Le modèle de développement ne peut être réfléchi indépendamment du projet sociétal dans lequel veut s’inscrire le Maroc, encore moins se construire en déconnexion avec les aspirations des citoyens. Peut-on néanmoins parvenir à mettre sur pied une véritable économie mixte ? A la fois productive et solidaire ?
Quel modèle de développement pour le Maroc ? C’est la question à laquelle presque tout le monde tente de trouver une réponse viable qui concilie entre les réalités et limites du Maroc et ses ambitions portées par les Marocains. Le milieu universitaire a été particulièrement actif et prolifique comme en témoigne la rencontre organisée par la Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales, en partenariat avec la Fondation Hanns Seidel, sur le thème : Le modèle de développement, Quel modèle ?
On s’arrêtera particulièrement sur l’intervention de Najib Akesbi, universitaire et économiste qui a développé l’idée le choix de quel modèle pour le Maroc découle de l’expression d’une ambition, et pour l’économie en particulier, d’une vision d’ensemble. S’ensuit le projet et ses réformes, à commencer par celle préalable à toutes les autres, et qui n’est pas économique mais politique. Najib Akesbi a développé son propos relatif aux réformes économiques proprement dites autour de cinq axes, ordonnés en actions à court, moyen et long termes. Le tout dans l’objectif de bâtir une économie nationale au service du Citoyen, au sein d’une Société démocratique et solidaire… et cela passe, selon l’économiste N. Akesbi par une économie forte et productive, mixte et inclusive, ouverte et compétitive, respectueuse des équilibres écologiques et soucieuses des droits et de la dignité des citoyens.
Pour y parvenir, c’est tout un programme ! Mais l’essentielle réforme que Najib Akesbi qualifie de préalable politique est la réforme constitutionnelle instituant l’Etat de Droit, la séparation, des pouvoirs et liant légitimité des urnes, responsabilité dans l’exercice du pouvoir et reddition des comptes.
Hormis ce préalable, comme expliqué plus haut, l’intervention d’Akesbi s’est articulée sur cinq séries de réformes. La première concerne des actions à court terme, pour « arrêter l’hémorragie », pour paraphraser Akesbi. A commencer par la problématique mise en cohérence des différents plans sectoriels. L’économiste préconise également la revue des priorités des investissements publics, notamment dans le sens d’une meilleure adéquation avec les besoins du plus grand nombre, de l’emploi…
Aure action à court terme est le déploiement des « clauses de sauvegarde » pour limiter les effets néfastes de certains. Autre sujet qui tient particulièrement à cœur à Najib Akesbi est la question fiscale. Il appelle d’ailleurs dans ce sens à l’assainissement de l’ensemble du dispositif des « dépenses fiscales » et repenser les politiques d’incitation…
Enfin, en finir avec les sources de rentes (les agréments), les monopoles et les ententes (c’est l’une des missions du Conseil de la Concurrence), la corruption et les multiples pratiques de détournements des fonds publics…
Ces réformes enclenchées, vient la deuxième partie du travail à faire à moyen terme dans le sens de mettre sur pied les bases d’une économie mixte, productive et solidaire. Dans ce sens, cinq piliers ont été identifiés dans l’intervention de Najib Akesbi.
D’abord, l’élaboration d’un Plan de développement national global, porteur d’une vision stratégique de long terme, fruit de processus participatifs, et fondé sur des choix sectoriels, territoriaux et sociétaux clairs… La réhabilitation du secteur, et service, public, productif et au service des besoins de la population revêt également une grande importance à ce stade.
Le troisième élément participant à la mise sur pied d’une économie mixte et solidaire est l’élargissement aussi bien du marché intérieur que la classe moyenne vie une politique des revenus, logement, crédit… Vient alors le rôle du tissu entrepreneurial et dans ce sens, la promotion des conditions d’une vraie économie de marché et de « l’entreprise citoyenne » est souhaitable ainsi que le soutien aux PME et à l’auto-entrepreneuriat.
Les ALE à revoir
Le Maroc s’est inscrit dans un courant économique libéral et une ouverture des marchés, parfois béate frôlant la naïveté. Pour preuve, une cinquantaine d’ALE pour les résultats que l’on connaît. Dans ce sillage, Najib Akesbi préconise de repenser le processus d’ouverture sur l’extérieur. D’abord par l’engagement d’un processus de remise en cause et de renégociation des Accords de Libre-échange existants, sur la base d’une ouverture plus sélective et mieux réfléchie. Aussi, cela passe-t-il par l’examen de la situation des secteurs ayant besoin d’une « protection contractuelle », de ceux ayant besoin de mise à niveau, de ceux pouvant être libéralisés.
Pour Najib Akesbi, il ne fait nul doute qu’il faut moduler les dispositifs de protection en fonction d’une vision stratégique de l’économie nationale dans la mondialisation et des intérêts des producteurs et des consommateurs…
Mais cela ne saurait suffire puisqu’en contre partie il faut construire une « offre », diversifiée et compétitive. Et surtout renforcer les compétences nationales en matière de négociations commerciales internationales.
Le quatrième pilier développé par l’universitaire concerne les équilibres macro-économiques notamment face aux exigences des équilibres sociaux et environnementaux. A cet effet, il faudrait inscrire dans la nouvelle Constitution une nouvelle « règle d’or »: celle de la souveraineté sur les politiques publiques nationales et leur « indépendance » à l’égard des Institutions financières internationales, appelle de son vœu N. Akesbi. Deux autres actions figurent dans ce registre : Redéfinir le contenu et les conditions de réduction du déficit budgétaire et de lutte contre l’inflation ; et dans tout projet d’investissement, et à côté des critères économiques et financiers, ériger en déterminants les critères sociaux, territoriaux et environnementaux.
Le cinquième volet développé par Najib Akesbi lors de cette rencontre organisée par la Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales, en partenariat avec la Fondation Hanns Seidel, concerne la réforme des systèmes de financement de l’économie. Et en premier lieu, figure la redéfinition des conditions de « l’indépendance » de Bank Al Maghrib et de la politique monétaire. Il est également préconisé de réformer le secteur bancaire pour y créer de meilleures conditions de concurrence, et donc de crédit.
Aussi, est-il préconisé de réexaminer les politiques et les choix nécessaires à une réforme globale des dépenses publiques : statut de la fonction publique, marchés publics, rationalisation des dépenses…
Enfin, l’élaboration d’un plan de reconversion de la dette publique intérieure en investissements.
La fiscalité, encore et toujours
Cela fait des années durant que Najib Akesbi appelle à une réforme fiscale pour plus d’équité et d’efficacité. Et à quelques mois des prochaines assises sur la fiscalité, l’économiste et universitaire rappelle encore une fois les préalables pour y parvenir. D’abord, en élargissant l’assiette fiscale et en améliorant la progressivité du système.
Une fois de plus, l’économiste insiste sur l’impératif de la fiscalisation réelle de l’agriculture.
Autre action à mener dans ce sillage est l’harmonisation de l’imposition des revenus du travail et du capital, et accroître la progressivité de l’Impôt sur le revenu. Najib Akesbi a appelé à revoir le système des incitations fiscales en ciblant et contractualisant les avantages fiscaux éventuels. L’économiste revient également à la charge pour appeler à la mise à contribution du Capital, lors de sa détention et sa transmission : Impôt sur les grandes fortunes (IGF), Impôt sur les successions. La réforme doit également intégrer le développement d’une fiscalité régionale et d’une fiscalité écologique. Enfin, engager une politique globale de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
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