Depuis sa mise en place en décembre dernier, la Commission spéciale sur le modèle de développement a suscité à la fois la curiosité, l’espoir, la défiance, le scepticisme… elle a également essuyé des critiques acerbes.
Son travail est scruté par l’opinion publique qui se donne à cœur joie de commenter ses rencontres, ses visites, ses audiences… la critiquer, la conspuer, l’applaudir… Force est de reconnaître que l’attente, voire la frustration, des Marocains est telle, que la divergence des avis, les opinions mitigées parfois même la virulence des propos sont tout à fait compréhensibles.
Les membres de la commission et son président en ont conscience. D’ailleurs, ils ne promettent pas monts et merveilles. Conscients de leur rôle et de leur mandat, ils travaillent de manière pragmatique à identifier des solutions à des problèmes devenus structurels dans ce pays. D’ailleurs dans un effort de communications sur l’état d’avancement de son travail, la Commission a tenu une rencontre avec les médias, relais indispensable auprès de l’opinion publique.
L’occasion pour Chakib Benmoussa, Hakima Himmich, Ahmed Réda Chami, Mohamed Tozy et Driss Ksikès, de faire d’abord part des principales attentes qui ont été formulées lors des visites du terrain mais surtout de répondre aux questions ô combien nombreuses des journalistes.
Et l’une des questions récurrentes concerne les audiences avec les partis politiques. Pour ne pas se voiler la face, ils sont pointés du doigt par la population comme facteur de frustration de la population comme en témoignent aussi bien le taux en chute continue des votes que le nombre d’inscrits sur les listes électorales mais aussi et surtout l’échec de leur rôle d’encadrement des populations comme le prouvent les mobilisations collectives aussi bien sur les réseaux sociaux que les mouvements sociaux. La responsabilité des partis politiques dans ce que nous vivons aujourd’hui ne fait plus l’ombre d’un doute.
Cela dit, le président de la commission tempère. Dans son travail, la commission ne pouvait pas occulter le rôle des partis politiques dans la construction du nouveau modèle de développement : « Les partis politiques sont des acteurs essentiels dans toute construction démocratique. C’est notre conviction. Beaucoup de partis ont déjà préparé leur contribution. Certains ont en revanche sollicité un peu plus de temps après nos réunions pour présenter leur feuille de route. Ce qu’il faut savoir c’est que beaucoup de partis sont conscients des problèmes et des difficultés qui sont les leurs. En même temps ils considèrent qu’il y a un enjeu national qui nécessite la mobilisation de tous, dont les partis politiques », argue Chakib Benmoussa.
Ahmed Réda Chami, lui, s’interroge : « Si quelqu’un pense que les réformes vont se faire sans les partis politiques j’aimerai bien savoir comment. C’est juste impossible. L’acteur politique est important dans ce processus puisque c’est lui qui exécute ».
Six mois, délai réalisable ?
La deuxième question qui se pose avec acuité est comment parvenir en six mois à résoudre des problèmes cumulés sur soixante ans, depuis l’indépendance du Maroc, à savoir les privilèges indus, la rente économique, la rente politique, la corruption qui n’épargne aucun secteur, la sclérose de l’administration publique, l’absence de leadership au niveau des partis politiques, la détérioration du système de santé et d’éducation, un ascenseur social en panne… le respect du délai imparti à savoir fin juin est une question préoccupante vu l’urgence des besoins exprimés par la population, notamment des jeunes qui n’osent même plus rêver, sinon à quitter le pays.
« En effet, aujourd’hui nous avons de vrais dysfonctionnements. Mais, il y a aussi des choses qui ont bien marché, des atouts. Ce qu’il faut identifier c’est pourquoi le modèle actuel s’est essoufflé et ne créé plus de richesses ? Pourquoi les richesses sont inégalement réparties ? La raison de la faillite de certains secteurs publics ? La bonne nouvelle est que nous n’avons pas besoin de 60 ans pour trouver les réponses. Aujourd’hui une partie du constat est faite », rassure A. R. Chami.
Et d’ajouter « Au regard du temps qui reste, fin juin, nous sommes juste-juste. Heureusement il y a beaucoup de choses adressées par des organismes marocains et internationaux en plus des six visites effectuées sur le terrain et des audiences avec les partis politiques ainsi que le travail de la commission. Nous sommes dans les temps pour adresser les problématiques avec les solutions. Pour autant, nous n’arriverons pas à adresser toutes les problématiques en six mois. C’est pourquoi nous allons nous axer sur les priorités et les objectifs ».
Si le nouveau référentiel s’inscrit dans un horizon de dix à quinze ans, la commission, à travers ses visites de terrain a palpé des priorités qui exigent des réponses immédiates et efficaces, notamment l’accès à des espaces de culture et de loisir, l’accès aux libertés individuelles, aux soins de santé, à la concurrence loyale comme le sollicitent les entreprises, à un enseignement public de qualité…
Dans ce sens, C. Benmoussa rappelle que ce cadre de référence doit prendre en considération un horizon temps que la commission a considéré de 10 à 15 ans, ce qui représente 2 à 3 mandatures. Le cadre de référence permet d’avoir la vision, les priorités, les inflexions majeures… mais qui doit être combiné également avec des quicks wins pour obtenir des changements rapides sur les questions brulantes qui ne supportent plus d’attendre et surtout recouvrer la confiance des citoyens.
Sur la problématique d’opérer sur un plan régional et de représentativité, le Président de la Commission précise que « Nous sommes aujourd’hui au début du processus avec une démarche pragmatique à travers les premières visites sur le terrain. Il y aura cependant une démarche plus systématique qui touchera à la fin l’ensemble des régions. Nous n’allons pas couvrir toutes les zones du royaume mais nous veillons à ce que par l’une ou l’autre des actions (ville, périphérie, province…) nous puissions toucher toutes les régions. Cette interaction nous permet de mieux articuler le modèle de développement ».
A quoi serviraient les autres ?
Justement si la forme de ce modèle commence à être assimilée, il n’en demeure pas moins important de savoir qui le mettra en œuvre ? Ne risque-t-il pas de décrédibiliser davantage la classe politique qui devient in fine un simple organe d’exécution ?
Chakib Benmoussa rappelle que la CSMD est une commission consultative mandatée pour élaborer ce projet qui n’est pas un projet électoral mais dans lequel toute partie peut puiser et décliner des solutions. « Nous pensons que ce mandant a une signification. Le processus consiste en une démarche la plus ouverte et la plus participative qui puisse être. Notre rôle est de créer des conditions d’appropriation de façon que ce rapport ne soit pas considéré comme étant un rapport de consultants qui serait mis de côté. A noter également que dans le mandat de la commission, il est question de réfléchir à des mécanismes de mise en œuvre et de suivi du nouveau modèle qui ne doit pas être figé. Nous attendons l’adhésion de toutes les parties prenantes à savoir partis politiques, organisations syndicales, société civile, citoyens… qui constituent autant d’atouts pour pourvoir mettre en œuvre ledit modèle », souligne-t-il. D’ailleurs Driss Ksikès rappelle l’importance de cette co-construction de ce nouveau projet.
Pour récapituler, deux mois après sa mise en place, la machine est bien lancée et la visibilité commence à se dégager aussi bien sur la méthodologie du travail (et la symbiose entre les membres pour créer une sorte d’intelligence collective pour reprendre les propos de Mohamed Tozy) que sur la forme et le fond du livrable, mais également une volonté certaine des membres d’être au rendez-vous. Accordons-leur le bénéfice du doute. Puis l’espoir (sans être béat non plus), d’un Maroc meilleur pour ses enfants, fait vivre !
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