Ecrit par Soubha Es-Siari I
Réinitialiser les compteurs des prévisions de croissance économique suite au séisme qui a frappé la région d’Al Haouz serait aller vite en besogne. Il est prématuré de tirer des conclusions tant que l’évaluation de l’impact réel de cette tragédie sur un cadre plus global n’est pas encore déterminé.
Les scénarios prévisionnels pour l’exercice 2023 des différentes institutions tablent sur des taux de croissance au Maroc oscillant entre 3,3% et 3,4%. Ces prévisions un peu différenciées sont fondées sur un certain nombre de facteurs aussi bien d’ordre interne qu’externe. Sur le plan interne, nous pouvons citer le déficit hydrique, les séquelles de la crise sanitaire sur certains secteurs productifs, le resserrement de la politique monétaire. Sur le plan externe, il s’agit essentiellement de la récession de l’économie mondiale, de la flambée des prix, des ruptures des chaînes d’approvisionnement et bien entendu des retombées négatives de la guerre russo-ukrainienne.
Depuis la nuit du vendredi 8 septembre, une nouvelle donne s’est ajoutée à tous ces facteurs. Il s’agit du séisme d’Al Haouz qui a frappé de plein fouet la région causant des dégâts humains mais également matériels.
Pour faire face à la situation, un compte a été ouvert auprès de Bank Al-Maghrib pour toutes les contributions volontaires de solidarité. Ce compte sera destiné principalement à financer les dépenses relatives au programme d’urgence pour la réhabilitation et la reconstruction. A ce titre, il est utile de rappeler que la première version du programme intégré et multi-sectoriel, étalé sur 5 ans, présenté devant le Souverain, couvre les six provinces et préfecture affectées par le tremblement de terre (Marrakech, Al Haouz, Taroudant, Chichaoua, Azilal et Ouarzazate), ciblant une population de 4,2 millions d’habitants est doté d’un budget de 120 Mds de DH sur 5 ans.
Ce programme comprend des projets visant, d’une part, la reconstruction des logements et la mise à niveau des infrastructures touchées, conformément au dispositif d’urgence décidé lors de la réunion du 14 septembre, et d’autre part, le renforcement du développement socio-économique dans les zones ciblées.
Mais pas que. Pour faire face aux conséquences de cette tragédie, le Maroc serait obligé d’appuyer sur la pédale de l’endettement. Le FMI a ouvert le bal avec un prêt de 1,3 Md de dollars. D’autres institutions pourraient en faire de même. Ce qui ne manquerait pas d’impacter davantage l’endettement public du Maroc qui frôle déjà les 80% du PIB. La Loi de Finances 2023 table sur un déficit public de 4,3% (5,3% du PIB en 2022). Cet objectif risque d’être entravé non seulement par une éventuelle hausse de la dette publique mais également par le rehaussement du niveau d’investissement public dans les infrastructures, l’éducation ou la santé. A moins que ces hausses soient comptabilisées en 2024 et du coup, ce sont les objectifs du PLF 2024 qu’il faudrait réviser.
En sus des finances publiques qui seraient sous pression, certains secteurs pour ne citer que le tourisme et l’artisanat seraient affectés par le séisme. Depuis son déclenchement, nombreux sont les opérateurs touristiques qui ont tiré la sonnette d’alarme suite aux annulations massives des réservations.
Malheureusement, ces annulations ne se limitent pas uniquement à la région de Marrakech mais à toutes les villes du Royaume comme annoncé par Cherif Alami président du CRT Casablanca-Settat sur le micro de Luxe Radio. Il obtempère ses propos par la confirmation de la tenue des Assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale du 9 au 15 octobre à Marrakech qui ont permis à tous les hôtels de la ville ocre d’afficher complet durant cette période. A rappeler que le secteur du tourisme a repris à vive allure aprés la pause pandémique enregistrant une progression de ses recettes de plus de 150% sur les 10 premiers mois de l’année en cours.
Les autres villes ne sont pas logées à la même enseigne. Elle auront besoin de temps pour retrouver le rythme d’avant le séisme. Mais d’une manière globale, le tourisme représentant 7% du PIB serait affecté et pas exempt d’impact sur les réserves de change, sur la balance des paiements et in fine sur la croissance économique.
En revanche, un secteur pourrait se redresser grâce à ce programme de relogement et de réhabilitation des zones sinistrées et n’est autre que le BTP. En guise de rappel, le secteur du BTP n’a pas échappé au contexte économique, national et international, qui a prévalu au cours de ces dernières années. En 2022, ce secteur a continué de faire face à plusieurs défis à caractère exogène et hors de contrôle par les opérateurs du secteur si bien que les carnets de commande des entreprises opérant dans cette activité trouvent du mal à se redresser.
Les raisons de cette faiblesse sont imputées au contexte inflationniste qui a prévalu au cours de cet exercice. Même la demande pour l’acquisition de logement neuf s’est rarifiée et la commande publique notamment celle en provenance des collectivités locales est encore hésitante. A quelque chose malheur est bon. le secteur du BTP pourrait ainsi tirer profit de cette situation chaotique.
Le secteur des industries manufacturières, autre activité déterminante de ce profil de croissance, contribuerait à l’évolution globale du PIB avec un taux appréciable de sa valeur ajoutée aux prix constants d’environ 3,2%. L’activité des industries extractives qui connaît présentement une conjoncture florissante à la faveur de la tendance haussière des cours du phosphate et de la bonne orientation de la demande extérieure, devrait continuer sur cette trajectoire tout le long de l’exercice 2023.
Bien que nous nous sommes focalisés sur les secteurs les plus productifs, tirer la conclusion que le séisme serait d’un impact modeste ou important sur la croissance économique en 2023 ou en 2024 serait aller vite en besogne. Il faut attendre l’évaluation des dégâts matériels et jusqu’à quel degré seront-ils couverts par le Fonds de solidarité des évènements catastrophiques (FSEC), la part qui sera couverte par les compagnies d’assurance et son impact sur les compagnies en tant qu’investisseurs institutionnels gros contributeurs à l’épargne nationale. Le volume d’endettement face au sinistre.
Face à cette situation et au vu de ce qui précède, trouver un compromis efficace entre la politique monétaire et la politique budgétaire pour sauver la croissance est tout le mal que nous souhaitons à nos politiques.
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