Ecrit par Soubha Es-Siari |
Il est vrai qu’entre la sécheresse qui sévit et les contraintes liées à l’international (flambée des prix, crise ukrainienne…), les conditions sont peu propices à un sentiment serein. Les hypothèses contenues dans la LF 2022 sont-elles toujours d’actualité ? Analyse.
La croissance avec son corollaire la création de l’emploi pointe progressivement le bout de son nez dans les interrogations qui animent les investisseurs, les analystes et bien entendu le citoyen lambda. Il est vrai que ceux-ci ont de quoi s’inquiéter soit des effets pervers que peuvent induire tous ces vents contraires qui soufflent actuellement.
La crise sanitaire conjuguée à la sècheresse peut balayer d’un revers de main les hypothèses qui sous-tendent l’élaboration de la Loi de Finances 2022.
Si au moment de la présentation de ladite LF on s’inquiétait de sa non-conformité au nouveau modèle de développement tel qu’il est présenté par la CSMD, force est de noter qu’actuellement même les hypothèses retenues risquent d’être battues en brèche.
De prime abord, il est à rappeler que la LF 2022 table sur un taux de croissance de 3,2% et un déficit budgétaire de 5,9% du PIB avec comme hypothèses une récolte céréalière de 80 MQX, un taux d’inflation de 1,2%, un cours du gaz butane de 450 $/T, une demande étrangère de 6,7% et un taux de change $/DH de 9,26.
La situation qui prévaut actuellement marquée par la persistance de la pandémie et la sécheresse n’augure rien de bon et incite à revoir les hypothèses susmentionnées. C’est d’ailleurs l’objet de toute Loi de Finances Rectificative.
Malheureusement et contrairement à d’autres pays, les pouvoirs publics au Maroc ne recourent pas systématiquement à la Loi de Finances rectificative pour réinitialiser les comptes et promettre à la population des objectifs réalistes et réalisables. Et même après coup, la loi de règlement n’intervient que deux après l’exercice en question ce qui la vide de toute sa substance.
Bref revenons-en à la Loi de Finances rectificative. La dernière LF rectificative revient à 2020 après celles de 1990 et 1984. Des intervalles de temps qui en disent long sur le recours à un tel levier en cas de soupçon de crise aigue. Celle de 2020 est intervenue en pleine crise sanitaire où l’économie marocaine sous le poids des restrictions et fermetures a vu tous ses indicateurs socio-économiques fondre comme neige au soleil, sous la pression aussi bien des médias que des députés. A ce moment-là, les pouvoirs publics sous d’autres cieux ont recouru à 2 ou 3 Lois de Finances rectificatives tellement la situation est instable pour ne pas dire très volatile.
Et pourtant, si auparavant chez nous les pouvoirs publics ne pouvaient pas amender une Loi de Finances rectificatives au cours de l’année à cause du temps que cela prend, il est important de souligner que dans son article 51, la loi organique des finances (LOF) dispose que le projet de Loi de Finances rectificative est voté par le Parlement dans un délai n’excédant pas 15 jours après son dépôt par le gouvernement au bureau de la Chambre des représentants.
Les hypothèses sous pression
En scrutant les hypothèses retenues dans la LF 2022, le premier à tarauder l’esprit est celui de la campagne agricole. L’équipe de Akhannouch table en 2022 sur une récolte céréalière de 80 Mqx se basant sur la moyenne des 5 dernières années. Or, nous sommes tous aujourd’hui conscients que le Maroc fait face à la pire sécheresse qu’il ait jamais connue et que dans les conditions actuelles, 80 MQX demeurent un vœu pieux.
En l’absence d’une autosuffisance alimentaire, les importations vont grimper aussi bien en valeur qu’en volume entraînant dans leur sillage une aggravation du déficit commercial. Les 10 milliards de DH consacrés à pallier l’impact de la sécheresse seraient-ils suffisants ? Rien n’est sûr et tout dépend de la manière avec laquelle nos politiques s’y prendraient pour optimiser, rationnaliser la dépense et éviter les déperditions.
Encore faut-il ne pas perdre de l’esprit que cette sécheresse précipite le spectre du stress hydrique dans des villes touristiques consommatrices de beaucoup d’eau. Comment dès-lors relancer le tourisme, après plusieurs mois d’atonie, dans des zones touristiques acculées du jour au lendemain à réduire le débit.
Autre hypothèse sur laquelle il faut s’attarder, celle du gaz butane. Au moment où l’on table sur 450$/T, au niveau international, le prix du gaz butane est actuellement de 854 dollars la tonne. Alors qu’il était à 509 dollars la tonne en 2021 soit une hausse de plus de 40% et ce en raison ses tensions géopolitiques et des contraintes liées à la pandémie. Une hausse qui n’est pas exempte d’impact sur les charges de compensation au niveau national et du coup sur le déficit budgétaire.
Comme ordre de grandeur : au Maroc, le prix réel d’une bouteille de gaz de 12 kg est de 130 dirhams, ce qui signifie que l’État subventionne chaque bouteille de 90 dirhams pour que le citoyen puisse l’acquérir à 40 DH seulement. La charge globale de cette subvention est ainsi passée de 9 Mds de DH en 2020 à près de 14 Mds de DH en 2021, soit une augmentation de 60%. Une charge appelée à progresser également en 2022.
A son tour la flambée des prix à l’international inquiète quant au taux d’inflation fixé à 1,2% arrêté dans la LF 2022. On assiste aujourd’hui à une hausse des prix spectaculaire de certaines denrées alimentaires qui n’est en fait que la résultante de la reprise économique dans le monde et de l’augmentation continue des prix des céréales et des produits pétroliers sur le marché international. Bien que le gouverneur de la banque centrale rassure sur la maîtrise du taux de l’inflation, une hausse n’est pas à écarter dans un contexte marqué outre la pandémie par des tensions géopolitiques.
L’optimisme de l’équipe au pouvoir se reflète également sur la demande étrangère adressée au Maroc fixée à 6,7%. Ce taux est-il toujours d’actualité si l’on part du fait que le FMI a procédé ultérieurement à une révision à la baisse des perspectives de croissance mondiale. Depuis octobre, le FMI a déjà laissé entendre que la croissance pourrait être moins soutenue que prévu.
La croissance mondiale devrait, selon le FMI, passer de 5,9 % en 2021 à 4,4 % en 2022, soit un demi-point de pourcentage de moins pour 2022 comparativement à ce qui avait été prévu dans l’édition d’octobre des Perspectives de l’économie mondiale (PEM). Cette révision à la baisse ne serait pas sans incidence sur la demande étrangère adressée au Maroc soit les 6,7%.
En un mot comme en cent, nous voilà confrontés à un contexte global très incertain qui légitimise largement la révision des hypothèses sous-tendant la LF 2022 par le biais d’une Loi de Finances rectificative.
On peut accuser les pouvoirs publics de bien des maux dans la gestion de leur politique mais c’est peut-être oublier que depuis deux ans la conjoncture est loin d’être une sinécure. Pour mieux la surmonter, ils sont exhortés à prendre le temps qu’il faut d’analyser sérieusement la conjoncture pour remettre les pendules à l’heure. Sinon c’est comme avancer à reculons.