Ecrit par Imane Bouhrara |
Quelle sera demain la place de l’Afrique dans le concert des nations ? Une question très difficile abordée lors d’un webinaire de l’Institut CDG. Les différents intervenants ont évoqué nombre de leviers mais également de freins qui s’érigent devant le plus grand et riche continent de la planète terre, dont l’avenir reste largement conditionné par des tendances lourdes mais également des germes de changement déterminants. Un continent perçu juste comme un grand marché des matières premières à bon prix.
« L’Afrique, le continent de demain ? », telle est la thématique du webinaire organisé ce 15 juin par l’Institut CDG auquel ont pris par Alioune Sall, le fondateur et directeur de l’Institut des futures africaines, Asma Charki, Executive Partner à Mazars, Marion Scappaticci, fondatrice d’Hinterlands et Taoufiq Marzouki Zerouali, Directeur général de Novec (Groupe CDG). Evénement modéré par Aziz Boucetta, le Directeur de publication du Panorapost.
Pour Alioune Sall, le fondateur et directeur de l’Institut des futures africaines, l’avenir n’est pas une simple prolongation des tendances lourdes actuelles, puisqu’il y a les germes de changement qui vont infléchir ces tendances même les plus confirmées. Toujours est-il que « la physionomie de demain dépendra des éléments constituants d’aujourd’hui », affirme-t-il avant d’ajouter qu’il n’y a pas une réponse mais des réponses africaines à cette question.
Pour Marion Scappaticci, Fondatrice d’Hinterlands, il y a tout de même dans ce paysage très hétérogène qu’est l’Afrique, un dénominateur commun : la nouvelle génération. Pour elle « La nouvelle génération, aussi bien de la diaspora que locale, est de plus en plus impliquée dans les projets publics, avec de plus en plus de projets créateurs d’emplois et de communauté… ».
Mais une ombre assombrit le tableau puisque M. Scappaticci cite l’exacerbation des conflits sociaux par le creusement des inégalités s’ils ne sont pas traités.
« Je pense aussi au besoin inconditionnel et plus fort bien au-delà de l’Afrique mais particulièrement en Afrique de leadership et d’exercice politique face à ces inégalités, aux conflits sociaux et aux besoins pour les prochaines années. La différence avec le passé est l’avènement du numérique favorisant la démocratie participative… la voix est libre ».
Ces challenges, de l’avis d’Asma Charki, Executive Partner à Mazars, peuvent justement activer une certaine convergence entre les différents pays africains pour œuvrer pour l’avenir de l’Afrique.
« Dans l’immédiat, je la vois comme une Afrique prospère, une Afrique qui, au lieu d’une présomption de fragilité, montre une forte résilience dans la gestion de la pandémie, et qui a la capacité de sortir de cette crise et d’infléchir la courbe de croissance de manière résiliente », explique A. Charki.
Cela dit « Avec toute la richesse et le patrimoine qu’elle recèle, l’Afrique ne s’est pas encore transformée. Et l’un des défis pour le continent pour les 5 ou 10 années à venir est d’opérer sa transformation industrielle, technologique à forte valeur ajoutée et assurer des prestations de services les plus innovants », constate-elle. Et cela passe, à son avis, par l’intégration économique du continent notamment à travers l’activation de la Zlecaf et l’interaction entre les différents pays africains pour créer une valeur ajoutée qui va impérativement impacter la croissance pour les prochaines années.
A condition bien évidemment de ne pas rater cette fenêtre démographique dont dispose le continent, un potentiel humain qu’il faut saisir, valoriser et mettre à contribution du développement du continent.
En finir avec l’image d’un marché de matières premières à bon prix
Bien évidemment, certaines réalités ont la peau dure mais il faudrait bien d’activer à en finir. Notamment l’image qu’on se fait du continent, le renforcement de l’accès aux services de base pour ne pas créer des fractures entre différents groupes sociaux, anticiper l’urbanisme et surtout écouter la jeunesse. Dans ce sens Taoufiq Marzouki Zerouali, Directeur général de Novec (Groupe CDG) relève que « Le pessimiste dirait que l’Afrique ne pèsera pas ou ne sera pas un acteur économique important sur l’échelle mondiale. Il est certain que les incertitudes qui pèsent sur l’avenir sont important. Moi, je dirai que l’Afrique sera ce que les Africaines et les Africains en feront. A l’ère digitale et numérique, des réseaux sociaux, de la mondialisation, les populations sont très bien informées et les gouvernements sont conscients des enjeux et de leur position économique et sociale ».
Pour le conférencier, dans les 5, 10 ou 20 prochaines années, l’Afrique sera vraisemblablement plus développée, mais peut-être pas totalement à la hauteur des aspirations des populations.
« L’Afrique continent éternelle, berceau et salut de l’humanité comme vous le savez le plus vieux et le plus vaste avec 30 millions de Km2, nous abritons 1,3 mds d’habitants, plusieurs civilisations millénaires… une richesse et une diversité importante que ce soit au niveau des religions et des ethniques et elle a l’un des taux de fécondité les plus élevées pour avoir une jeunesse productive…richesses naturelles… », soutient T.M. Zerouali. Le contient a des potentiels formidables qui peuvent tout aussi s’exprimer. La construction de l’avenir se fera grâce à une jeunesse en bonne santé et bien éduquée et confiante en ses capacités.
Mais, il alerte sur le défi de réduction de l’analphabétisme voire le réduire à zéro, d’augmentation du taux des personnes diplômées, l’amélioration le taux d’accès aux services de la santé et l’usage des innovations pour dépasser les contraintes spatiales, l’accès à l’eau potable, à l’énergie… il insiste sur ces petites choses qui, réunies, constituent un véritable frein de développement du continent et d’exploitation de son formidable potentiel.
« Il faut rappeler que c’est un continent de femmes et d’hommes et non pas simplement un marché ou une terre de matières premières. Depuis l’industrialisation de l’Europe et la colonisation de l’Afrique, le continent est considéré comme un marché de manières premières pas chères. Mais, récemment avec les taux de croissance et avec le développement du continent, nous serons perçus comme un marché de produits manufacturés. Il est temps, grâce aux forces vives du continent, de travailler à gagner la place que nous méritons au sein du concert des nations », ajoute T. M. Zerouali.
Une aspiration qui n’est pas à portée de main bien que le conférencier estime qu’une Afrique unie dans son immense diversité permettra de relever tous les défis.
« L’Afrique a mis en place nombre d’instances et d’organisation pour unir ses forces, la plus mythique c’est l’UA mais il y a également les communautés économiques régionales comme le CEMAC, l’UEMOA et j’en passe. Il y a des succès et des difficultés conjoncturelles, mais pour moi l’union fait la force. Ce n’est plus un choix mais une nécessité pour relever les challenges à venir ». Et pour lui le principal défi réside dans la transformation économique africaine d’un fournisseur de matière première à celui qui utilise activement ses propres ressources.
Avant de parler d’avenir, regardons le présent
Pour anticiper quel sera l’avenir du continent africain, on ne peut éluder la question du présent : un contexte inédit après plus d’une année de crise sanitaire qui a balloté toutes les économies sans exception, notamment africaine.
Mais pour Asma Charki, la problématique de développement notamment économique du continent est bien antérieure à la crise sanitaire, particulièrement la volatilité de la croissance et sa décorrélation avec l’inclusion socio-économique en Afrique.
« La pandémie a affecté de manière assez significatives les économies africaines, essentiellement leurs ressources financières, notamment recettes fiscales, à travers la variable économique. Ce constat est général pour toutes les économies du monde, mais si on veut focaliser notre réflexion sur les économies africaines, il y a deux particularités importantes qui caractérisent les économies africaines. D’abord, préalablement à l’apparition de la crise covid-19, en dépit d’une croissance africaine moyenne de 4,6%, cette dernière revêtait un aspect volatile parce qu’essentiellement tirée des exportations des matières premières et malgré cette croissance positive, elle n’a pas été inclusive d’un point de vue socio-économique », soutient Asma Charki qui illustre son propos par plusieurs exemples, notamment le nombre d’emplois de qualité qui sont créés, la résorption des emplois vulnérables qui sont passés depuis 2000 de 71 % à 68 % ou encore le poids de l’informel dans le continent qui créé 90 % des emplois.
Le deuxième point évoqué par Asma Charki se situe au niveau de l’endettement dans certains pays africains.
« Certes ça peut refléter le degré de confiance des bailleurs de fonds dans la pérennité de l’économie africaine, mais il traduit un creusement du déficit budgétaire qui va s’aggravant avec un effet boule de neige par l’augmentation du service de la dette, d’une part au niveau des pays producteurs du pétrole, qui sont pénalisés par une certaine atonie des cours des hydrocarbures, et d’autre part, au niveau des pays engagés dans des dépenses massives dans l’infrastructure financée par les prêts. Les déficits budgétaires ce sont tout naturellement accentués sous l’effet de la riposte à la crise Covid à 8,4% en 2020 au lieu de 4% auparavant ».
Et ce n’est pas fini, puisque les pays africains comme dans le reste du monde, doivent maintenir certaines mesures de riposte à la Covid, notamment les garanties au crédit dans les secteurs économiques, l’accompagnement et soutien aux ménages et aux opérateurs économiques. Des mesures d’accompagnement auxquelles s’ajoutent les mesures de la relance économique, voilà qui pèse pour beaucoup sur les caisses des Etats.
« Tous ces éléments conjugués mettent sous pression les marges de manœuvres des gouvernements africains qui doivent, une fois la crise sanitaire maîtrisée et les économies redressées, prioriser le rétablissement de la viabilité des finances publiques », insiste Asma Charki.
Six des plus importantes variables qui conditionnent l’avenir de l’Afrique
Lors de son intervention, Alioune Sall a rappelé que 70 variables ont été identifiées lors de l’élaboration de l’ouvrage Afrique 2025, largement communes aux pays africains malgré leur hétérogénéité. Ces variables entraient dans 6 catégories et influencent grandement le devenir du continent africain.
La première est d’ordre économique : notamment la transformation structurelle des économies africaines.
« Si l’on continue de parler de cette transformation, c’est que précisément, ces économies sont encore très largement rentières. Et qui dit économies rentières, dit évidemment qu’une grande partie de la plus-value qui devrait être générée par cette transformation des matières premières est perdue. Le fait que nos économies soient très largement rentières signifie que les programmes d’ajustement « distructurels » des années 80 promus et poussés par la Banque mondiale et le FMI ont échoué. Si 40 ans après ces programmes on en est encore à insister sur la nécessité de la transformation structurelle des économies africaines, c’est que nos économies n’ont pas réussi encore à faire ce saut qualitatif qui les aurait passées d’économies rentières à des économies productives et du savoir », explique le conférencier, tout en soulignant que des pays sont proches des pays émergents et de la transformation mais la majorité est loin d’avoir atteint ce stade-là.
« Cela veut dire que nos économies sont mal insérées dans l’économie mondiale… la preuve notre part dans le commerce mondiale est allée en déclinant », soutient Alioune Sall.
Une autre catégorie importante à considérer pour l’avenir du continent tourne autour des variables sociales ou sociétales. « Nous sommes en présence de deux rationalités en concurrence notamment celle où le profit est le moteur de tout et celle où l’investissement dans le lien social va revêtir de l’importance. On va d’une certaine manière et à certaines conditions préférer l’investissement en le lien social au lieu du lien économique. Et ces deux rationalités sont en conflit dans la plupart de nos sociétés », soutien A. Sall.
Autre point en commun cité par le conférencier est que nous avons des sociétés à une majorité démographique constituée de jeunes dans des sociétés gérontocratiques ou patriarcales ce qui crée un hiatus entre la majorité démographiques et la majorité sociologiques, qui n’est pas sans créer des tensions.
Ces tensions sont particulièrement vives dans les sociétés urbaines et l’émergence de cultures urbaines est de certaine manière le reflet de ces tensions.
La 3e catégorie a porté sur les variables politiques, les pays africains ne sont pas les héritiers des Etats précoloniaux ni les héritiers de l’Afrique d’hier. Ils sont les héritiers d’Etats coloniaux et la caractéristique de l’Etat colonial c’était d’être autoritaire et d’être plus apte à commander qu’à être à l’écoute des populations, poursuit Alioune Sall.
« Malheureusement, la plupart de nos Etats ont hérité de ce caractère autoritaire de leurs Etats coloniaux. De ce fait, l’Etat africain présente donc très souvent une face de Janus, quelque part il fait force de paraître polissé sinon civilisé par rapport aux normes des puissants de ce monde et va faire tout un tas d’efforts pour être le bon élève des démocraties occidentales. Mais cet Etat capable de s’évertuer pour paraître acceptable pour les normes de la soi-disant communauté internationale va se montrer parfaitement autoritaire et sourd très souvent aux revendications des masses. Ce double aspect me fait parler de Janus de la mythologie », explique-t-il.
Mais il a une caractéristique cet Etat, évoqué par un sociologue américain à propos des Etats-Unis et c’est tout aussi pour l’Afrique, l’Etat postcolonial est souvent trop grand pour les petites choses, et trop petit pour les grandes choses.
« Le Jacobinisme dont on a hérité du colon est quelque chose de tout à fait contreproductive à l’heure actuelle. A l’inverse on voit bien qu’aucun des pays africains n’est capable de faire face à lui-seul aux problèmes tels que ceux de la sécurité globale ou la sécurité sanitaire… », poursuit A.S.
Il y a là un problème important à prendre en compte pour l’avenir : est-ce que l’Etat postcolonial saura basculer pour ne plus être cet Etat autoritaire postcolonial et devenir un Etat stratège c’est-à-dire qui peut faire ce que d’autres ne peuvent pas faire ?
L’autre catégorie importante est l’environnement puisque nous sommes dans des pays où beaucoup de groupes sociaux vivent de l’exploitation de la biomasse et malheureusement nous subissons de plein fouet les effets de la péjoration climatique même si nous sommes des pays les moins contributeurs à cette péjoration.
Il faut prendre en compte la variable climatique, ensuite la variable culturelle car on ne peut pas parler de l’avenir sans parler de la diversité culturelle africaine et enfin l’avenir des technologies dans notre continent à l’heure où le monde est entré dans la 4e révolution industrielle.
Peut-on rattraper ce retard ? Peut-on faire du leapfrogging ? Je crois que ce sont ces 6 catégories de variables qu’il faut avoir à l’esprit lorsqu’on évoque la question de l’avenir de l’Afrique, conclut Alioune Sall.