers en possèdent un).
Perçues comme des éléments sensibles, les données de santé suscitent des inquiétudes chez certains participants, notamment quand elles sont numérisées, craignant qu’elles ne puissent être piratées.
Et si la grande majorité des citoyens, soit 64 %, déclarent opter pour le partage de leurs données de santé lors d’hospitalisations et de consultations reconnaissant la valeur cruciale de ces données dans la continuité des soins, 70 % des citoyens font état de difficultés pour accéder à leurs historiques d’analyses et de radiologie, mettant en lumière des lacunes dans l’accès aux informations de santé essentielles.
Pour ce qui est de la propriété des données, la quasi-totalité des personnes questionnées, soit 87 %, manifeste le souhait d’être reconnue en tant que propriétaire légitime de ses données de santé et aspire à exercer un contrôle sur leur utilisation et leur partage. Ce fort sentiment souligne la nécessité d’établir un système plus transparent et axé sur les besoins du patient.
Pratiquement tous les participants à l’étude, soit 94 %, sont en faveur du partage de leurs informations avec leurs médecins traitants. De plus, la moitié d’entre eux (50 %) expriment le souhait de partager leurs données avec leur assurance-maladie, tandis que moins de 30 % se montrent prêts à les partager avec des autorités administratives ou des acteurs privés.
Ces retours montrent clairement chez les citoyens le désir d’un système de santé plus inclusif qui promeuve la transparence et respecte la confidentialité. Ils soulignent également la nécessité de systèmes d’information de santé qui non seulement sécurisent les données, mais qui les rendent également facilement accessibles aux patients et aux professionnels de santé autorisés.
Gouvernance du dossier médical national : le public en odeur de sainteté
Selon le livre blanc présenté cette semaine, la mise en place d’un dossier médical national requiert une gestion fiable et compétente. À travers notre enquête, nous avons recensé les opinions des différents acteurs de la santé sur l’entité qu’ils perçoivent comme la plus apte à assumer cette responsabilité.
Le ministère de la Santé et de la Protection sociale est largement plébiscité, avec 72 % des patients et 82 % des établissements de santé qui soutiennent cette option, affirmant son rôle de leader dans la gestion des initiatives de santé publique.
Les organismes d’assurance-maladie reçoivent l’approbation de 29% des établissements de santé, reflet de leur rôle quotidien dans le traitement des données de santé.
La proposition d’un nouvel organisme public est soutenue par 25 % des patients qui expriment un intérêt pour une institution entièrement dédiée à la gouvernance des données de santé.
L’implication d’organismes privés n’est envisagée favorablement que par une minorité de patients (8%) et d’établissements de santé (11 %), révélant une certaine réticence à privatiser la gestion des données de santé.
Ces résultats mettent en évidence un fort consensus en faveur d’une gouvernance publique du dossier médical national, tout en ouvrant la discussion sur l’opportunité de créer une agence de la santé numérique spécialisée, axée sur l’innovation et la spécialisation numérique.
Les organismes privés reçoivent un appui limité, indiquant des inquiétudes potentielles concernant la privatisation de la gestion des données de santé sensibles.
D’autres acteurs mentionnés montrent une préférence pour une approche plus diverse et potentiellement innovante, même si ces options ne reçoivent qu’un soutien minoritaire.
La préférence marquée pour une gestion par des entités publiques, notamment le MSPS et potentiellement une agence de la santé numérique, souligne le désir d’une gouvernance transparente et sécurisée des données de santé. L’introduction d’une agence de santé numérique pourrait combiner l’autorité du ministère avec une expertise spécialisée en technologie de la santé, offrant ainsi une solution optimale.
Faire de la sécurité et la confidentialité des données une priorité
Tous les acteurs consultés sont conscients que les données de santé des patients sont sensibles et précieuses, ce qui fait d’elles une cible potentielle des cyber-attaques, et la mise en place d’un DMP national risque de rendre les données personnelles des patients plus vulnérables. Une approche renforcée de la sécurité des données est donc nécessaire, car en plus du partage des données, le DMP implique la consolidation des données médicales provenant de plusieurs sources.
La confidentialité des données de santé est essentielle pour établir la confiance des patients. Cette préoccupation a été constamment soulevée au cours de nos divers échanges et s’est systématiquement manifestée dans les réponses obtenues durant nos enquêtes de terrain.
La sensibilisation à la protection des données personnelles est essentielle, particulièrement au Maroc où l’éducation sur ce sujet n’est pas encore pleinement développée. La digitalisation et le partage des données de santé via un DMP national soulèveront des interrogations sur l’utilisation de ces données. Il est donc crucial de lancer des programmes de sensibilisation pour informer les citoyens sur la confidentialité des données de santé et les mesures de sécurité mises en place pour les protéger. Cette démarche peut contribuer à éduquer nos concitoyens sur l’importance de la protection de leurs données médicales et à instaurer la confiance dans les systèmes de santé numériques.
Pour renforcer la confidentialité des données de santé et protéger les droits individuels, il est nécessaire de se conformer à la directive nationale de sécurité des systèmes d’information. Et sans être une condition préalable au lancement du DMP, il serait opportun d’harmoniser cette loi avec les normes internationales et d’accélérer les travaux de convergence en cours avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne.
Par ailleurs, en matière de stockage et de sauvegarde, le chiffrement des données et des communications est indispensable pour protéger les informations sensibles pendant leur transfert et leur stockage. Des audits de sécurité réguliers, des mises à jour de logiciels et une surveillance constante sont essentiels pour détecter et prévenir les menaces. La sensibilisation des professionnels de santé, du personnel administratif et des patients aux bonnes pratiques en matière de sécurité des données joue également un rôle important pour éviter les erreurs humaines.
De plus, un stockage sécurisé des données est indispensable, incluant des mesures comme le cryptage et le recours à des serveurs en nuage. Il est également important de prendre en considération la durée de conservation des données et de spécifier un délai raisonnable au-delà duquel les données doivent être supprimées du système. Étant donné que les données de santé personnelles peuvent être considérées comme des données «à vie», les politiques de conservation des données relatives aux dossiers de soins ne doivent pas créer de lacunes dans les dossiers de santé longitudinaux.
Des précautions relatives à l’hébergement des données du DMP doivent être prises, notamment quant au choix de l’hébergeur, qui doit pouvoir justifier d’un niveau très élevé de certification en matière de stockage de données de santé : certification ISO 27001, certification HDS (hébergeur de données de santé), etc.
La politique globale de sécurité des données devra également tenir compte des supports de transfert des données (clés USB, disques durs externes, routeurs, serveurs et bases de données) et de l’évolution de l’écosystème de l’innovation en matière de santé, et elle devra garantir la disponibilité continue des données de santé en tout temps.