Ecrit par la Rédaction |
Voilà deux décennies que le Maroc s’est mis de plain-pied dans les chaînes de valeur mondiales, notamment avec 6 branches désormais qualifiées Métiers mondiaux du Maroc. Le bilan est positif bien qu’au début, l’initiative et l’ambition affichées par le Maroc avaient été suivies avec beaucoup de prudence. Pourquoi dès lors s’arrêter en si bon chemin ?
Depuis les années 2000, le Maroc a enchaîné une série de politiques sectorielles, dont la plus éloquente est celle consacrée à l’industrie sous ses différentes versions. Et l’ambition affichée à l’époque de promouvoir des métiers mondiaux du Maroc conjuguant de nouveaux secteurs et d’autres historiques avaient suscité la curiosité et la suspicion, tellement l’objectif était grandiose.
Force est de constater quelque décennies plus tard, que les effets sont là. Régulièrement, des rapports font le bilan d’étape de ces stratégies en termes de l’impact de l’intégration du Maroc aux chaînes de valeur mondiales, dont le plus récent est l’étude lancée par l’Institut royal des études stratégiques (IRES) qui régulièrement établit des diagnostics instantanés.
L’étude, réalisée selon une démarche prospective et une approche inclusive, a identifié de nouvelles chaînes de valeur mondiales, auxquelles le Maroc pourrait s’intégrer et fait des propositions pour une montée en gamme dans ces métiers mondiaux.
Un travail d’une scientificité remarquable qui identifie de nouveaux métiers que le Maroc gagnerait à promouvoir, et ce, sur la base d’un scanning d’un spectre de nouveaux métiers mondiaux potentiels, tenant compte des avantages compétitifs du Maroc, du poids de ces métiers dans les échanges mondiaux, des évolutions géostratégiques (voire géopolitiques) et des évolutions des secteurs.
Pour chaque nouvelle chaine de valeur mondiale ou régionale potentielle, les activités à développer, les enjeux et les objectifs stratégiques, la vision et les impacts économiques et sociaux sont définis.
Les atouts, les opportunités et contraintes du Maroc pour s’y intégrer sont également analysés.
A cet effet, une matrice a été construite pour croiser l’évolution anticipée de la chaine de valeur mondiale ou régionale et les leviers de compétitivité qui permettront au Maroc de s’y intégrer efficacement.
Sept secteurs ont été retenus par l’étude de l’IRES. Détails.
Industrie navale
Le Maroc se prépare à acquérir une industrie navale de pointe d’ici 2030 (Agence nationale des ports). Le programme consiste, d’une part, à construire de nouveaux chantiers navals à Safi, Jorf-Lasfar, Kénitra, Nador et Dakhla et, d’autre part, à réhabiliter des chantiers moins récents comme celui de Tan-Tan et d’Agadir.
Ces chantiers serviront à la réparation des navires militaires, de pêche, de plaisance et à maintenir également la flotte nationale civile et militaire, ainsi qu’à développer l’activité de démantèlement des navires.
Le Maroc peut prendre une position de leader régional dans le transport maritime, la construction de navires de pêche, militaires et de servitude.
Fort de son réseau portuaire et de ses projets de construction de nouveaux chantiers navals, le pays pourra saisir l’opportunité de la hausse de démolitions de navires dans le futur, suite aux exigences de construction propre et consommation énergétique verte et de la hausse de la demande de l’Afrique de l’Ouest, d’Europe et d’Amérique en ce qui concerne le démantèlement de petits navires et l’extension de l’activité vers des navires de grand tonnage.
Le secteur Naval est un garant de la souveraineté nationale. C’est l’un des principaux enjeux stratégiques derrière celui de faire de l’industrie navale, un métier mondial. C’est également une manière d’ancrer davantage la « maritimité » du Royaume.
Le développement d’une activité de construction de navires de pêche et de navires militaires permettra en outre au pays de répondre à la demande locale et exporter sur le marché africain.
Le Maroc pourrait devenir un site incontournable au niveau régional et international pour le démantèlement, la réparation et la maintenance.
Le Maroc devra se fixer comme objectifs stratégiques notamment le développement d’une industrie navale de pointe (civile et militaire) qui attirera des équipementiers européens. Ces derniers participeront à la montée en gamme et à la maturité technologique du secteur.
Cela permet la modernisation du secteur de la réparation navale pour répondre à la demande locale et renforcer le positionnement du pays dans le pourtour méditerranéen et la modernisation des infrastructures existantes.
Autre objectifs, l’augmentation de l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers opérant dans le domaine de la réparation navale et le démarrage avec des activités intermédiaires pour passer ensuite à des activités capitalistiques à forte technicité et à forte valeur ajoutée.
S’en suit évidemment le développement des activités annexes, notamment chez les équipementiers, entre autres.
Industrie ferroviaire
L’industrie ferroviaire connaît actuellement de profondes mutations technologiques au niveau mondial, avec l’apparition de la digitalisation et des « smart cities ».
L’innovation sera donc dans les années à venir un facteur de différenciation et de compétitivité. Les chaînes de production de l’industrie ferroviaire sont globalisées comme c’est déjà le cas de l’automobile et de l’aéronautique.
Le Maroc pourra bénéficier de transfert de technologies et de savoirs vu la présence dans le Royaume des plus grands industriels du secteur (colas, rail, Société nationale des chemins de fer, Eolane, …).
Le partenariat signé avec la France suite à l’ouverture de la première ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca, en est un exemple. Le Maroc profitera d’un transfert de « savoir-faire », pour l’acquisition de la maîtrise des technologies nouvelles dans le secteur et développera son expertise nationale.
Les enjeux stratégiques pour le pays sont de faire de l’industrie ferroviaire un métier mondial à l’instar de l’automobile et de l’aéronautique et devenir un prestataire au niveau régional.
Cela permettra de rentabiliser les investissements lourds et couteux du secteur en termes de recherche et développement, de formation et de création d’écosystèmes.
L’urbanisation croissante sur le continent africain et la création de la zone de libre-échange continentale africaine sont des opportunités à saisir. Les innovations comme le train à énergie solaire permettront au secteur de respecter les réglementations environnementales (décarbonation).
Cette synergie inter-filière est un atout considérable pour le Maroc.
Le secteur ferroviaire capitalisera sur les infrastructures industrielles utilisées par les autres industries : automobile, aéronautique, énergies renouvelables…
Les objectifs stratégiques à viser doivent porter sur l’investissement dans des segments à très forte concentration technologique étant donné la maturité du tissu industriel local.
Le Maroc doit développer les clusters industriels ferroviaires en les dotant de centres de formation, de laboratoires de recherche & développement et en y implantant une stratégie de transfert de technologie permettant de créer un train marocain.
Le pays doit ensuite étendre son industrie ferroviaire au niveau régional à travers la construction de trains pour satisfaire les demandes nationale et régionales et exporter son savoir-faire.
Electricité verte
La transition énergétique est devenue une contrainte pour tous les pays. C’est une opportunité pour le Maroc de faire de l’électricité verte un métier mondial en investissant dans les activités de production, de distribution et de vente.
En 2009, le Maroc s’est doté d’une stratégie énergétique axée sur cinq orientations stratégiques, à savoir : un mix diversifié et optimisé autour de choix technologiques fiables et compétitifs ; la mobilisation des ressources nationales par la montée en puissance des énergies renouvelables ; l’efficacité énergétique érigée en priorité nationale ; le renforcement de l’intégration régionale et le développement durable.
Le Maroc dispose d’un potentiel en énergie verte qui le place parmi les grands pays producteurs de l’énergie, avec une compétitivité des plus élevées au monde et des réglementations et des dispositions institutionnelles intégrant les “bonnes pratiques“ au niveau international.
Il pourra ainsi approvisionner les pays du continent africain en électricité verte, devenir exportateur de l’énergie et grâce à l’hydrogène vert, avoir des parts des marchés « Green Corporate Program Activity Architecture » en Europe.
Les enjeux stratégiques de faire de l’électricité verte un métier mondial résident dans la souveraineté énergétique à travers une baisse des importations des énergies, une réduction de la facture de consommation d’électricité et le respect de l’impératif du développement de l’électricité propre. Le Maroc pourra aussi augmenter son attractivité pour les opérateurs dans les secteurs automobile, aéronautique, …
La réduction de la facture énergétique tout en respectant les engagements vis-à-vis de l’environnement, inciteront les entreprises à importer de l’électricité depuis des pays dotés d’importantes ressources solaires et éoliennes, à l’instar du Maroc.
Le réseau électrique marocain est interconnecté au réseau espagnol et par conséquent au réseau européen par deux lignes sous-marines. Une troisième ligne verra le jour en 2024.
Une autre liaison avec l’Europe est également programmée pour 2026 via le Portugal.
Parallèlement, la dimension de la coopération Sud-Sud figure parmi les principaux axes de cette stratégie d’ouverture.
Les objectifs stratégiques à viser sont la réduction de la dépendance des énergies fossiles importées et l’augmentation de la part de la production d’électricité à partir des énergies renouvelables, ainsi que de promouvoir, par effets d’entraînement, une industrie d’intrants locaux : électroniques, métallurgie, câblages, …
Chimie verte
Le Maroc pourra faire de la chimie verte un métier mondial, étant donné sa dotation en ressources végétales bio qui lui permet d’être en conformité avec la réglementation en matière d’usage d’additifs de synthèse et vu sa position de leader dans le domaine des énergies renouvelables.
Comme dans le secteur de l’automobile, l’hydrogène vert attirera les consortiums qui s’installeront au Maroc pour utiliser les ressources renouvelables abondantes. Les enjeux stratégiques se basent sur le fait que la chimie industrielle est incontournable car elle se trouve en mont et en aval de la quasi-totalité des activités de production.
Il est donc impératif pour le Maroc d’intégrer dans ce secteur les objectifs imposés par la gouvernance environnementale pour la préservation de l’environnement et de la santé humaine au risque de perdre des parts de marchés dans plusieurs autres secteurs.
Le Maroc doit aussi relever le défi de la compétitivité par la qualité des ressources et l’autonomie dans l’approvisionnement.
Les objectifs stratégiques à viser sont la modernisation du secteur industriel et l’amélioration de la compétitivité basée sur les performances énergétique et environnementale ; la valorisation des ressources naturelles du pays par la transformation chimique et le développement de nouvelles activités de « sourcing » ; la dotation de toutes les filières servant les besoins fondamentaux des autres secteurs de moyens matériels et techniques pour adopter le concept de la chimie verte et le développement de nouvelles filières environnementales et de recyclage.
Un cadre juridique concernant l’homologation et la normalisation des inputs et outputs et la promotion de la « Recherche & Développement » et l’innovation dans le domaine de la production propre doit être instauré.
Il portera sur le financement, le droit de propriété intellectuelle, la certification, le prix d’excellence, …
Industrie pharmaceutique
Les enjeux stratégiques pour le Maroc de s’insérer dans la chaine de valeur mondiale pharmaceutique résident dans l’acquisition d’une souveraineté sanitaire et la captation des activités de « recherche & développement » externalisées par les grands groupes.
Le Maroc pourra devenir un leader dans le domaine à l’échelle continentale, monter en gamme et capter une part de marché mondial concernant les médicaments génériques.
En adoptant en 2006 la loi n° 17-07 portant code du médicament et de la pharmacie, qui permet l’ouverture du secteur médical et pharmaceutique aux investisseurs étrangers ainsi que l’introduction en bourse des sociétés du secteur, le potentiel de développement s’est considérablement élargi, notamment, pour les filières de production médicale et pharmaceutique.
Cette loi permet, par exemple, aux investisseurs étrangers d’installer leurs filiales pharmaceutiques dans le pays. D’autre part, le contrat-programme 2013-2023, basé sur une stratégie d’exportation et de développement du marché intérieur en cours, est venu renforcer ce potentiel.
Le pays est désormais outillé au plan législatif et institutionnel pour consolider sa compétitivité à la fois par des activités à forte valeur ajoutée, par une production avec des coûts moins élevés et par un alignement de la production nationale sur les standards internationaux.
Le vaste domaine du médicament générique représente également pour le Maroc une opportunité d’alimenter le marché national à bas prix ainsi que d’exporter vers les pays du continent africain et du Moyen Orient.
Il convient de souligner que le marché pharmaceutique international connait une dynamique de croissance considérable et une tendance marquée par l’externalisation pour réduire les coûts de production.
La « P21 Pharma » encouragera les investisseurs internationaux à développer leurs activités ou des segments de leurs activités au Maroc.
La proximité géographique des plus grands donneurs d’ordre (l’Europe) et des plus grands importateurs (l’Afrique) permettra au Maroc de couvrir toute la chaine de production et d’exporter ou de déplacer ses activités (vers des pays africains) pour réduire les coûts de stockage et de transport.
Les objectifs stratégiques à viser sont la fabrication des médicaments génériques d’abord pour monter en gamme ensuite ; soutenir le développement de nouveaux types de « médicaments princeps » et « bio similaires » pour améliorer l’accès des malades les plus démunis au niveau national et continental et développer l’immunothérapie.
L’appui public augmentera le potentiel d’exportation des médicaments vers le marché africain, notamment, les médicaments génériques.
Des investissements en « recherche & développement » et une fiscalité favorable au secteur des médicaments amélioreront le niveau d’intégration locale et l’exportation.
Logistique et transport
La logistique et le transport offrent aux pays en développement de bonnes opportunités à condition de disposer des infrastructures aéronautiques, maritimes et routières, d’une stabilité politique et d’une organisation en mesure de relier différentes régions du monde.
La proximité du Maroc d’un grand marché, celui de l’Europe est une opportunité pour faire de la logistique et du transport un métier mondial. Les prestations du pays couvrent le transport, l’entreposage, la préparation de commandes et d’autres opérations à valeur ajoutée.
Les chaines de valeur mondiales des transports et de la logistique s’étendent de plus en plus aux pays en développement. Des accords de coopération en matière de transport et de logistique ont été signés avec certains pays d’Afrique.
Le raccourcissement des chaines de valeur mondiales est une opportunité pour le Maroc qui est leader dans sa région et une passerelle logistique incontournable pour l’Afrique.
Les enjeux stratégiques à développer pour ce secteur résident dans le fait que la logistique et le transport font partie des facteurs déterminants des choix stratégiques des pays développés en quête d’optimisation de leurs activités, au même titre que les coûts de production, le capital humain et la technologie ; les besoins des pays du continent africain en termes de logistique et du transport ; les coûts logistiques sont 4 à 6 fois plus importants en Afrique subsaharienne que dans les autres pays émergents39 ; la compétitivité des entreprises nationales en matière de coûts et de délais.
L’efficacité de la chaine de valeur de transport et logistique conditionne le bon fonctionnement des autres secteurs comme l’agroalimentaire, le textile et l’électronique.
Parmi les objectifs stratégiques consistant à faire du secteur de la logistique et du transport un métier mondial, on peut citer le ciblage du marché européen et le marché du continent africain, le développement de la logistique verte (pour répondre aux impératifs environnementaux), et le renforcement la connectivité et les bases logistiques reliant l’Afrique aux marchés mondiaux.
Artisanat et art culinaire
Le secteur de l’Artisanat et de l’Art culinaire au Maroc dispose d’un potentiel énorme en termes de savoir-faire, d’innovation, de coûts de la main d’œuvre et de disponibilité des matières premières pour être compétitif et devenir un métier mondial du Maroc.
Le marché intérieur constitue un support solide pour le secteur avec une croissance de 88% en 2018 (78 en 2017).
En termes de destination, le marché européen est le plus grand récipiendaire avec une part de 45%, du chiffre d’affaires à l’export, suivi du marché nord-américain avec une part d’environ 30% et le marché arabe dont la part s’élève à 17%41 .
La stratégie 2021-2030 visant le développement du secteur de l’artisanat s’articule autour de cinq axes.
D’abord, la montée en gamme du secteur à travers différents appuis visant le renforcement de la compétitivité et la résilience ; la modernisation des filières artisanales par des actions couvrant l’ensemble de la chaine de valeur ; la valorisation du savoir-faire et de la qualification ; et le renforcement de la veille et des compétences sectorielles et la préservation et la mise en œuvre du patrimoine immatériel marocain dans le secteur.
Le pays pourra se positionner sur les segments « artisanat d’art et de production à fort contenu culturel » et « l’artisanat d’art et de production utilitaire ».
Le Maroc devra procéder à la mise en œuvre d’une politique visant la montée en gamme dans le secteur, la modernisation des filières artisanales et la mise en valeur du patrimoine immatériel marocain.
Les enjeux stratégiques sont l’augmentation de la compétitivité des filières de niches Bio (Label qualité Bio) et la valorisation du patrimoine culturel et culinaire et la fabrication de produits de santé (compléments alimentaires) à base de plantes.
Les objectifs stratégiques à viser doivent s’articuler autour d’une structuration du secteur et un développement de la formation et de la transmission du « savoir-faire » et du cumul d’expériences ; la valorisation de l’humain (capital immatériel) ; la création de marques pour les produits de l’artisanat dans le domaine de l’habillement et du cosmétique et l’orientation des subventions vers des productions destinées à l’usage cosmétique ou compléments alimentaires.