La Cour des comptes a publié un rapport thématique sur la mise en œuvre de la régionalisation avancée : Cadre juridique et institutionnel, mécanismes, ressources et compétences. Plusieurs griefs ont été soulevés notamment le niveau faible de réalisation des objectifs de la Charte de déconcentration administratives, des retards dans l’élaboration des SRAT, PDR et dans le transfert de compétences aux régions.
Dans le cadre des missions et compétences dévolues à la Cour des comptes en vertu de la Constitution et du Code des juridictions financières, et en vue d’accompagner les réformes stratégiques du pays, la Cour des comptes a rendu public, le mercredi 29 novembre 2023, un rapport relatif à la mission thématique sur la mise en œuvre de la régionalisation avancée.
Cette mission thématique a porté, dans sa première phase, sur le cadre juridique et institutionnel de la régionalisation avancée, les ressources qui lui sont allouées, les mécanismes déployés pour sa mise en œuvre, ainsi que l’exercice des compétences en se focalisant sur les Régions, vu leur rôle important dans la mise en œuvre de la régionalisation avancée.
Les prochaines phases de cette mission thématique seront axées essentiellement sur les aspects relatifs à la fonction publique territoriale et le renforcement des capacités, à l’évaluation du programme de réduction des disparités territoriales et sociales (PRDTS), au financement territorial et à la promotion de l’investissement, couvrant tous les niveaux de l’organisation territoriale, à savoir les Régions, les Préfectures et Provinces, et les Communes.
La Cour a souligné dans son rapport le progrès réalisé dans le processus de mise en œuvre de la régionalisation avancée, caractérisé principalement par la consolidation progressive du rôle des Régions en tant qu’acteur majeur en matière de développement socioéconomique intégré et durable et partenaire stratégique de l’État pour la mise en œuvre des projets de développement.
En effet, la première phase de la mise en œuvre de la régionalisation avancée, allant de 2015 à 2018, a été marquée par l’adoption des lois organiques relatives aux trois niveaux des collectivités territoriales et de leurs textes d’application (71 textes d’application), ainsi que l’adoption de la Charte nationale de la déconcentration administrative.
La deuxième phase a été marquée, à partir de 2018, par l’implication progressive des Régions dans l’exercice des compétences qui leurs sont dévolues en vertu des textes légaux en vigueur, à travers notamment l’adoption de 11 programmes de développement régionaux, avec un coût global de 420 Mds de DH, l’activation des mécanismes de contractualisation avec l’État par la conclusion de quatre contrats-programmes avec un coût prévisionnel de 23 Mds de DH, ainsi quel’institution des Agences régionales d’exécution des projets (AREP) au niveau de 11 Régions.
Durant la période 2016-2022, les ressources financières allouées par l’État aux Régions ont atteint 47 Mds de DH, enregistrant ainsi une évolution significative. De même, l’effectif des Régions s’est élevé à 865 fonctionnaires au niveau de l’administration, et à 359 au niveau des AREP.
Néanmoins, la réalisation des objectifs liés au rôle des Régions et des autres Collectivités Territoriales en matière de développement reste tributaire d’un certain nombre de prérequis.
Certes, l’ensemble des parties prenantes considère la déconcentration administrative comme un pilier incontournable dans la mise en œuvre de la régionalisation avancée, mais, des efforts supplémentaires doivent être déployés pour consacrer la culture de transfert des attributions décisionnelles du central vers le territorial.
En effet, le taux de réalisation des actions prévues par la feuille de route afférente à la charte de la déconcentration administrative ne dépasse pas 32%, celui du transfert des compétences prioritaires relatives à l’investissement est de 30%.
De même, la Cour a noté la nécessité d’activer la création des représentations administratives communes au niveau de la Région, de la Préfecture et de la Province, en vue d’assurer l’unité d’action des services de l’État au niveau territorial, ainsi que l’opérationnalisation du comité régional de coordination institué auprès du Wali.
L’amélioration de l’attractivité des Régions en vue de les doter en ressources humaines qualifiées, à même de relever le défi du développement territorial, requiert l’adoption d’une approche intégrée fondée sur la mobilisation optimale des compétences disponibles au niveau territorial, relevant de l’ensemble des acteurs institutionnels (l’administration territoriale, les services déconcentrés, les établissements publics à compétence nationale, les établissements publics locaux, les agences de développement et les entreprises publiques).
De même, le développement des capacités de planification et de gestion doit être amélioré, notamment en matière d’adoption de programmes de développement régionaux (PDR) réalistes et réalisables. A ce titre, le taux d’exécution des projets prévus par ces programmes n’a pas dépassé 36% au cours de la période 2015-2021, soit l’équivalent de 11% du coût prévisionnel des PDR (47 Mds de DH sur 420 Mds de DH).
L’exercice optimal des compétences dévolues aux Régions nécessite, également, d’accélérer l’adoption et la mise en œuvre effective des schémas régionaux d’aménagement du territoire (SRAT), et de mettre en place un cadre réglementaire fixant les modalités d’élaboration des contrats et les mécanismes de coordination entre les parties prenantes, selon une approche basée sur les principes de progressivité et de différenciation entre Régions, tenant compte de leurs capacités à exercer les compétences partagées et transférées.
Eu égard aux conclusions de cette mission thématique, la Cour a émis des recommandations aux parties concernées pour améliorer le processus de la mise en œuvre de la régionalisation avancée et l’atteinte de ses finalités.
Concernant le cadre juridique et institutionnel
La Cour recommande au Chef de Gouvernement
– Décliner les actions prévues par la feuille de route relative à la Charte nationale de la déconcentration administrative et à l’évaluation périodique de ses résultats ; et assurer les conditions nécessaires pour la régularité des travaux de la Commission interministérielle ;
– Activer l’adoption et la publication des décrets relatifs à la création des représentations administratives communes et définir leurs compétences, leurs moyens, leur organisation ainsi que les mécanismes de coordination entre leurs composantes, afin d’assurer l’unité d’action des services déconcentrés de l’État et de garantir leur bonne coordination ;
– Accélérer le rythme de transfert des compétences prioritaires relatives à l’investissement aux services déconcentrés de l’État en vue de faciliter les actes administratifs relatifs à l’investissement et permettre aux investisseurs de les réaliser dans des conditions appropriées, sur la base d’un calendrier précis tenant compte de la coordination avec les départements ministériels.
La Cour recommande au Ministère de l’Intérieur
– Identifier les textes législatifs et réglementaires relatifs aux compétences des départements ministériels en liaison avec les compétences propres et partagées des Régions et élaborer un plan d’action selon un calendrier fixé pour les mettre en conformité, en coordination avec les départements concernés ;
– Adopter le projet de loi portant statut particulier de la fonction publique territoriale, en l’inscrivant dans la procédure législative, en vue d’attirer les compétences au niveau territorial et promouvoir la formation continue au profit des fonctionnaires des collectivités territoriales, tout en veillant à intégrer les garanties suffisantes pour mettre les fonctionnaires à l’abri de toute influence subjective.
La Cour recommande au Ministère de l’Economie et des Finances
– Doter les AREP d’un statut juridique approprié leur permettant d’accroître leur attractivité et d’attirer des ressources humaines de qualité en tenant compte des spécificités de leurs territoires d’intervention.
La Cour recommande au Ministère délégué chargé de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration
– Mettre à jour les organigrammes des administrations centrales et des services déconcentrés de l’État et procéder à leur mise en conformité avec les compétences fixées par les schémas directeurs de la déconcentration administrative, approuvés par la Commission interministérielle, en coordination avec les départements ministériels concernés.
Concernant les mécanismes et les ressources de la mise en œuvre de la régionalisation avancée :
La Cour recommande au Ministère de l’Intérieur
– Accompagner et soutenir les Régions pour la préparation de programmes de développement régionaux (PDR) réalisables, en tenant compte de leurs capacités de gestion et des ressources financières mobilisables ;
– Veiller à la qualité du montage financier et à la convergence des PDR avec les autres politiques et programmes publics, en précisant les projets dont la réalisation est prévue dans le cadre de contrats-programmes avec l’État ;
– Accompagner les Régions pour l’amélioration la performance de leurs ressources humaines, en mettant en place une gestion prévisionnelle des effectifs des emplois et des compétences, en vue de faciliter la prise de décisions relatives à la gestion des ressources humaines, le renforcement de leurs capacités et l’adaptation des postes et des compétences avec les spécificités de la Région ;
– Accompagner les Régions pour l’actualisation des schémas directeurs régionaux de la formation continue, pour le diagnostic des qualifications des membres des Conseils des collectivités territoriales et le recensement des besoins en matière de la formation continue, ainsi que l’adéquation des plans de formation, en veillant à la mise en œuvre des programmes annuels de la formation en respectant le calendrier fixé par les schémas directeurs.
Concernant les compétences des Régions :
La Cour recommande au Ministère de l’Intérieur
– Accélérer l’adoption du projet du cadre réglementaire explicitant la méthodologie de préparation et d’élaboration des contrats liés aux compétences partagées, et les mécanismes de coordination entre les différentes parties prenantes, pour une meilleure mise en œuvre des compétences partagées entre l’État et les Régions et selon une approche prenant en considération la maturité et la capacité des Régions à exercer ces compétences ;
– Définir les modalités et critères d’application du principe de progressivité et de différenciation entre les Régions lors du transfert de compétences, et procéder à une évaluation de la capacité des Régions à exercer leurs compétences, après huit ans de l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux Régions, notamment celles liées à des domaines et services d’intérêt direct pour le citoyen et le cadre d’investissement.
– Accompagner les Régions pour mettre en place une stratégie régionale de soutien à l’entreprise et l’attraction des investissements et décliner un plan d’action pour sa mise en œuvre en coordination avec les parties prenantes au niveau régional, en particulier les centres régionaux d’investissement, et ce, conformément aux orientations de la circulaire conjointe entre le Ministère de l’Intérieur le Ministère de l’Économie et des Finances et le Ministère chargé de l’Industrie et du Commerce, publiée en 2021.