Ecrit par Lamiae Boumahrou I
La réforme de la compensation, bien que nécessaire, suscite plusieurs appréhensions. Parmi lesquelles, le risque de monopole, d’entente sur les prix, de non-application des fluctuations à l’international sur les prix de ventes… bref le risque de voir se reproduire le scénario des hydrocarbures. D’où la question : les conditions de la concurrence sont-elles réunies pour mener à bien le processus de libéralisation ?
S’il y a bien une réforme que les gouvernements qui se sont succédé appréhendaient c’est bien celle de la décompensation. Et pour cause, il s’agit d’une réforme impérative certes mais anti-populaire dont l’impact sur le budget des ménages, particulièrement la population vulnérable et la classe moyenne, risque de peser lourd.
Le gouvernement de Akhannouch a enfin décidé de crever l’abcès en entamant le processus de la décompensation à partir de l’exercice prochain. Il l’a toutefois accompagné, question d’amortir le choc, par le lancement en parrallèle de l’aide sociale directe ainsi que d’autres aides notamment celle du logement.
Ainsi après la réforme partielle de la compensation suite à la libéralisation des hydrocarbures en 2015, le tour est au gaz et au sucre pour ainsi mettre fin au mécanisme de compensation qui depuis des années plombe le budget de l’Etat.
Le Chef du gouvernement avait annoncé au Parlement que la décompensation, qui va impliquer une hausse des prix du gaz butane et du sucre, démarrera 3 mois après l’activation de l’aide sociale directe soit vers avril 2024. Jusqu’à présent, nous ignorons le schéma qui sera adopté par le gouvernement pour mener cette réforme durant les 3 prochaines années.
Mais ce dont nous sommes certains c’est que cette réforme suscite déjà des inquiétudes.
La question qui taraude les esprits est : va-t-on subir le même acharnement que celui infligé par les distributeurs pétroliers aux Marocains qui depuis la libéralisation en 2015 sucent le sang des citoyens sans qu’aucune instance ne bouge le petit doigt ?
Et pourtant SM le Roi avait insisté dans son discours à l’occasion du douzième anniversaire de la fête du trône, du 30 juillet 2011 sur l’impératif de garantir les conditions d’une concurrence loyale.
« Les instances économiques sont chargées de garantir la liberté d’entreprendre et les conditions d’une concurrence loyale, ainsi que la mobilisation des dispositifs de moralisation de la vie publique et des moyens de lutte contre le monopole, les privilèges indus, l’économie de rente, la gabegie et la corruption », fin de citation.
Des voix se sont également levées pour dénoncer les pratiques anti-concurrentielles des distributeurs pétroliers, des rapports ont été établis ayant mis en évidence les abus des gains et des enquêtes de pratiques anti-concurrentielles ont été lancées… mais sans suite. Pas de plafonnement, pas de sanctions, pas d’aboutissement de l’enquête sur les pratiques anti-concurrentielles… Rien.
Le Conseil de la concurrence est pourtant sensé veiller aux respects des lois et à la protection des consommateurs des avidités des distributeurs qui depuis 2015 imposent leur propre loi.
En effet, bien que le conseil ait un pouvoir décisionnel en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de concentration économique, telles que définies dans la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence, son intervention dans ce dossier n’était pas, et n’est pas, à la hauteur des attentes ni du pouvoir que lui procure la législation.
Le Conseil est resté très en retrait alors qu’il dispose de tout le poids juridique et réglementaire pour trancher, une fois pour toute, dans ce dossier.
En juin 2023, et après révision de la loi n°104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence, le Conseil de la Concurrence avait renvoyé à l’instruction le dossier relatif aux éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le marché de la distribution d’hydrocarbures. Le 9 août, le Rapporteur Général du Conseil de la Concurrence adressait une notification des griefs à 9 sociétés opérant dans les marchés de l’approvisionnement, du stockage et de la distribution du gasoil et d’essence (hydrocarbures), ainsi qu’à leur association professionnelle. A ce jour, soit 4 mois après cette notificationn, le décision finale du Conseil n’est toujours pas tombée.
C’est l’inefficience des instruments et des mécanismes de contrôle du marché de la concurrence et le manque de confiance dans les instances concernées par la question qui sont à l’origine des appréhensions de la libéralisation du gaz et du sucre. D’autant que pour le gaz, ce sont quasiment les mêmes acteurs qui interviennent dans le secteur des hydrocarbures.
Pis encore, 50% du marché du gaz butane seraient détenus (directement ou indirectement) par un seul opérateur (nous reviendrons prochainement avec plus de détails). Une situation de monopole qui risque de reproduire le scénario des hydrocarbures au grand dam du consommateur qui va, une fois de plus, être une proie de l’avidité des distributeurs.
Rappelons que pour le gaz butane l’Etat compense la distribution notamment l’écart entre le prix de revient réel incluant notamment les frais et les marges de l’activité et le prix de vente fixé à 3 333,33 DH/T (soit 40DH pour la bouteille de 12 kg et 10 DH pour la bouteille de 3 Kg) ainsi que les frais de transport du gaz butane entre les sources d’approvisionnement et les centres emplisseurs. Le prix de la bonbonne pourrait facilement grimper à 120 voire 140 DH. Les distributeurs auront de la marge sur la distribution ainsi que sur le transport.
C’est pourquoi, il est impératif de garantir un marché loyal où les droits des consommateurs sont garantis et où les abus des distributeurs soient contrés par les lois en vigueur et les instances de contrôle.
Des garde-fous sont donc nécessaires et des engagements actés du gouvernement sont impératifs pour garantir le respect des conditions d’un marché concurrentiel. Car inutile de rappeler que le Chef du gouvernement est juge et partie dans cette affaire étant donné qu’il est le propriétaires du groupe Afriquia Gaz, filiale gazière de Akwa Group. A bon entendeur !