Les répercussions socio-économiques de la crise sanitaire du Coronavirus sont sans précédent, et ce depuis l’indépendance du Maroc. Si le Gouvernement œuvre sans cesse à limiter les dégâts à travers une batterie de mesures adoptées au niveau du Comité de Veille Économique, les actions entreprises restent insuffisantes pour le soutien du tissu économique marocain et en deçà des attentes des entrepreneurs et travailleurs marocains du secteur privé.
En effet, la pandémie engendrera une nouvelle génération de vulnérables, estimés à 10 millions d’habitants, et composée essentiellement d’individus et de ménages, émanant de la population active inoccupée, ayant perdu leurs emplois en économie formelle ou secteur informel.
De ce fait, plusieurs indicateurs économiques de fin d’année seront au rouge, tel que le taux de chômage national qui grimpera de 7 points environ pour se situer à 16%, au lieu de 9% enregistré l’année précédente. S’agissant du taux de croissance économique de l’année 2020, déjà impacté par les effets de sécheresse, la baisse sera remarquable, soit approximativement un taux de 1,5%, ce qui constitue une première depuis les deux dernières décennies.
Dans le même sillage, plusieurs secteurs vitaux ont été impactés par la crise liée au Covid_19, tels que le tourisme, les services, les transports, les loisirs, ainsi que plusieurs branches de l’industrie. L’agroalimentaire, la consommation énergétique et les télécommunications restent en effet les seuls secteurs épargnés par cette pandémie, vu le confinement des ménages et la hausse des consommations domestiques liées à la situation d’Etat d’urgence sanitaire.
Dans cet ordre d’idées, le tissu entrepreneurial marocain fait face à de véritables difficultés financières, liées essentiellement au faible cycle d’exploitation. Les entreprises se trouvent en effet incapables d’honorer leurs dépenses de fonctionnement, en l’absence d’un fonds de roulement. En effet, le cycle de vente quasiment en arrêt total et les retards de paiement des créances facturées, accentuent la pression sur la trésorerie des entreprises.
S’agissant du découvert « Daman Oxygène », mis en place par le Comité de Veille Economique, il reste inadapté aux TPE (Très Petites Entreprises) et PE (Petites Entreprises) de notre tissu économique. Lesdites entreprises forment en effet plus de 60% de notre tissu économique. Ces entreprises ne remplissent pratiquement pas les conditions dudit découvert, elles ne disposent pas de bilans structurés et un simple impayé ou chèque sans provision peuvent les exclure de la facilité.
De ce fait, on ne peut pas appliquer les mêmes mesures de financement à toutes les catégories d’entreprise. A titre d’exemple, le le taux d’intérêt de 4% du découvert Daman Oxygène demeure assez élevé pour les TPE/PE. Par conséquent, seules les MGE (Moyennes et Grandes Entreprises), disposant d’un bilan solide (portefeuille clients consistants, actifs de valeur, chiffres d’affaires importants…) et d’une santé financière avérée (pratiquement pas d’incendie de règlement), qui ont pu systématiquement bénéficier de ce financement.
D’autre part, la levée progressive du confinement, et qui demeure nécessaire pour la maîtrise des risques de contaminations, aggravera la situation financière d’une grande majorité d’entreprises du tissu économique. De cela, le plan de déconfinement devra être appuyé par des mesures de financement spécifiques, en l’occurrence des produits de financement du cycle d’exploitation adapté à chaque catégorie d’entreprises et de préférence à un taux d’intérêt symbolique.
En outre, certains salariés du secteur privé se retrouvent en situation de congé sans solde, d’autres ont obtenu une indemnité dérisoire de 2.000 DH, au moment où les salaires des cadres et gestionnaires du secteur privé se situent en moyenne entre 10.000,00 DH et 30.000,00 DH, selon plusieurs études RH, et beaucoup plus pour la catégorie managers/dirigeants.
Par conséquent, cette situation impactera forcement le pouvoir d’achat des salariés du secteur privé, ce qui engendrera une déflation et une baisse remarquable de la demande intérieure domestique. En effet, plusieurs pays étrangers ont opté par une indemnisation par tranche de salaires, afin d’atténuer les effets sur les revenus des ménages provenant des secteurs touchés par le Coronavirus.
Par ailleurs, la relance de l’économie devra être ancrée par des mesures d’accompagnement financier et de soutien aux secteurs touchés par la pandémie. Il s’agira donc d’asseoir un plan de réemploi afin de réinsérer les chômeurs actifs dans le circuit économique. Pour ce qui est du modèle de développement, le plan de relance de l’économie et la promotion du tissu entrepreneurial marocain, devront être parmi les axes stratégiques de sortie de crise et de redynamisation économique du Maroc, et surtout pour l’époque post déconfinement.
Par conséquent, la grande leçon à tirer de cette crise serait la valorisation du facteur humain. L’individu est avéré le centre de l’économie et donc son hospitalisation, son soutien social, sa couverture médicale, son emploi pérenne, devraient constituer inéluctablement les fondamentaux du nouveau projet de modèle de développement.
Youssef Guerraoui Filali, Directeur du Centre Marocain pour la Gouvernance et le Management