Interviewé par Imane Bouhrara |
Coordonnateur national en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement de terrorisme, l’ANRF (Autorité nationale du Renseignement financier) a joué un rôle central dans la coordination et la mobilisation de tous les partenaires nationaux concernés, afin de mettre en œuvre le plan d’action convenu avec le GAFI dans les délais impartis. Son président, Jawhar Nfissi, revient sur la démarche engagée par le Maroc depuis l’adoption du rapport d’évaluation mutuelle en avril 2019, pour sortir de la liste grise du GAFI. Il détaille toutes les retombées de cette sortie pour le Maroc.
EcoActu.ma : Dans un esprit de vulgarisation, qu’est-ce que la liste grise du GAFI et en quoi le fait de figurer dans cette liste pénalisait-il le Maroc ?
Jawhar Nfissi : Le GAFI est l’Instance internationale chargée de la mise en place des normes relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le terrorisme, la prolifération des armes et leur financement. Ce Groupe est par conséquent le régulateur international en matière de LBC/FT, il assure ainsi le suivi des pays pour garantir la mise en œuvre des normes internationales par l’ensemble des juridictions.
C’est ainsi que le GAFI a une méthodologie d’évaluation pour affecter des notations aux dispositifs de LBC/FT des pays permettant de statuer sur le degré de leur conformité aux normes de ce Groupe.
Le GAFI a ainsi des critères selon lesquels il estime que le pays est éligible ou non à un processus de suivi renforcé, ce qui est communément connu par « liste grise ».
Lorsque le GAFI place un pays sous suivi renforcé, cela signifie qu’il doit s’engager à remédier aux lacunes stratégiques identifiées dans les délais convenus. Le GAFI et les organismes régionaux de type GAFI, le GAFIMOAN pour le cas du Maroc, continuent de travailler avec les pays sous suivi renforcé qui adressent, selon une périodicité très rapprochée (3 fois par an), des rapports sur les progrès accomplis pour remédier aux lacunes stratégiques identifiées.
Le Maroc a été placé sous suivi renforcé par le GAFI suite à l’évaluation mutuelle effectuée par le GAFIMOAN en 2018, et dont le rapport a été adopté en avril 2019.
Les résultats de ladite évaluation l’ont rendu éligible au processus de suivi renforcé du GAFI. Ainsi, après la fin de la période d’observation en octobre 2020, le Maroc a arrêté avec le GAFI un plan d’action qui s’articule autour de huit axes, en date du 25 février 2021.
Selon les normes du GAFI, figurer sur la « liste grise » est de nature à impacter négativement la réputation du système économique et financier des pays, à travers notamment le recul des investissements nationaux et étrangers, l’augmentation des frais des opérations bancaires et commerciales et l’élargissement de leurs délais, le retard du déblocage de lignes de crédit étrangères, en plus des conséquences défavorables sur le climat des affaires et les négociations avec les instances internationales.
Quels ont été les efforts consentis par le système financier et non financier pour en sortir ?
Les dispositions de la loi n°43-05 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux telle que modifiée et complétée s’appliquent aux secteurs financier et non financier dont les acteurs sont supervisés et contrôlés par les Départements ministériels et organismes concernés dénommés « Autorités de Supervision et de Contrôle ».
Ainsi, les Départements ministériels et Organismes concernés dont les autorités de supervision et de contrôle du secteur financier et non financier ont procédé au déploiement de l’approche basée sur les risques, au niveau national et sectoriel, à l’élaboration des textes réglementaires et des guides didactiques pour rendre aisée l’application de la loi, à la multiplication des actions de formation et de sensibilisation des personnes assujetties, au renforcement des contrôles sur pièces et sur place ainsi que l’application, le cas échéant, des sanctions en cas de manquement aux dispositions en vigueur.
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Quel a été le rôle de l’ANRF dans cette dynamique de convergence vers les standards internationaux ?
L’ANRF est le coordonnateur national en matière de LBC/FT, et ce en vertu de la loi n°43-05 précitée.
Elle a ainsi joué un rôle central dans la coordination et la mobilisation de tous les partenaires nationaux concernés, afin de mettre en œuvre le plan d’action convenu avec le GAFI dans les délais impartis.
L’ANRF a coordonné les travaux de la Commission Nationale mise en place conformément aux Hautes Directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et présidée par le Chef de Gouvernement.
La Commission est composée de l’ensemble des Départements ministériels et Organismes concernés par la LBC/FT.
Ainsi, l’ANRF a coordonné la mise en œuvre des actions du plan convenu avec le GAFI, au niveau national et sectoriel.
Dans le cadre de ses attributions, l’ANRF a piloté tout le processus d’évaluation depuis 2018 jusqu’à 2023 et conduit les délégations marocaines aux différentes réunions du GAFI et du GAFIMOAN au cours desquelles les rapports de suivi du Maroc ont été discutés et adoptés. L’ANRF a également élaboré lesdits rapports selon les canevas et les normes requis par le GAFI.
Par ailleurs, l’ANRF a assuré l’accompagnement des acteurs du secteur public et privé dans la mise en œuvre des dispositions légales.
L’ANRF a également présidé et coordonné les travaux d’élaboration et de mise à jour des rapports d’évaluation nationale des risques, adoptés par le Chef du Gouvernement respectivement en 2019 et 2021.
Quels sont les impacts attendus de cette sortie de la liste grise pour le système financier marocain ?
L’impact positif de cette décision peut être appréhendé à partir des éléments suivants :
- Renforcement de la crédibilité et de l’intégrité du système financier national
La sortie du Royaume du Maroc de processus du suivi renforcé a pour effets :
- D’améliorer les relations de coopération entre les institutions financières nationales et étrangères, à travers le renforcement des flux d’échange financier et commerciaux ;
- D’encourager les institutions financières étrangères à s’implanter au Maroc et ouvrir la voie aux institutions financières marocaines à s’établir à l’étranger ;
- De prévenir et maitriser les risques et les menaces de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme qui pèsent sur les secteurs financier et non financier ;
- De favoriser au niveau du secteur bancaire, la rapidité et la fluidité des transferts de fonds dans le cadre du commerce international ainsi que des transferts privés , notamment des Marocains Résidant à l’Etranger-MRE ;
- D’améliorer les notations attribuées aux institutions financières nationales par les agences internationales spécialisées.
- Amélioration des capacités de négociation auprès des institutions financières internationales
- Cette décision conforte la position du Royaume du Maroc dans les négociations visant à lever des fonds et à obtenir des lignes de financement auprès des institutions financières internationales et régionales (FMI, Banque Mondiale, etc.).
- Amélioration de l’environnement des affaires
- Cette décision a pour effet de renforcer le caractère attractif de l’économie marocaine et encourager les investisseurs étrangers, notamment à travers les investissements directs étrangers à s’implanter au Maroc. En effet, la conformité du dispositif national aux standards internationaux indique la stabilité économique et financière et un environnement favorable des affaires pour les investisseurs.
- Ces sources de financement ainsi que les investissements directs étrangers impactent positivement la balance des paiements en réduisant le déficit de la balance commerciale et améliorant ainsi les réserves de change.
- Renforcement du positionnement du Maroc au sein des instances internationales et régionales (GAFI, GAFIMOAN, Groupe Egmont, ONU, Union Européenne, Conseil de l’Europe, etc.)
- Cette décision permet une meilleure contribution et présence au sein de ces instances, ainsi que la publication de rapports favorables sur la stabilité et la crédibilité du système économique et financier national par ces instances.
Le Maroc a réitéré son engagement fort de poursuivre la consolidation des acquis au niveau de la protection du système financier national. Quels sont les défis futurs, particulièrement numériques (actifs virtuels-cyber-attaques), qui vont ponctuer les efforts du système financier marocain pour renforcer sa résilience à l’avenir ?
Les efforts déployés par le Royaume du Maroc s’inscrivent dans une approche durable. Ainsi, une vision stratégique intégrée et multidimensionnelle a été adoptée.
Elle s’inscrit dans la continuité de la démarche engagée depuis l’adoption du rapport d’évaluation mutuelle en avril 2019.
Cette vision stratégique est principalement axée sur les orientations suivantes :
- Un suivi permanent et continu de l’évolution des normes internationales est assuré par l’ANRF.
- Une mobilisation forte et une coordination soutenue entre tous les différents acteurs nationaux concernés, seront maintenues et renforcées, aussi bien sur le plan préventif que répressif.
- Une approche proactive pour mettre en œuvre les normes internationales pour anticiper et préparer les prochaines évaluations, en raison de la nature évolutive des standards internationaux et des cycles des évaluations mutuelles périodiques.
- La prise en charge de la dimension technologique comme axe fondamental de la prochaine étape, notamment en raison de la nature évolutive de la criminalité financière et de l’émergence des risques liés aux nouvelles technologies, aux actifs virtuels et à la cybercriminalité.
- Le renforcement de l’efficacité du dispositif national de LBC/FT, dans ces volets préventif et répressif, tout en renforçant les indicateurs d’efficacité, tels que décrits dans la méthodologie du GAFI et mesurés à travers les 11 résultats immédiats de ce Groupe.
Ainsi, le dispositif national de LBC/FT est d’ores et déjà en mesure de prendre en charge les évolutions potentielles et de relever les défis futurs de la lutte contre la criminalité financière qui revêt un caractère stratégique et institutionnel permanent.