Il semble que la variation quotidienne de la demande de puissance électrique soit en train de changer puisque le minimum matinal de puissance appelée au lever du soleil et son maximum diurne vers midi soient tous deux en train de se rapprocher progressivement du maximum nocturne de 22 heures. Nous montrerons que l’explication par l’autoproduction d’électricité solaire est parfaitement plausible.
Électricité nette appelée rapportée à la puissance maximale annuelle
Sacrifions au rappel de quelques définitions, en génie électrique :
- « courbe de charge » décrit la variation dans le temps de la puissance électrique demandée à l’entrée d’un réseau électrique donné, et, chaque année, la valeur la plus grande de la demande instantanée d’électricité de cette courbe de charge est désignée par puissance maximale appelée (PMA),
- « électricité nette appelée » (ENA) désigne la somme nette de l’énergie qui alimente annuellement ledit réseau électrique et, à l’échelle d’une année :
- techniquement, c’est la somme de la production nette locale et du solde net des imports,
- mathématiquement, c’est la somme des surfaces sous les courbes de charge de toute l’année.
En divisant l’ENA (en MWh par an) par la PMA (en MW), on obtient un temps, en heures par an que l’on peut rapporter à une journée. Ainsi, ce temps indique la durée moyenne quotidienne (DMQ), à laquelle le réseau électrique marocain aurait dû se maintenir à la PMA s’il avait fallu fournir la même énergie électrique ENA. En elle-même, cette DMQ est trop agrégée et n’a d’intérêt que dans la mesure où :
- elle décrit comment la courbe de charge moyenne annuelle est « plate » (une DMQ de 24 heures indiquerait une courbe de charge idéale qui serait constante toute l’année et égale à la PMA),
- l’augmentation de DMQ d’une année à l’autre indiquerait que la courbe de charge aurait tendance à s’aplatir et, inversement, à devenir de moins en moins « plate » si DMQ baissait.
La Figure 1 montre que la Durée Moyenne Quotidienne (DMQ) s’est accrue de façon certes erratique mais lente et régulière de 14 et 16,5 heures par jour entre 1980 et 2023. Toutefois, son comportement moyen montre que sa croissance a ralenti lentement, de 0,41 à 0,36% par an entre 1980 et 2023.
Figure 1 Evolution et variation relative de la Durée Moyenne Quotidienne à PMA (DMQ) entre 1980 et 2023
Le même type de croissance obtenu en remplaçant le numérateur par l’énergie journalière de la journée où advenait la PMA. Toutefois, pour faire ressortir l’aspect structurel de ce comportement, la représentation de la Figure 1 couvrait une période plus longue sinon les données manquaient pour couvrir une telle durée.
L’augmentation de la courbe bleue indique, de façon certaine, que, quoique loin d’être plate, la courbe de charge moyenne annuelle du Maroc s’est progressivement aplatie durant l’ensemble de la période. Maintenant, la question qui se pose est : comment cet aplatissement a-t-il eu lieu ? – Pour cela, nous avons besoin d’étudier la forme de la courbe de charge, ou au moins celle des journées où advenait la PMA.
Courbes de charges des journées où advient la puissance maximale
En effet, le site web de l’ONE permettait de télécharger les données de ces courbes de charge du Maroc avant 2008 mais depuis, il a fallu se contenter de digitaliser la seule image montrée dans les rapports annuels de l’ONE (ou l’ONEE plus tard) qui ne rapportaient plus que la journée où la demande instantanée atteignait la PMA. En conséquence nous sommes astreints à n’utiliser que la courbe de charge de chacune de ces journées où advient la puissance maximale annuelle (PMA), qui a lieu durant l’été depuis des décades.
La Figure 2 montre les courbes de charge de six journées où advient la PMA entre 2002 et 2022. La surface sous chaque courbe de charge, qui est l’énergie de la journée variant entre 45 et 145 GWh/jour est indiquée dans la légende. On remarquera que toutes les courbes de charge comportent les singularités suivantes :
Figure 2 Courbes de charge de six journées où advient la PMA entre 2002 et 2022
- un minimum matinal M, entre 07 et 08 heures marquant la fin des besoins d’éclairage précédant la montée de la demande suscitée par le début de la journée de travail,
- un maximum diurne D, relativement large, qui a lieu entre midi et 15 heures, surtout marqué par les besoins d’électricité professionnelle,
- une baisse (sauf 2002) entre 18 et 20 heures précédant un maximum nocturne N entre 22 et 23 heures, surtout marqué par les besoins d’électricité domestique.
Pour suivre l’évolution des singularités de la forme de la courbe de charge, on a divisé les valeurs des maximums diurnes (D) et des minimums matinaux (M) par celles du maximum nocturne (N) et on a représenté le résultat des ces deux divisions sur la Figure 3 où il est aisé de constater que durant lle dernier quart de siècle, le maximum diurne (D) et le minimum matinal (M) se sont tous deux progressivement rapprochés du maximum nocturne (N). Voici donc une mise en évidence du mode d’aplatissement la courbe de charge du Maroc déduit de la Figure 1.
Figure 3 Maximum diurne (D) et minimum matinal (M) rapportés au maximum nocturne (N)
En 2011, nous étions enclins à penser[1] qu’aujourd’hui, la demande d’électricité de la mi-journée (D) aurait déjà dépassé celle où les familles marocaines se réunissent pour le dîner. Mais il est vrai que la croissance du rapprochement de la valeur du maximum diurne (D) vers le nocturne (N) était alors plus rapide alors qu’elle a subi un ralentissement depuis 2015. Maintenant, il est intéressant de répondre à la question : pourquoi ce ralentissement ? – Nous pensons que ce n’est pas un hasard si cela coïncide avec la croissance de l’autoconsommation d’électricité solaire.
Courbes de charges et simulations de l’autoproduction (AP)
La Figure 4 montre les quatre courbes de charges de journées où est advenue la puissance maximale annuelle (PMA) des années 2010, 2014, 2018 et 2022 (couleur ivoire). A ces courbes de charge, on a ajouté.
On remarquera que la courbe de charge (couleur ivoire) comporte :
- un calcul de l’autoproduction solaire (couleur verte), calcul fait à l’aide d’un facteur de performance solaire simplifié montant de 0% à 07 heures à 72% à 13 heures avant de redescendre à 0% à 19 heures et en considérant que seuls deux tiers des puissances installées sont opérationnelles,
- une estimation de l’autoproduction par chaleur industrielle de ceux qui sont désignés par « Tiers Nationaux » dans les bilans nationaux (couleur rouge), calcul fait à l’aide d’un facteur de performance constant sur 24 heures et en considérant que 90% des puissances installées sont opérationnelles.
Figure 4 Journée de PMA entre 2010 et 2022 : courbe de charge à laquelle on a ajouté les simulations de l’autoproduction
Des données caractéristiques des quatre graphiques de la Figure 4 sont listées dans le Tableau 1.
Tableau 1 Valeurs caractéristiques des données des journées où advient la puissance maximale annuelle
A cause de l’activité en 3 x 8, l’autoproduction d’électricité par chaleur industrielle ne crée probablement qu’une simple translation des courbes de charge. Dans les quatre graphiques de la Figure 4, le trait mixte horizontal de couleur vertemontre ce qu’aurait pu être la courbe de charge sans notre estimation de l’autoproduction d’électricité solaire. On voit bien que, malgré les conditions conservatrices que nous avons prises (seulement moitié de la puissance installée en opération), le maximum diurne (D) aurait dépassé le maximum nocturne (N) après 2018.
Dans le cadre des hypothèses mentionnées précédemment, nous estimons donc qu’en 2022, la part non-injectée (donc l’autoconsommation) :
- de chaleur industrielle aurait économisé 11.4% de l’ENA (4,2 TWh) et effacé 7,6% de la PMA,
- de solaire PV n’aurait certes économisé que 1,8% de l’ENA (4,2 TWh) mais effacé 6,4% de la PMA.
Ceci signifie que si le Maroc n’avait pas autoproduction d’électricité ni par chaleur industrielle ni par solaire photovoltaïque, les équipements centralisés de production de 2022 auraient dû fournir une puissance 577 MW additionnels (soit +8,1%) produisant près de 4’900 GWh/an supplémentaires (soit +11,6%).
Prévision d’impact de l’autoproduction à l’horizon 2030
D’ici à 2030, si l’on suppose que :
- la courbe de charge garde la même forme,
- ces caractéristiques varient linéairement dans le temps,
- les puissances installées (solaire et chaleur industrielle) varient linéairement dans le temps,
on obtiendrait alors les deux graphiques de la Figure 5 pour les années 2026 et 2030.
Figure 5 Journée de PMA en 2026 et 2030 : courbe de charge prévisionnelle et simulations de l’autoproduction
Conclusions
La variation quotidienne de la demande de puissance électrique subit un changement puisque le minimum matinal de puissance appelée au lever du soleil et son maximum diurne vers midi sont tous deux en train de se rapprocher lentement du maximum nocturne de 22 heures. Il semble parfaitement plausible que l’autoproduction d’électricité solaire soit responsable du fait que le maximum de puissance diurne n’ait pas atteint et dépassé le maximum nocturne avant même 2018.
Si le Maroc avait été dépourvu d’autoproduction d’électricité, ni par chaleur industrielle ni par solaire photovoltaïque, les équipements centralisés de production de 2022 auraient dû fournir une puissance additionnelle de 577 MW (soit +8,1%) produisant près de 4’900 GWh/an supplémentaires (soit +11,6%).
Il faut prendre cet article pour ce qu’il est, c’est-à-dire une tentative de comprendre phénoménologiquement ce qui se passe, avec les informations disponibles au public et non par une institution ayant accès à toutes les données, les conclusions auraient alors été plus diversifiées et certainement bien plus affirmatives.
Références
[1] Amin Bennouna, « Monographie de l’énergie au Maroc », Edité par ISTICHAR, ISBN 978-9954-30-099-2, https://www.researchgate.net/publication/263713974_Monographie_de_l’energie_au_Maroc
[2] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013 https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[3] Mise à jour de : Amin Bennouna, « The increasingly important role of decentralized solar energy in Morocco« , Appl. J. of Env. Engin. Science (ISSN: 2509-2065), 7-1 (2021) Pages 18-41, https://DOI.ORG/10.48422/IMIST.PRSM/ajees-v7i1.24354