Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet du régime adopté par le Maroc en matière de convertibilité des opérations courantes. En réponse, O. Bakkou a tenu de rappeler le référentiel de ce régime, à savoir l’article VIII des statuts du FMI. Cette intervention de ce fonds d’essence monétaire dans une question plutôt d’ordre commercial soulève des interrogations concernant ses fondements.
Pourquoi un fonds d’essence monétaire comme le FMI se mêle d’un sujet plutôt commercial, à savoir celui de la libéralisation des opérations courantes ?
Comme son nom l’indique, le Fonds monétaire international est un organisme ayant une vocation monétaire.
Cette vocation ,couplée à son statut international, le prédestine à s’occuper de la gouvernance monétaire mondiale.
Cette gouvernance doit normalement se fonder sur une politique monétaire mondiale pilotée par une banque centrale mondiale.
Ce raisonnement suggère que le FMI devrait jouer le rôle d’une banque centrale mondiale ayant pour mission de conduire « la politique monétaire mondiale ».
Cette idée était l’un des rêves de Jean Maynard Keynes , éminent économiste et co- architecte des statuts du FMI.
Cet économiste écrivait dans son ouvrage, traité sur la monnaie : « le système idéal consisterait dans la fondation d’une banque supranationale qui aurait avec les banques centrales nationales des relations semblables à celles qui existent entre chaque banque centrale et ses banques subordonnées ».
Cette idée était bien évidemment utopique, du fait qu’elle devrait se traduire par la mise en place d’une monnaie unique mondiale et par l’abandon , en conséquence, des monnaies nationales qui constituent un symbole politique constitutif de l’identité nationale et de la légitimité de l’Etat.
Pourquoi une monnaie unique mondiale serait-elle un système idéal ?
Une monnaie unique mondiale serait un système idéal, du fait qu’un tel régime monétaire serait favorable au développement du commerce international.
Et en quoi le développement du commerce international serait bénéfique pour l’économie mondiale ?
Pour une raison simple : au lieu que tous les pays se mettent à produire tous les biens dont ils ont besoin, ils peuvent importer des biens produits par d’autres pays et en retirer le bénéfice de la spécialisation et son corollaire l’amélioration de la productivité et de la richesse .
Et comment une monnaie unique mondiale permettrait le développement des flux commerciaux ?
La réalisation des transactions commerciales extérieures d’un pays donné fait intervenir deux types de prix, à savoir les prix internes et le taux de change.
En effet, lorsque le pays précité importe une marchandise, le prix final de cette marchandise sera calculé à travers la conversion du prix de ladite marchandise, exprimé dans la monnaie nationale du pays exportateur, dans la monnaie nationale du pays importateur.
Cette conversion s’effectue bien évidemment à travers le taux de change.
Or, le taux de change demeure soumis au risque de variabilité.
Ce risque demeure présent quel que soit le régime de taux de change adopté : fixe ou flexible.
En effet dans un régime flexible, le taux de change peut varier sous l’effet des variations de l’offre et de la demande de devises.
Alors que dans un régime fixe, le taux de change peut varier sous l’effet de décisions de dévaluation.
Cette variabilité peut prendre deux formes : la volatilité et les dépréciations compétitives.
Ces deux formes de variabilité exercent un impact négatif sur les flux commerciaux internationaux.
-Comment la volatilité des taux de change nuit aux flux commerciaux internationaux ?
La volatilité des taux de change porte préjudice aux flux commerciaux internationaux, du fait des coûts de couverture devant être supportés par les opérateurs du commerce extérieur pour se prémunir contre l’incertitude engendrée par ladite volatilité.
-Et comment les dépréciations compétitives nuisent aux flux commerciaux internationaux ?
Les décisions de dévaluation des monnaies nationales constituent des politiques similaires à celles tarifaires dans la mesure où ces décisions renchérissent le prix des importations.
Ces politiques se traduisent souvent par des mesures de représailles qui aboutissent à des destructions réciproques entre pays partenaires lesquelles destructions amènent les pays à s’enliser dans une situation plus difficile.
Ce constat a été observé pendant la dépression mondiale des années 1920, lorsque les restrictions au commerce adoptées par les différents pays avaient engendré des dommages économiques majeurs pour tous les pays.
–Vous avez présenté ci-dessus les effets positifs de la stabilité des taux de change sur les flux commerciaux. Or, l’on sait que cette stabilité peut être établie à travers la mise en place d’un système de taux de change fixe multilatéral sans qu’on soit obligé d’adopter une monnaie mondiale !
Oui effectivement, c’est la solution qui a été adoptée en 1944 lors la conférence tenue à Bretton Woods dans le New Hampshire au Nord-Est de Boston aux Etats -Unis.
Cette conférence a abouti à la signature des articles de l’Accord du Fonds monétaire international (FMI).
Cet accord avait pour objet de mettre en place un système marqué par la stabilité de la relation des monnaies entre elles.
Cette relation des monnaies entre elles, appelée système monétaire international, a été en effet stabilisée à travers la mise en place d’un régime de taux de change fixe multilatéral.
Ce régime se fondait sur le mécanisme de fixité du taux de change de toutes les monnaies mondiales par rapport au dollar laquelle devise était reliée à l’or au prix invariable de 35 dollars l’once.
Cette stabilité n’est pas une fin en soi, mais vise en définitive à promouvoir le commerce international.
Cet objectif se justifie par l’impact des politiques protectionnistes (restrictions commerciales et dévaluations des taux de change) adoptées durant la période de l’entre- deux guerres sur l’économie mondiale.
Ces politiques avaient abouti à des destructions réciproques entre pays partenaires ayant provoqué un profond désordre économique durant la période précitée : la dépression mondiale des années 1920 et les terribles conséquences économiques et sociales qui l’ont suivi.
Pour veiller au bon fonctionnement de ce système de taux de change fixe multilatéral et sa finalité le développement du commerce international, un organisme international, le FMI, fut créé dont les statuts avaient été fixés par les accords de Bretton Woods.
Ces éléments présentés ci-dessus permettent de comprendre les raisons pour lesquelles le FMI intervient dans la question de la convertibilité des monnaies nationales pour les opérations courantes.