Ecrit par Soubha Es-Siari I
Le passage au flottement pur du dirham dans le contexte actuel peut engendrer une baisse du taux de change qui ne serait pas sans impact sur les prix. Des prix qui au vu du taux de l’inflation pourraient attiser la grogne sociale.
Après un exercice 2023 tumultueux en dépit de la progression prévisible du taux de croissance à 2,7% contre 1,3% en 2022, l’année 2024 s’annonce, toute chose égale par ailleurs, rude.
Sur le plan mondial, les perspectives restent sujettes aux risques persistants liés aux évolutions de la situation géopolitique notamment au Moyen-Orient et en Ukraine, et aux aléas des changements climatiques, maintenant des incertitudes autour de la croissance de l’activité et accentuant la volatilité au niveau des marchés des matières premières.
Le resserrement des politiques monétaires, entamé depuis le début de 2022 dans la plupart des pays avancés, pourrait, toutefois, s’atténuer, dans un contexte de recul de l’inflation. Un assouplissement de la politique monétaire de la part de la Fed et de la BCE est prévu se concrétiser à partir du printemps 2024, alors qu’une légère restriction de la politique budgétaire devrait se maintenir dans la plupart des pays avancés.
Pour le Maroc, l’année 2024 est marquée par de nouveaux engagements pour l’Etat notamment sur le plan social (parachèvement du chantier de la protection sociale, aide directe au logement, aide directe aux ménages vulnérables…). La lecture des dépenses programmées pour l’exercice en cours montre que les pouvoirs publics ont du pain sur la planche face à un amenuisement des marges de manœuvre. Le recours à l’emprunt sur le marché international serait d’ailleurs inévitable pour que les pouvoirs publics puissent honorer leurs engagements aussi bien économiques que sociaux.
Avec une décélération de l’inflation, la demande intérieure serait un important levier de croissance économique. Selon les derniers pronostics du HCP, la décélération des revenus, fortement ressentie dans les régions rurales en raison de conditions climatiques défavorables, impacterait les dépenses des ménages, mais serait quelque peu atténuée par l’accroissement des transferts publics.
La demande intérieure serait, également, tirée par l’amélioration des dépenses de consommation des administrations publiques, qui devraient, en outre, renforcer leurs investissements durant cette période. En revanche, les investissements des entreprises non financières ralentiraient, dans un contexte de maintien de la hausse des coûts de financement bancaire.
Sur un autre registre, il paraît que la politique budgétaire est entreprenante et recèle des programmes ambitieux pour soutenir l’activité économique. Sur la foi de la loi de finances 2024, les dépenses d’investissement devraient continuer sur une trajectoire haussière avec un accroissement de l’ordre de 11,5% en 2024. Aux côtés des efforts louables du budget général, les investissements réalisés par les entreprises et les établissements publics, et les collectivités locales et ceux programmés par le fonds Mohamed VI pour l’investissement et par le Fonds spécial dédié à la gestion des effets du séisme porteraient la Formation Brute de Capital Fixe publique à 335 Mds de DH.
Et parmi les orientations politiques et projets d’envergure planifiés par l’État qui feraient évoluer notablement les activités économiques et donneraient un stimulus à la demande l’année prochaine et au-delà, il y a lieu de citer le nouveau programme d’aide au logement dont l’enveloppe allouée à 2024 est estimée à 10 milliards de dirhams.
Outre les politiques monétaire et budgétaire, la politique de change revêt une grande importance en tant que levier de croissance. A cet égard, on se demande s’il sera procédé comme recommandé par le FMI à un éventuel élargissement de la bande de fluctuation actuellement à plus ou moins 5%. Ou bien il serait préférable d’attendre que la tempête passe et que le calme soit revenu pour procéder à un tel élargissement.
Le Wali de BAM est bien conscient que le Maroc devrait se préparer à cette nouvelle phase mais ne plaide pas pour un passage incessamment « Ce qui nous interpelle pour les 5 années à venir, c’est la grande réforme du régime de change. Précisément le passage à la 3ème phase du régime de change ainsi que le ciblage de l’inflation », avait-il précisé lors du dernier Conseil.
Il rappelle dans la foulée que le Maroc avait entamé depuis 15 janvier 2018, une transition volontaire et graduelle d’un régime de change fixe vers un régime de change plus flexible. Deux ans plus tard, soit le 9 mars 2020, les autorités monétaires ont décidé de poursuivre le processus de réforme du régime de change en procédant à un second élargissement de la bande de fluctuation du dirham de ±2,5% à ±5%.
Nous avons posé la question à l’économiste et spécialise de la politique de change Omar Bakkou à l’occasion du podcast relatif à la rétrospective 2023 sur un éventuel passage à la troisième phase de flexibilité dans les prochains mois.
Pour Omar Bakkou : la décision de passage à une 3e phase ou à un flottement assez élevé (où l’on va supprimer les bandes de fluctuation) où les banques auront la possibilité de coter la valeur du dirham par rapport aux taux et que bien entendu tout cela soit accompagné par un dispositif de ciblage de l’inflation par BAM ne peut être d’actualité. Être tout simplement non pas dans un flottement dirigé mais dans un flottement pur comme celui préconisé par le FMI n’est pas possible aujourd’hui.
Pour une raison simple : le passage au flottement dans le contexte actuel peut engendrer une baisse du taux de change qui ne serait pas sans impact sur les prix. Des prix qui au vu du taux de l’inflation entraînent une grogne sociale qui ne s’est pas encore dissipée.
Autrement dit, face à ce mécontentement populaire, prendre une nouvelle mesure pouvant avoir un impact sur les prix, c’est comme verser de l’huile sur le feu. « Le timing sur le plan politique et économique n’est donc pas approprié », selon Omar Bakkou.
Pour passer à cette troisième phase, il est impératif de franchir quelques étapes. Il faudra revoir les modèles et les méthodes de prévisions de BAM étant donné que les méthodes actuelles intègrent un régime de change fixe. Des prévisions qui devraient davantage prendre en considération les incertitudes qui planent notamment en raison des conflits géopolitiques et autres.
Pour ce faire, il faut disposer de données les plus fiables. Dans ce cadre et pour disposer de données plus fiables, une commission BAM-HCP a été constituée. Le leitmotiv est de pouvoir améliorer tout ce qui est données, viabilité de la donnée, régularité de la donnée…, et pour qu’au moment de prendre une telle décision, le régulateur a dans son escarcelle le maximum d’informations fiables.
Voir également : [Podcast] « Les niveaux de croissance réalisés depuis 2011 sont artificiels, financés par de la dette publique » Bakkou