Le Maroc est un pays dont la dépendance énergétique est, depuis 5 ans, entre 90 et 92% après avoir oscillé entre 95 et 97% entre 1999 et 2008. Mais quelle est l’incidence économique de cette dépendance « technique » sur ce que l’on appelle couramment la « facture énergétique », expression galvaudée, qui, au Maroc, se résume à la valeur des imports nets de produits énergétiques, qu’ils soient élaborés ou non ?
La totalité des agrégats sont tirés de plusieurs sources officielles[1], [2], [3], [4], et la contribution des combustibles à la « facture énergétique » est estimée en considérant que la consommation se confond avec les imports nets, c’est-à-dire en négligeant la variation des stocks, à défaut de l’avoir.
ÉVOLUTION DE LA DÉPENDANCE ÉNERGETIQUE ET ÉLECTRIQUE
Locaux ou importés, les masses ou volumes des combustibles sont préalablement convertis en tonnes d’équivalent pétrole (tep) à l’aide de leur pouvoir calorifique alors que l’électricité renouvelable ainsi que celle échangée avec les pays voisins sont converties à l’aide d’un facteur conventionnel de 0,26 tep/MWh (énergie que l’on fournirait à une turbine à gaz produisant 1 kWh d’électricité avec un rendement de 30%).
La Figure 1 montre l’évolution, durant les quarante dernières années, des dépendances énergétique (carrés bleus se rapportant à l’échelle bleue de gauche) et électrique (cercles bleus) du Maroc ainsi que celle du pourcentage d’électricité renouvelable (triangles rouges se rapportant à l’échelle de droite).
Figure 1 Évolution des dépendances énergétiques et électriques du Maroc
Il est entendu par dépendance énergétique la quantité d’énergie qu’il a fallu importer (après avoir ôté les éventuels exports) rapportée à celle qui est consommée localement. Quant à la dépendance électrique, elle est entendue comme la quantité d’énergie qu’il a fallu importer pour la production électrique rapportée à la totalité de l’énergie nécessaire à la production électrique. Enfin, le pourcentage d’électricité renouvelable est la part des composantes éolienne, solaire et hydroélectrique conventionnelle (hors STEP) rapportée à la totalité de l’électricité.
Les oscillations les plus fortes sont toutes dues à la variation de la production hydroélectrique (fluctuations de pluviométrie) et leur atténuation progressive n’est due qu’au fait qu’à la baisse drastique de la part de l’hydroélectricité dans le bilan national résultant de la combinaison de l’augmentation globale des besoins et de l’importante baisse quantitative de la production de l’électricité de source hydraulique.
La montée des dépendances énergétique et électrique au dessus de 90% dès la fin années 1990 est due à l’abandon des mines de charbon de Jerada. Depuis lors, seule l’électricité renouvelable contribue à indépendance électrique du pays (la courbe des triangles rouges coïncide avec celle des ronds bleus).
ÉVOLUTION DE LA « FACTURE ÉNERGÉTIQUE » ET DE SA SEGMENTATION
Dans le but de décortiquer correctement la « facture énergétique », il a fallu, contrairement à ce qui se fait couramment, traiter le détail du Chapitre 27 de la nomenclature douanière4 en y ignorant les produits, même inflammables, qui ne sont pas utilisés en énergie (bitumes, lubrifiants, diluants, etc.). Puis, les produits énergétiques restants sont affectés aux familles « pétrole », « charbons », « gaz naturel » ou » électricité » avant d’être de nouveau affectés, s’il y a lieu, à des produits de l’énergie finale (gasoil, super, fuel, avion, butane, propane, électricité).
Le graphique de gauche de la Figure 2 montre l’évolution des imports nets : leur contenu énergétique (millions de tonnes d’équivalent pétrole des carrés bleus se rapportant à l’échelle de gauche) ainsi que leur valeur (milliards de Dh des ronds rouges de l’échelle de droite). Quant au graphique de droite de la Figure 2, il montre l’évolution du coût moyen de la Mtep résultant de la division des courbes du graphique de gauche.
Figure 2 « Facture énergétique » en énergie et en valeur (gauche), son coût unitaire moyen (droite)
Sur les trente dernières années, les imports nets d’énergie sont passés de 8,0 (1995) à 21,8 millions de tonnes d’équivalent pétrole, atteints en 2022, et le coût de ces imports a varié en dents de scie tout en grimpant à 145 milliards de Dh en 2022. Dans le même temps, le pays a subi tous types de prix unitaires moyens de l’énergie importée entre 1’130 (1995) et un peu plus de 6’600 Dh par tep en 2022 après avoir atteint 5’500 en 2012. Toutefois, il semble bien qu’il y ait eu deux phases : la tep des imports nets coûtait entre 1’000 et 2’000 Dh avant 2003 alors que depuis 2008 (avec une moyenne de 1’240) alors qu’elle n’est descendue que sporadiquement en dessous de 3’000 Dh (avec une moyenne de 3’870).
Il va de soi que ce coût unitaire moyen résulte d’un mix de produits énergétiques qui lui-même change d’une année à l’autre. La Figure 3 montre la segmentation du coût de la « facture énergétique » en importations nécessaires à la satisfaction des besoins du Maroc en énergie totale (à gauche) ou en électricité seule (à droite, qui, après avoir pointé à 22,5 milliards de Dh en 2012, a atteint 33,6 en 2022 !).
Figure 3 Segmentation de la « facture énergétique » par rapport aux importations nécessaires au total de l’énergie (à gauche) et à l’électricité seule (à droite)
Même si les deux graphiques de la Figure 3 ont des maximums en valeur qui coïncident avec ceux des prix moyens de l’énergie importée montrés dans le graphique de droite de la Figure 2, la structure des deux segmentations est différente. En effet, sur le graphique de gauche, les parts de la composante pétrolière ont toujours dominé alors que sur le graphique de droite, les parts du charbon ont progressivement pris la première place.
ÉVOLUTION DE L’INCIDENCE DE LA « FACTURE ÉNERGÉTIQUE »
La Figure 4 montre la valeur de la « Facture énergétique » rapportée au nombre d’habitants (ronds bleus, gauche) et rapportée au PIB (carrés rouges, droite).
Figure 4 « Facture énergétique » par habitant (ronds bleus, gauche) et rapportée au PIB (carrés rouges, droite)
On voit que les prix internationaux de l’énergie se sont traduits par un poids :
- qui a atteint 3’958 Dh par habitant en 2022 non sans avoir pointé à 2’901 Dh en 2012, durant les années les plus favorables de la dernière décennie, il est descendu entre 1’200 et 1’800 Dh,
- qui a atteint 12,2% du PIB en 2022 non sans avoir pointé à 11,5% Dh du PIB en 2012, durant les années les plus favorables de la dernière décennie, il est descendu entre 4 et 6,5% du PIB.
CORRÉLATIONS DÉCOULANT DE LA « FACTURE ÉNERGÉTIQUE »
La large palette de coûts unitaires du graphique de droite de la Figure 2 permet de faire une étude de sensibilité à l’égard de ces coûts unitaires qui ne dépendent que de la conjoncture internationale des marchés de l’énergie. La Figure 5 montre l’impact de ce prix moyen des imports nets de produits énergétiques (abscisse en rouge) sur le coût par habitant (bleu), sur le poids des produits énergétiques importés sur les exports (marron) et enfin sur les imports (noir).
Figure 5 Impact du prix moyen des imports nets de produits énergétiques (rouge) sur le coût par habitant (bleu), sur le poids des produits énergétiques importés sur les exports (marron) et sur les imports (noir)
Les trois graphiques montrent clairement l’impact du prix moyen imposé par le marché international. Ils suggèrent que chaque 1’000 Dh supplémentaire sur la tep nette importée :
- coûte 500 Dh supplémentaires à chaque habitant (déduit de la pente de la droite bleue),
- phagocyte environ 4,5% des exportations totales,
- pèse près de 5% sur les importations totales (même si l’augmentation est non linéaire).
La conséquence des corrélations de la Figure 5 est montrée dans la Figure 6 qui illustre comment les imports de produits énergétiques, exprimés en pourcentage des exports dépendent du poids des produits énergétiques dans les importations du pays.
Figure 6 Variation des imports de produits énergétiques, exprimés en pourcentage des exportations totales, en fonction du poids des produits énergétiques dans les importations totales
De la pente de la droite de la Figure 6, on peut déduire que chaque fois que le poids des imports de produits énergétiques dans les importations totales augmente de 1%, il consomme près de 1,66% des exportations totales du pays ! Finalement, même si ceci est choquant, il est à l’image d’un pays qui ne couvre que deux tiers de ses importations par des exportations.
CONCLUSIONS
Le Maroc n’a aucune prise sur les prix internationaux de l’énergie et, tout au plus peut-il trouver des contrats d’approvisionnement qui amoindrissement les chocs. Toutefois, tant que la « facture énergétique » sera capable de consommer jusqu’à 50% de ses devises des exportations et / ou d’appauvrir le pays en absorbant jusqu’à 12% de son PIB, la course aux exportations dans laquelle s’est engagé le Maroc est incontournable, fût-ce, parfois, au détriment de nos ressources en eau (!). Alors oui, pour le Maroc, l’énergie, et avec son corollaire de dépendance actuelle, est bien le talon qu’Achille devait à tout prix protéger !
Ceci dit, la prochaine exploitation des puits gaziers de Larache et Tendrara devrait permettre, à elle seule, de baisser la dépendance énergétique de près de 3,5%[5]. Quant à la lutte contre le gaspillage d’énergie, l’usage d’appareils moins énergivores et la mise en service de chaque parc éolien ou de chaque ferme solaire, ils contribuent déjà à baisser graduellement la dépendance énergétique, ou, au moins, à empêcher sa dégradation. Il est clair que les moyens publics ne suffisent pas à baisser la dépendance énergétique, et il est fait appel au partenariat public ‑ privé sous toutes ses formes, tant que faire se peut. Toutefois, à l’heure où tout le monde sait que la bataille actuelle contre la dépendance énergétique doit être menée avec plus de vigueur, en gagnant position par position, il est difficile d’accepter la timidité avec laquelle on aborde les problèmes de court et moyen terme en parlant en permanence du très long terme.
Si la fréquence avec laquelle Sa Majesté Le Roi Mohamed VI réunit nos responsables de l’énergie permet de leur donner de l’élan, tant mieux ! Mais c’est aussi le signe d’une inquiétude royale pour les résultats de court terme dans la bataille de l’indépendance énergétique qu’on ne peut que saluer, partager et agir sans la pression des lobbies qui ont plus à défendre leurs propres intérêts que ceux du pays et de l’environnement. On n’arrivera nulle part si, à chacune de nos étapes actuelles, nous cédions à tel ou tel groupe de pression.
Ecrit par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
[1] Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement du Royaume du Maroc, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Energie, https://www.observatoirenergie.ma/data/ – Ce site a été fermé en 2021
[2] Direction des Etudes et des Prévisions Financières du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration du Royaume du Maroc, Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[3] Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[4] Office des Changes, »Base de données du commerce extérieur du Maroc », https://services.oc.gov.ma/DataBase/CommerceExterieur/
[5] Amin Bennouna, « Le Maroc à l’aube de l’autosuffisance pour approvisionner ses centrales électriques au gaz naturel« , EcoActu, 28 Février 2023, https://www.ecoactu.ma/gaz-naturel-autosuffisance-centrales-electriques/