La mise en place d’un Fonds de gestion de la lutte contre le Covid-19 a pour première vocation d’absorber la première onde de choc sanitaire et sociale, et dans un second temps palier les répercussions de la pandémie sur l’économie nationale. Mais le Maroc gagnerait-il à transformer cet instrument de financement en Fonds souverain ? La question mérite d’être posée.
Dès le 15 mars 2020, le Maroc a mis en place un instrument de financement des mesures de lutte contre les effets du Covid-19, des effets qui n’ont pas tardé d’ailleurs. En effet, le Roi Mohammed VI avait donné ses hautes instructions au gouvernement pour créer un fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie du coronavirus doté de 10 Mds de DH alloués du budget général de l’Etat et de 1,5 Md de DH comme contribution des régions.
L’élan de solidarité et les dons aussi bien des institutions que des particuliers a été sans précédent. Les ressources totales de ce fonds jusqu’au vendredi 24 avril, ont atteint un total de 32 milliards de dirhams.
En plus de financer la riposte marocaine anti-Covid-19, immédiatement mais également sur le court terme, le Fonds devra assurer une stabilité du budget de l’Etat. Et devient ainsi un acteur majeur de l’économie marocain. Mais qu’en adviendra-t-il de cet outil à la fin de la crise provoquée par le Covid-19 ? Le Maroc ne gagnerait-il pas à le transformer en un Fonds souverain, d’autant avec la forte probabilité de recrudescence des chocs externes ?
Interpellé sur cette question, Mihoub Mezouaghi, le directeur de l’AFD au Maroc estime que cette transformation pose pour le moins deux questions : cela supposerait qu’il soit suffisamment liquide pour être activé à tout moment en cas de crise et cela créerait in fine un second circuit de redistribution pouvant conduire à une perte de cohérence, voire à une duplication de transferts monétaires.
« Au regard de l’expérience présente, ne serait-il pas alors plus simple d’ouvrir en cas de besoin un compte d’affectation spéciale au sein du budget – comme cela est le cas du fonds Covid – tant il a montré une certaine efficacité dans la mobilisation et la redistribution de ressources. Il pourrait en revanche être couplé à un fonds de garantie qui pourrait être abondé par un spectre le plus large possible pour assoir un mécanisme de solidarité nationale », poursuit Mihoub Mezouaghi.
Pour le haut responsable, un fonds souverain suppose de porter des investissements de long terme, que le secteur bancaire n’est pas en mesure de financer. Et il y en a bien une piste qui pourrait justifier un réel fonds souverain. La sortie de crise supposera une adaptation, voire une reconversion, de l’économie marocaine à une nouvelle économie mondiale.
Pour sa part, Najib Mikou, expert en prospective et études stratégiques, estime que la relance doit fait l’objet d’un programme national global dont le financement met en relief l’opportunité et la pertinence pour le Maroc de se doter d’un fonds souverain d’investissement qui aura la part du lion dans le financement d’investissements futurs dans les différents secteurs stratégiques. Un fonds qui offre la possibilité aussi bien aux personnes physiques que morales de s’engager dans des projets garantis par l’État et générateurs de bénéfices ou d’un revenu annuel fixe.
Le Fonds sera ainsi un levier de mobilisation d’épargne et de financement aussi bien sur le plan national qu’international. Sur la modalité de gestion d’un tel fonds, Najib Mikou suggère qu’il prenne la forme d’une société anonyme dont les obligations sont négociées à la Bourse de Casablanca, ce qui permettra de garantir toutes les conditions de transparence et de suivre les résultats par les actionnaires, et leur permettre de vendre ou d’acheter librement leurs obligations.
Il nous ne manque pas ici de signaler qu’une expérience du genre mais exclusivement dédiée à l’économie verte a été menée par le Maroc depuis 2016. En effet, à travers le fonds souverain d’investissement Ithmar Capital, le pays a signé avec la Banque Mondiale un mémorandum d’entente pour le lancement de la première plateforme d’investissement verte à l’échelle continentale « Green Growth Infrastructure Facility for Africa »
Les fonds souverains séduisent et inquiètent à la fois
Il existe plusieurs catégories de fonds souverains, qui sont des fonds d’investissement appartenant à un État et financés par les excédents de l’activité économique d’un pays.
Marie Brière, responsable du Centre de recherche pour les investisseurs chez Amundi et professeure associée à l’Université Paris Dauphine estime qu’on peut les classer en deux grandes catégories selon leur rôle. Les premiers ont une fonction de stabilisation du budget de l’État. Dans la seconde catégorie on range les fonds qui ont une fonction de réserve, c’est-à-dire qui servent à financer les dépenses à venir. Il peut s’agir du financement des retraites, mais aussi du soutien aux entreprises locales ou de l’investissement dans des technologies innovantes. L’objectif d’un fonds de réserve consiste à transformer une ressource épuisable en une ressource pérenne, et à trouver un relais de croissance pour les générations futures.
« En pratique, l’organisation des différents fonds varie d’un pays à l’autre. Certains, comme le fonds norvégien, cultivent cette double dimension : ils sont à la fois fonds de stabilisation et fonds de réserve. Le Chili, lui, a choisi de créer deux structures distinctes : un fonds de stabilisation et un fonds de réserve », explique-t-elle dans un entretien accordé à la revue Politique Internationale.
Depuis la création du premier fonds souverain par le Koweït en 1953, les fonds souverains sont parmi les grands acteurs de la globalisation financière avec 37.190 milliards de dollars selon Investment Company Institute et les fonds de pension dont les actifs totalisent 24 225 milliards de dollars selon l’OCDE. La taille des fonds souverains a plus que doublé depuis 2007, alimentant ainsi des inquiétudes notamment sur le mode de leur gestion et leurs objectifs.
De l’avis de l’ancien ministre français Hubert Védrine, « Les fonds souverains sont l’un des visages de la globalisation, de la dérégulation et surtout de la financiarisation à tout-va de l’économie. De la dollarisation aussi, sans oublier bien sûr la numérisation et la digitalisation de l’ensemble des activités. Dans ce monde nouveau, certaines tendances se perpétuent…
Egalement intervenant dans un dossier spécial de Politique Internationale consacrée aux Fonds souverain, il poursuite « De même, il faut comprendre leur mode de fonctionnement, même s’il est plus ou moins opaque : la nature de leurs investissements, la taille de leurs opérations, la durée de leur présence dans tel ou tel secteur ou dans tel ou tel pays… Il faut se pencher également sur leurs règles de gouvernance : qui les pilote, et avec quelle marge de manœuvre par rapport à leurs gouvernements respectifs ? Et dans quels domaines investissent-ils ? S’agit-il de fonds spéculatifs gérés par des États ? D’instruments d’influence politique ? ».
Faudrait-il pour autant marquer tous les fonds au fer rouge et jeter l’eau de bain avec le bébé ?
Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre français est d’un tout autre avis sur le sujet. Pour lui, « les fonds souverains sont devenus des leviers par excellence au service des États. D’ailleurs, de plus en plus d’organismes qui ne sont pas des fonds souverains cherchent à s’en inspirer et cultivent un mode de fonctionnement assez similaire. C’est le cas notamment des banques de développement, dont certaines repoussent sans arrêt les frontières, à la fois en attirant de nouveaux partenaires et en investissant dans de grands programmes internationaux ».
D’ailleurs, la pertinence de ces fonds a été souvent mise à l’épreuve pour ne citer que la récente crise économique mondiale.
« De l’avis général, lors de la crise des subprimes qui a démarré en 2007 aux États-Unis pour s’étendre ensuite au monde entier et provoquer un véritable séisme financier, l’appui des fonds a été précieux. Ils ont permis de réinjecter des liquidités dans des économies occidentales qui ne pouvaient plus s’appuyer sur le système bancaire classique, estime pour sa part William Bourdon, Avocat français et ancien secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’homme sur Politique Internationale.
Avec bientôt 70 ans d’activité, il existe une importante littérature sur les fonds souverains que si le Maroc, pays régulièrement à l’affut de nouveaux financements notamment en allant sur le marché international, décidait de créer son propre fonds souverain, il aura l’embarras du choix concernant les retours sur expériences et les voies à explorer pour créer son propre modèle.
En tout cas, la question mérite d’être posée !