La croissance des créances en souffrance (CES) s’est accélérée à +15,3% après +9% l’année précédente. Une hausse jugée inquiétante dans la sphère économique et financière. A l’occasion de chaque Conseil, la Banque Centrale par la voix de son gouverneur rassure qu’elle est consciente du niveau élevé des CES et qu’elle veille au grain.
Dans ce cadre, Bank Al-Maghrib se penche actuellement sur un projet de structure de défaisance relatif aux créances en souffrance. Pour savoir davantage sur ce dispositif expérimenté sous d’autres cieux et sur les perspectives de son déploiement à l’échelle nationale, l’agence de presse MAP a réalisé un entretien avec Maître Nawal Ghaouti, avocat agréé près la Cour de Cassation.
De prime abord, elle explique que l’opération de “in-subtance defeasance » est une technique d’ingénierie financière qui permet à une entreprise donnée d’atteindre un résultat équivalant à l’extinction d’une dette figurant au passif de son bilan, par le transfert de titres à une entité juridique distincte qui sera chargée de la dette.
« S’agissant du secteur financier, la défaisance intervient par la création d’une “bad bank” qui est une structure dans laquelle sont transférés les actifs douteux de l’établissement bancaire en difficulté, afin d’en assainir le bilan. Sa mission est de liquider au meilleur prix les actifs repris pour limiter les pertes pour l’actionnaire et la collectivité », explique-t-elle.
Les bad banks peuvent être logées au sein de la banque elle-même dans le cadre d’un traitement analytique avec une structure de management séparé, les pertes éventuelles sont alors supportées par les actionnaires, ou bien constituer des structures publiques ce qui signifie que toute perte sera finalement à la charge du contribuable. Le but est de continuer de refinancer les portefeuilles douteux en attendant l’échéance, un retour à meilleure fortune ou une cession.
Aussi, elle rappelle que « C’est un mécanisme qui a été expérimenté aux Etats-Unis dès les années 1980, et a été mis en place par de nombreux pays européens suite à la crise de 2008 : l’Allemagne, la France, la Suisse, l’Espagne, le Danemark et l’Irlande l’ont notamment adopté avec des résultats mitigés selon les pays. Le modèle Suédois est un exemple de succès dans la résolution de la crise bancaire par ce mécanisme ».
Interrogée par la MAP si le dispositif de défaisance est la solution miracle pour les CES, N. Ghaouti répond : « Il existe plusieurs moyens pour un État d’intervenir dans une crise touchant le secteur bancaire. Pour financer les pertes réalisées par des institutions financières et assurer la continuité de leur exploitation dans des conditions assainies, la formule de la défaisance n’est qu’une option parmi d’autres ».
Et d’enchaîner : « Le cantonnement n’est pas une solution miraculeuse, il constitue simplement un montage permettant plusieurs avantages non négligeables : étaler les éventuelles pertes dans le temps, sauvegarder les intérêts des déposants individuels, libérer du crédit pour assurer la relance ».
Selon les leçons tirées des différentes expériences étrangères, il ressort que pour assurer son succès, la stratégie des sociétés de défaisance à créer doit être minutieusement préparée en amont de même que l’évaluation des actifs cédés doit se faire au plus près du prix du marché.
Un recul de plus d’une décennie, et de nombreuses études faites aux USA mais aussi un important rapport de la Cour des Comptes française par exemple donnent de précieuses indications sur les écueils à éviter afin de permettre un montage pertinent eu égard à la situation particulière de chaque pays
Pour le cas du Maroc, Nawal Ghaouti annonce que Bank Al-Maghrib a envisagé la mise en place de la défaisance bien avant la crise covid-19 et dès 2019 selon ses déclarations. La pandémie a accéléré simplement cette nécessité d’apporter une réponse globale à la situation critique de la recrudescence des créances impayées du système bancaire dans sa globalité.
Le manque de liquidité sur le marché interbancaire et la dégradation de la solvabilité des institutions financières sont les deux problèmes majeurs qui, de manière générale, appellent une intervention de l’Etat dans la gestion d’une crise d’une telle ampleur.
Il s’agit selon elle de veiller à empêcher l’occurrence d’une crise systémique pouvant aggraver les difficultés de certains établissements bancaires fragilisés par la multiplication d’actifs douteux et illiquides, devenus toxiques, tout en leur permettant de poursuivre leur activité de distribution de crédit dans de meilleures conditions. Il s’agit également bien entendu de protéger l’épargne des déposants de ces établissements.
Nawal Ghaouti plaide à investir plusieurs pistes pour remédier à la problématique des CES. Si l’on tire quelques leçons des précédentes crises financières y compris la dernière de 2008, il s’avère que les pays qui ont pu redresser la situation n’ont pas adopté une stratégie unique mais ont eu recours en général à un panier de mesures dont l’incitation fiscale.
La crise japonaise des années 90 nous a appris les limites des solutions privées dans ce type de contexte où la crise est systémique, ce qui induit à juste titre l’intervention du banquier central.
Au Royaume Uni en 2008, le gouvernement avait recapitalisé les banques par un plan de 50 milliards dont il avait nationalisé certains établissements en y prenant des participations.
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