Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet de son propre regard sur le régime de change applicable aux importations de biens. En réponse, il a indiqué que ce régime est surdimensionné par rapport à son objet.
Ce surdimensionnement suggère l’existence de « dispositions de trop » devant par conséquent être identifiées, et ce, dans la perspective de formulations de propositions concrètes de réforme dudit régime.
Cette perspective nous a amené à demander à O.Bakkou de nous dresser la liste des dispositions qui lui paraissent « non nécessaires ».
En réponse O.Bakkou a indiqué que l’identification de ces dispositions requiert l’établissement d’ une description globale de la règlementation des changes régissant les importations de biens.
Cette description fera l’objet du présent entretien.
Pourriez-vous nous faire une description globale des dispositions de la règlementation des changes régissant les importations de biens ?
Les dispositions de la règlementation des changes régissant les importations de biens comprennent deux principaux volets.
Le premier volet porte sur la définition des opérations d’importation de biens.
Quant au second volet, il porte sur la fixation des conditions de réalisation des opérations d’importation de biens, lesquelles conditions comprennent : celles communes à toutes les opérations extérieures et celles spécifiques aux opérations d’importation.
Vous dites ci-dessus que la première composante de la règlementation des changes régissant les importations de biens porte sur la définition de ces opérations. Pourriez-vous nous expliquer cela davantage ?
Effectivement, l’objet de l’Instruction Générale des Opérations de Change-24(l’IGOC-24) est de dresser la liste des transactions extérieures librement réalisables, lesquelles transactions comprennent les importations de biens.
Cette liste devra être établie à travers la définition de chacune de ces transactions, notamment celles relatives aux importations de biens.
Ces importations sont en effet définies par l’article 36 de l’IGOC-24 comme étant « toute entrée de marchandises sur le territoire assujetti en provenance de l’étranger ou d’une zone d’accélération industrielle ou de tout autre espace assimilé étranger au regard de la règlementation du commerce extérieur et des changes en vigueur ».
Qu’est-ce qu’on entend par territoire assujetti ?
Le territoire assujetti est défini par l’article premier du code des douanes et impôts indirects comme « la partie terrestre du territoire douanier, ainsi que toute installation située dans les eaux territoriales et définie par décret, à l’exclusion des zones d’accélération industrielle ».
Territoire douanier ?
Le « territoire douanier » est défini par l’article premier précité comme suit : « le territoire douanier est le territoire national y compris les eaux territoriales ».
Et que signifie le terme « étranger » au sens de la règlementation des changes ?
L’étranger est défini par l’article 2 de l’IGOC-24 comme un territoire non assujetti à la règlementation des changes.
Quid de la zone d’accélération industrielle ?
La zone d’accélération industrielle est un espace clairement défini par la loi n°19-94 relative aux zones d’accélération industrielle, telle que modifiée.
Cette loi définit en effet dans son article premier ces zones comme des « espaces déterminés du territoire douanier où les activités industrielles et de services qui y sont liées sont sous traités, selon les conditions et limites posées dans cette loi, à la réglementation douanière et à celles relatives au contrôle du commerce extérieur et des changes ».
La définition des importations de biens présentée ci-dessus parle également d’espace assimilé étranger au regard de la règlementation du commerce extérieur et des changes, pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
A mon avis, il s’agit d’une expression utilisée pour garder une certaine flexibilité.
En effet, dans le cas où une nouvelle disposition est éditée dans ce sens, on n’aura pas besoin de publier une nouvelle disposition.
Vous dites ci-dessus que l’étranger est défini par l’article 2 de l’IGOC-24 comme un territoire non assujetti à la règlementation des changes, puis vous citez la définition des zones d’accélération industrielle que vous avez tirée de l’article 1 de la loi régissant ces zones, cette définition laisse entendre que ces zones ne sont pas assujetties à la règlementation des changes, est ce qu’il n’y pas un pléonasme là-dessus ?
Non, les zones d’accélération industrielle demeurent assujetties à la règlementation des changes, et ce, en dépit du cadre totalement libéral dont bénéficient ces zones sur le plan de la règlementation des changes.
En effet, les articles 36 et 38 de la loi n°19-94 relative aux zones d’accélération industrielle stipulent que toute infraction aux dispositions de cette loi peuvent être relevées, entre autres, par les agents de l’Office des Changes.
Cadre totalement libéral sur le plan de la règlementation des changes et assujettissement de ces zones aux dispositions de cette règlementation , est-ce qu’il n’ y a pas une contradiction là-dessus ?
Oui et non.
Comment ça ?
Oui dans le sens où l’analyse profonde du cadre réglementaire régissant les opérations de change dans les zones d’accélération industrielle montre que ce cadre est totalement libéral, et non dans le sens où la lecture « superficielle » de ce cadre réglementaire montre que ledit cadre n’est pas entièrement libéral.
Pourriez-vous nous présenter cette analyse profonde du cadre réglementaire régissant les opérations de change dans les zones d’accélération industrielle ?
En effet , l’analyse du cadre réglementaire régissant les opérations de change dans les zones d’accélération industrielle suggère que ces zones ne sont pas assujetties à la règlementation des changes.
Cette affirmation se fonde sur le fait que les opérations de change de ces zones sont totalement libres.
Cette liberté ressort de plusieurs articles règlementaires.
En effet, l’article 2 de l’IGOC-24 dispose que les entités installées dans les zones d’accélération industrielle sont des entités non-résidentes.
Ce statut accordé à ces entités par l’article précité implique que lesdites entités bénéficient de l’entière liberté en matière de réalisation de leurs opérations de change avec les entités non-résidentes.
Cette liberté est confirmée par l’article 17 de la loi n°19-94 précitée qui dispose que les opérations commerciales, industrielles et de services réalisés avec l’étranger par des entreprises installées dans les zones d’accélération industrielle bénéficient d’une liberté totale de change quels que soient la nationalité et le lieu de résidence de l’opérateur.
Pourquoi les entités non-résidentes ont l’entière liberté pour la réalisation des opérations de change avec les entités non-résidentes ?
Car la règlementation des changes encadre les transactions et les paiements réalisés entre résidents et non-résidents.
Quant aux transactions et paiements effectués entre les non-résidents, ils ne rentrent pas dans le périmètre de la règlementation des changes.
Vous venez de présenter un argument qui montre que les zones d’accélération industrielle ne sont pas assujetties à la règlementation des changes, quels sont les autres arguments ?
Le deuxième argument réside dans le fait que l’article 157 de l’IGOC-24 autorise les banques à ouvrir en faveur des entités installées dans les zones d’accélération industrielle des comptes en devises mouvementables librement, et ce, comme s’il s’agissait de comptes ouverts à l’étranger.
Ces comptes peuvent , d’une part, être alimentés à partir des devises à la disposition des entités installées dans les zones d’accélération industrielles et, d’autre part, être utilisés pour toute dépense en devises au Maroc ou à l’étranger.
Cette disposition implique que les entités précitées disposent de l’entière liberté en matière de réalisation de leurs opérations de change.
Cette entière liberté confirme le statut de non-résident accordé auxdites entités.
S’agissant du troisième argument, il réside dans le fait que l’article 19 de loi n°19-94 relative aux zones d’accélération industrielle stipule que les règlements des opérations réalisées à l’intérieur des zones d’accélération industrielle sont effectués exclusivement en monnaies étrangères convertibles.
Cette disposition implique que ces zones constituent des territoires « dollarisés ». Autrement dit, des territoires dans lesquels une monnaie étrangère( ou des monnaies étrangères) a libre cours.
Ce régime dollarisé de jure mis en place dans ces zones a pour corollaire l’absence du contrôle des changes.
Quant au quatrième argument, il réside dans le fait que l’article 18 de la loi n°19-94 précitée dispose que les personnes morales marocaines et les personnes physiques de nationalité marocaine résidant au Maroc ne peuvent procéder à des opérations d’investissement à l’intérieur des zones d’accélération industrielle qu’en conformité avec la législation et la réglementation des changes en vigueur.
Cette restriction est confirmée par l’article 169 de l’IGOC-24 qui stipule que les investissements dans les zones d’accélération industrielle sont soumis à l’autorisation de l’Office des Changes.
Cette disposition implique que les zones d’accélération industrielle sont considérées de facto par la règlementation des changes en vigueur comme étant des territoires non-assujetties à cette règlementation.
Vous avez présenté ci-dessus un ensemble d’arguments qui montrent que les zones d’accélération industrielle ne sont pas assujetties à la règlementation des changes. Toutefois, vous avez indiqué ci-dessus qu’ils existent d’autres arguments qui montrent que ces zones sont plutôt assujetties à cette règlementation !
En fait ce ne sont pas à vrai dire des arguments, mais il y a un élément, discutable d’ailleurs, qui montre que ces zones demeurent assujetties à la règlementation des changes.
Cet élément ressort de l’article 209 de l’IGOC-24 qui autorise les entités installées dans les zones d’accélération industrielle (opérateurs et banques) à utiliser les dirhams en billets de banque dans leurs transactions avec les résidents dans la limite de certains seuils bien déterminés.
Vous dites ci-dessus que la règlementation de l’utilisation des dirhams en billets de banque dans les zones d’accélération industrielle demeure discutable ?
Oui en effet, l’article 209 précité autorise les entités installées dans les zones d’accélération industrielle à payer les résidents (salariés et prestataires de services) en dirhams billets de banque dans la limité de certains seuils.
Ces paiements constituent des opérations de change, du fait qu’il s’agit d’opérations de règlements effectués au Maroc entre résidents(salariés et prestataires de services) et non-résidents(sociétés installées dans les zones d’accélération industrielle) .
Cet état de fait a pour conséquence que ces opérations rentrent dans le périmètre de la règlementation des changes.
Toutefois, les dispositions de l’article précité se contredisent avec celles prévues par l’article 157 de l’IGOC-24 dans la mesure où ce dernier article autorise les sociétés installées dans les zones d’accélération industrielle à débiter leurs comptes en dirhams convertibles pour tout règlement en billets de banque au Maroc.
Cette disposition signifie que les sociétés installées dans les zones d’accélération industrielle peuvent effectuer sans limites leurs paiements en dirhams en billets de banque.
Ces éléments suggèrent que les sociétés précitées ne sont pas assujetties à la règlementation des changes.
Les éléments que vous venez de présenter sont très intéressants sur le plan intellectuel , mais quels seraient leurs incidences concrètes sur la définition des importations qui demeure l’objet de cet entretien ?
Ces éléments suggèrent une refonte de la rédaction de deux articles de l’IGOC-24, à savoir les articles 2 et 36
En effet, l’article 2 définit l’étranger comme un territoire non assujetti à la règlementation des changes.
Cet article doit être reformulé dans le sens suivant : « l’étranger désigne tout territoire non assujetti à la règlementation des changes, notamment les territoires autres que celui national, les zones d’accélération industrielle, ainsi que tout autre espace assimilé étranger au regard de la règlementation du commerce extérieur et des changes en vigueur ».
Quant à l’article 36 de l’IGOC-24, il est suggéré de le modifier dans le sens suivant : « les importations désignent toute entrée de marchandises sur le territoire assujetti en provenance de l’étranger tel que défini par l’article 2 de la présente instruction.
En outre, il serait souhaitable de supprimer l’article 209 de l’IGOC-24 dont la raison d’être se trouve compromise par les dispositions de l’article 157 de cette instruction.