Dès le mois d’avril, nous nous sommes intéressés à la consommation d’énergie du pays en 2022 et si nous n’avons rien de nouveau à nos annonces sur l’électricité, quelques légères corrections doivent être apportées aux consommation d’hydrocarbures dont les chiffres d’alors ignoraient la variation des stocks[1].
La présentation de la Ministre Leïla Benali à une Commission Parlementaire (celle des Infrastructures, de l’Énergie, des Minéraux et de l’Environnement) permet non seulement d’amender les chiffres qui doivent l’être mais surtout d’expliquer des variations inhabituelles qui peuvent paraître curieuses à certains égards.
Figure 1 Segmentation de la consommation totale d’énergie au Maroc en 2022
Les produits pétroliers
Pour le commun des marocains qui ne voit que le prix à la pompe et les efforts qu’il fait pour limiter l’usage de son véhicule, entendre que la consommation des produits pétroliers du Maroc a augmenté de 6% entre 2021 et 2022 peut paraître curieux. Toutefois, pour comprendre la variation d’un tel agrégat, il convient de faire une analyse par poste qui révèle que :
- La consommation du fuel a fortement augmenté (+68,0%) à 1,722 Mt, inégalée depuis 2013 mais c’était surtout pour compenser l’arrêt partiel des centrales électriques au gaz naturel qui ont pourtant repris en fin d’année 2022, jamais la consommation de fuel n’a subi une telle hausse.
- La consommation des gaz de pétrole liquéfiés a augmenté de 4,1%, parmi lesquels :
- le butane a subi une augmentation (+2,9%) hausse « normale » par rapport aux années précédentes, d’autant plus que ni prix, ni conditions d’approvisionnement n’ont changé,
- le propane a subi une augmentation (+19,9%) exceptionnelle par rapport aux autres années sans doute à cause de remplacements de chaudières au gasoil pour basculer vers ce combustible dont les chaudières à condensation offrent comparativement de bien meilleures performances économiques avec des prix élevés, mais le propane, qui représente à peine 1.1% de la consommation énergétique du pays est sujet à de fréquents soubresauts.
- La consommation des carburants blancs a baissé (-1,8%), parmi lesquels :
- sans retrouver son niveau de 2019, la consommation d’essence d’aviation a fortement augmenté (+67,8%) à cause de la reprise du trafic aérien, jamais la consommation de ces combustibles terrestres n’a subi une telle baisse,
- le gasoil et le super ont baissé (-5,9%) à cause de la hausse de prix que nous suivons régulièrement[2], [3], [4], [5], et, à part en 2020 pour le confinement dû à COVID19 (-16,6%), jamais la consommation de ces combustibles terrestres n’a subi une telle baisse, même si l’appel de gasoil pour produire l’électricité a monté de 65,8%, celui pour le transport a baissé (-6,1%).
Avec la baisse de la consommation d’essence super (-4.6%), ces derniers chiffres sont indicatifs du fait qu’au Maroc, même avec une disparité régionale et sociale, le gaspillage d’énergie est, en moyenne, limité et que sa demande est plutôt parcimonieuse puisque, en dehors des pays pudiquement dits « les moins avancés », le Maroc est déjà un des pays dont la consommation d’énergie par habitant est des plus faibles au monde. De fait, l’augmentation de plus de 50% du prix moyen des combustibles à la pompe5 entre 2021 et 2022 ne s’est traduite que par une baisse de 6% des volumes. Même en Europe, le doublement de prix de l’énergie en 2022 n’a impacté que de 5 à 10% sa baisse de consommation en volume. Notre MTEDD devrait pouvoir en tirer des leçons. En effet, on y rêvait de baisser les ventes d’électricité de 5% durant le dernier bimestre de 2022, sans aucune augmentation des prix[6] mais avec une promesse non chiffrée de « bonus » méconnu du grand public. Si, à prix et conditions d’approvisionnement identiques, l’évolution de la demande en butane ne change pas, pourquoi voudrions-nous qu’il en aille différemment pour l’électricité ? Hélas, des solutions qui baissent significativement la demande d’énergie d’un claquement de doigt n’existent pas.
Le gaz naturel
La consommation du gaz naturel a très fortement baissé (-66.4%) :
- celui qui est destiné aux autres usages pour la production d’électricité a augmenté de 6.9%,
- alors que celui qui est destiné aux deux centrales électriques a très fortement baissé (-76.6%).
Pour la production d’électricité, c’est la croissance de consommation de charbon (+0.6%) mais surtout celle du fuel (260,7%) qui ont compensé le déficit d’approvisionnement en gaz naturelErreur ! Signet non défini.. Mais, proches de la fin de premier semestre 2023, nous ne pouvions nous arrêter sur telle une note pessimiste alors le gaz naturel semble promis à un bel avenir au Maroc, ne fût-ce que pour, à terme, compléter puis substituer le charbon.
Figure 2 Evolution mensuelle la consommation de gaz naturel pour l’électricité et de sa production
La Figure 2 montre l’évolution de la production mensuelle d’électricité au gaz naturel (échelle de gauche) ainsi que de la consommation de combustible qu’elle a nécessité (échelle de droite) depuis début 2017. Sur la Figure, on voit très bien la « traversée du désert » qui a suivi la cessation d’approvisionnement algérien en novembre 2021 et la reprise progressive, depuis juin 2022, par l’alimentation de gaz naturel liquéfié gazéifié en Espagne qui s’en est suivi et il n’est pas impossible que l’année 2023 se termine avec un cumul de production d’électricité des deux centrales à cycle combiné voisin de 4’300 GWh, à peine moins que celle de 2019 (4’662 GWh).
Conclusion
En 2022, les différences entre les variations relatives des consommations des différents produits énergétiques du Maroc sont tellement énormes que l’on aurait tendance à croire à un grand chamboulement de la demande énergétique alors qu’en fait, chacun des postes qui a changé de façon « anormale » trouve son explication conjoncturelle dans la combinaison de la flambée des cours des produits énergétiques, de la sortie de la période COVID19 et de la réorganisation de l’approvisionnement en gaz naturel.
En conséquence, tout au plus pourra-t-on qualifier de 2022 d’année de « transition dans la transition », avec la préparation du système d’approvisionnement en gaz naturel à être l’alimentation par l’extraction locale : pour les centrales électriques via gazoduc[7] ou pour les autres usages industriels via le gaz naturel liquéfié.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] A. Bennouna, « Energie au Maroc, quoi de neuf en 2022 ?« , EcoActu, 21 Avril 2023, https://ecoactu.ma/energie-au-maroc-quoi-de-neuf-en-2022
[2] A. Bennouna, « Sommes-nous à l’aube d’un palier des prix du gasoil au Maroc pendant le troisième trimestre 2022 ?« , EcoActu, 25 Juillet 2022, https://www.ecoactu.ma/sommes-nous-a-laube-dun-palier-des-prix-du-gasoil-au-maroc-pendant-le-troisieme-trimestre-2022/
[3] A. Bennouna, « Maroc – Les prix du gasoil à la pompe ne devraient-ils pas être nettement plus bas depuis Octobre 2022 ?« , EcoActu, 28 Novembre 2022, https://www.ecoactu.ma/maroc-prix-gasoil-pompe/
[4] A. Bennouna, « Maroc – Les estimations indiquent que le prix du gasoil ne devrait pas augmenter en mars 2023« , EcoActu, 6 Mars 2023, https://www.ecoactu.ma/prix-gasoil-ne-devrait-pas-augmenter/
[5] A. Bennouna, « Maroc – Les estimations indiquent que le prix du gasoil ne devrait pas augmenter en mai et juin 2023« , EcoActu, 22 Mai 2023, https://ecoactu.ma/estimations-prix-du-gasoil-ne-devrait-pas-augmenter/
[6] A. Bennouna, « Aucune baisse des ventes d’électricité en Novembre et Décembre 2022 malgré le ‘bonus’ promis« , EcoActu, 13 Avril 2023, https://ecoactu.ma/aucune-baisse-ventes-electricite/
[7] A. Bennouna, « Le Maroc à l’aube de l’autosuffisance pour approvisionner ses centrales électriques au gaz naturel« , EcoActu, 28 Février 2023, https://www.ecoactu.ma/gaz-naturel-autosuffisance-centrales-electriques/