Ecrit par Soubha Es-Siari I
Dans un contexte marqué par une succession de crises aussi bien économiques que politiques, la pression se fait de plus en plus forte sur les ressources financières pour répondre aux besoins croissants des citoyens. A ce titre, la responsabilité dans le domaine des finances publiques occupe une place centrale pour éviter les erreurs, les dérapages et la dilapidation. Le rapprochement de la gestion publique-privée et l’élargissement du périmètre d’intervention des Institutions supérieures (ISC) de contrôle sont désormais les mots d’ordre.
La rencontre scientifique organisée ce jeudi 22 février par la Cour des comptes était un moment fort pour discuter du rôle des Institutions supérieures de contrôle (ISC), de leur marges de manœuvre, des réformes à mener… pour une efficacité et efficience palpables pour le citoyen.
« La question de la responsabilité dans le domaine des finances publiques occupe une place centrale dans le cadre de la consolidation des fondements de l’État de droit. Elle se considère comme un aspect essentiel de l’État moderne et de la pratique démocratique dans la gestion des affaires publiques. Si la responsabilité des administrateurs publics lors de l’exercice des fonctions qui leur sont confiées peut être évoquée dans le domaine de la gestion financière, les responsabilités que les ISC peuvent assumer, directement ou indirectement, revêtent une importance particulière », rappelle à juste titre Zineb El Adaoui, présidente de la Cour des comptes.
Et d’enchaîner : « Il s’agit d’organismes professionnels neutres, spécialisés et crédibles dans leurs interventions, non seulement en raison de leur indépendance à l’égard des autorités législatives et exécutives, mais également en raison de leur souci à garantir la qualité de leur travail et veiller à son impact en adhérant aux normes professionnelles approuvées au niveau international dans le domaine du contrôle, de l’audit et de la responsabilité ».
Indépendamment de la différence de nature des institutions supérieures de contrôle des finances publiques, elles sont similaires dans l’objectif qu’elles cherchent à atteindre, qui est, selon l’article 1 de la Déclaration de Lima de 1977, d’enregistrer les écarts par rapport aux règles, ainsi que déséquilibres et violations au regard des lois et règlements et dans l’évaluation de l’efficacité, de l’efficience de l’économie dans la gestion financière de manière à permettre de prendre des mesures correctives dans chaque cas. Le but étant de déterminer les responsabilités ou prendre des mesures pour éviter ou rendre extrêmement difficile la répétition de telles pratiques.
Dans ce contexte, et conformément aux différentes transformations actuelles auxquelles sont soumises les finances publiques et les modes de gestion des affaires publiques en général, la gestion publique moderne s’est orientée vers la réduction des différences entre gestion publique et gestion privée à travers la recherche de l’efficacité dans la gestion publique.
Cela nécessite, selon Zineb El Adaoui, d’accorder aux agents publics une large marge de liberté et de discrétion dans la prise de décisions et les actions de gestion, et d’être caractérisées par un esprit d’initiative et de créativité en échange du renforcement du contrôle de cette activité et de son extension pour inclure dans sa pratique l’approche économique, en plus de l’approche juridique.
« Il ne fait aucun doute que ces réformes auront des effets juridiques qualitatifs sur le système de responsabilité des administrateurs publics devant les institutions supérieures de contrôle, en raison de l’importance de développer de nouveaux systèmes de responsabilité qui ne se fondent pas seulement sur la garantie du principe de légalité et de conformité, mais également sur la responsabilité des erreurs de gestion et sur la qualité des comptes publics, ainsi que sur l’évaluation des résultats obtenus en fonction des méthodes utilisées », annonce El Adaoui.
Intervenant lors de cette rencontre Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget a tenu à rappeler à son tour que cette rencontre est cruciale parce qu’elle permet certes un échange d’expériences mais aussi de faire le diagnostic des réalisations en matière de contrôle des ISC et de se projeter dans l’avenir.
Il s’agit bien entendu de lancer la réflexion sur les réformes à venir pour atteindre les objectifs escomptés notamment l’impact des politiques publiques sur la vie des citoyens et sur les localités. Dans la foulée, il rappelle que le contexte a tellement évolué que les prévisions sont devenus difficiles et très compliquées. Les priorités de 2021, année de transition après la crise sanitaire ne sont plus celles d’aujourd’hui.
Aussi, le contexte actuel est-il marqué par deux faits majeurs : le premier est structurel concerné par l’introduction des technologies de l’information. Le second élément est le changement en permanence de tous les ingrédients d’une politique publique.
Jamais selon le ministre, le contexte n’a évolué avec une telle fréquence que celle d’aujourd’hui. Il cite l’exemple des matières premières qui changent continuellement et impactent les autres données. A cet égard, les ISC sont appelées à prendre en considération tous ces changements, s’adapter à cette mouvance. Pour ce faire, les textes doivent également changer. C’est d’ailleurs ce qui explique le changement récent du texte de la commande publique.
En conséquence, cette question dépasse les dimensions purement juridiques et techniques pour aborder d’autres éléments en vue de la construction d’un État moderne et ce qu’il exige pour renforcer la transparence et garantir la responsabilité des responsables de la gestion des affaires publiques.
Il s’agit d’une part, de renforcer la confiance des autorités et des citoyens dans les méthodes et approches de gestion des fonds publics et renforcer la cohésion et la paix. Et d’autre part, de créer de la richesse et des opportunités d’emploi.
Dans ce contexte, le large champ d’intervention des ISC et la diversité de leurs mécanismes et résultats constituent un facteur majeur et décisif pour éviter les cas d’impunité et pour établir un système de responsabilité adapté à la nature des violations qui ne se caractérisent pas par une plus grande gravité et ne font pas l’objet d’une responsabilité pénale.
« Compte tenu des attentes croissantes de développement de nos sociétés, à la lumière des crises géopolitiques, économiques et financières mondiales successives et de leurs répercussions, nous, en tant qu’organismes de contrôle, sommes obligés de progresser vers des étapes plus avancées dans les pratiques de contrôle et de nous engager dans une nouvelle dynamique, basée sur une perception préalable des transformations profondes dans la nature de nos nouvelles fonctions institutionnelles et de développement et des enjeux et défis auxquels est confronté le contrôle de l’argent public en contribuant à la discussion sur les principaux axes de réformes pour moderniser la législation nationale relative aux systèmes de responsabilité pour suivre, outre ces contraintes, l’évolution des finances publiques et des réformes du secteur public », conclut El Adaoui.
Parce que les institutions supérieures de contrôle opèrent dans le cadre d’un système institutionnel de contrôle des finances publiques au sein de chaque pays, l’efficacité de l’application du principe du lien entre responsabilité et redevabilité nécessite, en parallèle, d’assurer l’intégration avec les différents organes de contrôle qui composent ce système, ainsi que les organes et institutions de gouvernance dans le cadre d’un système national intégré.
Une chose est sûre : le diagnostic dressé par les intervenants interpelle par rapport aux perspectives d’un avenir empreint d’incertitudes. D’où l’enjeu de traduire les recommandations émanant de cette rencontre en process, d’intégrer la logique du respect de la réglementation, de mettre en place des indicateurs de performance… et ce pour un meilleur impact sur le citoyen parce que in fine c’est le but ultime de toute politique publique.