Ecrit par Imane Bouhrara I
Depuis fin 2021 à ce jour, l’actuel Exécutif a eu à gérer plusieurs foyers de tension sociale. Certains en raison de facteurs exogènes, notamment le désastreux impact de la Covid-19, d’autres hérités des précédents exécutifs, mais aussi en raison d’une gestion de la chose publique jugée raide dans la mise en place des fondements de l’État social. Au risque de grever l’implémentation des grands chantiers dans lesquels le Maroc s’était engagé ? En tout cas, la politique du fait accompli a montré ses limites.
Le Chef du gouvernement a appelé à une réunion des syndicats pour trouver une issue à la crise provoquée par le statut unifié des fonctionnaires de l’Éducation nationale. Sauf que, et ce n’est pas un fait nouveau, les mouvements de grève observés depuis plusieurs semaines sont le fruit d’une mobilisation collective du corps enseignant dépassant tout encadrement syndical.
Et ce n’est là qu’un foyer parmi tant d’autres auxquels l’Exécutif est confronté, en raison notamment de l’ampleur des chantiers qu’il est appelé à mettre en œuvre en un laps de temps réduit dans un contexte qui n’est pas des plus favorable et avec une gestion de la chose publique jugée raide.
Une quasi-transformation qui n’est pas sans difficultés pour l’Exécutif puisqu’elle met au défi la capacité du gouvernement à mettre en œuvre correctement ces projets, à les faire aboutir et à assurer au même temps l’adhésion des Marocains.
D’ailleurs, un certain nombre de déséquilibres et de problèmes qui accompagnent l’action du gouvernement dans la mise en œuvre du chantier de la protection sociale et la gestion des résultats du dialogue social, ainsi qu’à la gestion des tensions sociales croissantes dans un certain nombre de secteurs stratégiques commencent à se profiler.
Si le gouvernement a déjà réussi à amorcer la mise en œuvre tant de la généralisation de la couverture maladie obligatoire que de la généralisation des indemnisations familiales dans le respect des dates prévues par la loi cadre de la protection sociale, et que tout qui l’a accompagné en termes d’un intense effort législatif et une importante mobilisation financière dépassant les 35 milliards de dirhams annuels, la mise en œuvre de ces chantiers a révélé de grandes limites.
Pour l’Observatoire du Travail du Gouvernement (OTRAGO), le gouvernement n’a pas anticipé la mise en place de mécanismes devant assurer l’adhésion des Marocains dans la réussite de ces chantiers, de même que des déséquilibres menacent leur continuité et durabilité, ce qui pourrait constituer une menace réelle à l’avènement de l’État social et perturber l’aboutissement du nouveau modèle de développement.
OTRAGO illustre ses propos par des exemples concrets, notamment la migration massive d’un grand nombre, plus de 600.000 bénéficiaires du système d’auto-entrepreneur, vers l’économie informelle, dans l’espoir d’obtenir un accès gratuit aux programmes de protection sociale, particulièrement face aux mesures fiscales prises par le gouvernement à l’encontre de cette catégorie. Sans oublier le recours du gouvernement à un indicateur social rigide spécifié au point de référence 9.32 avec des critères inexacts et incapables d’identifier ce qui est illégal de ce qui ne l’est pas de l’aide.
« Nous avons deux citoyens qui travaillent comme menuisiers avec les mêmes conditions sociales et le même revenu mensuel. L’un d’eux a préféré s’engager dans le formel en se déclarant en tant que travailleur indépendant, alors que le deuxième préfère continuer à travailler dans l’économie informelle. Cela créée un paradoxe : le premier, titulaire d’une carte d’auto-entrepreneur, est tenu de s’acquitter des cotisations d’affiliation à la sécurité sociale, tandis que le second bénéficie d’une exonération de ces obligations et bénéficie d’une aide de l’État ». Même chose entre AMO et AMO Tadamon.
Cette situation a d’ailleurs incité le gouvernement à décider d’amnistie sociale dans l’espoir d’inciter les travailleurs indépendants à s’inscrire à l’AMO.
Pour OTRAGO, l’émergence de ce type de situations est étroitement liée à la gestion confuse et incohérente du gouvernement qui, dans la mise en œuvre des chantiers de protection sociale, n’a pas mis en place les mécanismes nécessaires pour inciter les Marocains à adhérer à la réussite de ces chantiers.
Éducation nationale, dialogue social… l’exécutif peut-il compter sur le seul concours des Syndicats ?
A vouloir tout faire et faire vite, l’Exécutif se retrouve souvent face à des tensions sociales. Le cas du dialogue social qui était à l’arrêt et qui finalement a abouti à un accord social.
Un accord qui a été fortement salué mais qui aujourd’hui se retrouve dans une zone trouble. Pis encore, c’est la crédibilité même des partenaires sociaux qui se trouve aujourd’hui sur le fil sur rasoir. Pour preuve les protestations dans le secteur de l’éducation, qui en représente plus de 75 % de la masse des fonctionnaires.
« Du côté des employés de l’État, il semble que les syndicats soient largement dépassés dans le contrôle des mouvement de protestation… », soutient Otrago.
« Le projet du gouvernement concernant l’accord sur le dialogue social a créé une véritable crise parmi les syndicats les plus représentatifs, car les résultats du dialogue social n’ont pas été atteints et le gouvernement n’a pas tenu ses promesses, qu’elles soient électorales ou incluses dans la déclaration du gouvernement ou dans la déclaration du 30 avril…Un certain nombre de syndicats avec des composantes de la majorité gouvernementale ont grandement perdu de leur capacité à encadrer et à prendre des mesures décisives au sein du rangs ouvriers », note Otrago.
Cette situation de crise pour les partenaires sociaux a conduit à la cristallisation d’une nouvelle forme d’encadrement du mouvement syndical, à travers de multiples mobilisations collectives en dehors des syndicats et poussent à des formes de protestation plus intenses.
Certes, le gouvernement a partiellement réussi à mettre en œuvre un certain nombre d’obligations de l’accord du 30 avril 2022, mais la visibilité pour la suite est quasi-inexistante notamment l’augmentation générale des salaires, la loi sur les syndicats, la loi sur la grève, la réforme du code du travail et la résolution du problème des caisses de retraite menacées de faillite.
Et plus urgent encore, il lui faudra désamorcer la crise du statut unifié des fonctionnaires de l’éducation nationale, face à la poursuite de la grève et des syndicats isolés de leurs bases populaires.
« Cette crise a commencé par une intransigeance manifeste et une politique de mise devant le fait accompli, qui a suscité une forte réaction de la part des enseignants, en dehors de tout encadrement des syndicats, qui se sont retrouvés en désaccord entre leurs différentes composantes, entre ceux qui soutenaient la grève et ceux non », estime OTRAGO qui déplore les sorties médiatiques officielles à ce sujet, particulièrement les déclaration de Abdellatif Ouahbi, le ministre de la justice, dont les propos ont attisé les manifestations.
Pour contenir cette crise, Aziz Akhannouch a appelé à un nouveau dialogue avec les syndicats le lundi 27 novembre 2023. Mais cet appel semble se heurter à de nombreux problèmes, notamment face aux rejet des comités de coordination annonçant de toute solution dont elles ne feront partie.
Pour pallier aux différentes problématiques soulevées, OTRAGO recommande la mise en œuvre des réformes incitatives accompagnant la mise en œuvre de la loi de la protection sociale, notamment celles liées à la couverture maladie obligatoire (révision du tarif de référence pour l’indemnisation des médicaments, imposition des médicaments génériques dans les prescriptions médicales et résolution du problème des contrôles de sécurité dans les cliniques privées), et le renforcement des programmes favorisant la transition du travail informel vers un travail structuré, qui assure l’implication de chacun dans la réussite de ce projet et contribue à sa pérennité financière.
Par ailleurs, face à la crise de médiation sociale qui s’ajoute à une pléiade de risques auxquels le gouvernement doit faire face, il est urgent de promulguer la loi sur les syndicats, en tant que cadre juridique démocratique qui permet de surmonter la crise actuelle et rétablir une véritable représentation des travailleurs.
Aussi, le décret sur le statut unifié des fonctionnaires de l’éducation nationale, OTRAGO estime qu’il devra être gelé afin de trouver des formules appropriées pour impliquer dans le dialogue les coordinations de l’enseignement aux côtés des syndicats les plus représentatifs, étant donné qu’elles sont aux commandes du mouvement de protestation.
Cela passe également par la réalisation des différentes promesses incluses dans l’accord du 30 avril 2023, de manière à renforcer la position des syndicats et à restaurer le respect de leurs rôles de partenaire social et de représentant fiable des travailleurs marocains.
Plus globalement, l’Exécutif est aujourd’hui au défi de créer un climat de confiance et de sérénité nécessaires à la réussite des différents chantiers en cours dans notre pays.