Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet d’un aspect important concernant la règlementation des changes régissant les importations de biens. Cet aspect a trait aux conditions générales prévues par cette règlementation en matière de réalisation des importations de biens. Ces conditions, désignées ainsi en raison de leur applicabilité à toutes les transactions extérieures, s’articulent autour d’un principe fondamental : l’effectivité des transactions.
Ce principe constitue, selon O. Bakkou, un garde-fou édité par la règlementation des changes dans l’objectif de l’évitement de l’utilisation de cette règlementation par les opérateurs économiques comme canal pour la réalisation d’opérations non autorisées par ladite règlementation .
Cette finalité du principe de l’effectivité apparaît comme étant cohérente avec la logique du contrôle des changes, mais soulève toutefois quelques questionnements au sujet de sa consistance.
Ces questionnements concernent la disposition de l’article 5 de l’IGOC-24 relatif au principe de l’effectivité, stipulant que les paiements au titre des opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes doivent être rémunérés au prix du marché.
Cette disposition demeure ambiguë dans la mesure où il est très difficile de définir le prix du marché pour plusieurs produits, notamment ceux relatifs aux services.
Cette question fera l’objet du présent entretien.
Quel regard portez-vous sur cette disposition prévue par l’article 5 de l’IGOC-24 selon laquelle les opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes doivent être rémunérées au prix du marché ?
Il s’agit d’un sujet extrêmement important sur lequel je me suis déjà exprimé dans mon ouvrage sur la convertibilité du dirham.
Cette importance est inhérente au lien qu’entretient ce sujet avec un principe fondamental régissant le droit des affaires, à savoir celui de la sécurité juridique.
Cette sécurité juridique est indispensable pour l’établissement de la confiance entre les opérateurs économiques et l’Etat, laquelle confiance demeure incontournable pour la pérennité du fonctionnement de l’activité économique.
Ce lien entre la confiance et le fonctionnement de l’activité économique a été brillamment mis en évidence par le professeur d’économie au MIT, Blanchard .
Cet économiste a en effet noté ce qui suit : « il n’existe pas de décision économique qui ne dépende de la confiance entre les agents économiques et l’Etat. Enlevez la confiance et la machine économique s’arrête ».
Si j’ai bien compris, vous considérez que cette disposition met les opérateurs économiques dans une situation d’insécurité juridique !
Absolument, d’autant plus qu’elle fait double emploi avec les autres réglementations, notamment celles douanière et fiscale.
En effet, la règlementation douanière établit la valeur des biens importés à l’occasion de l’imputation douanière des opérations d’importation.
De même, le code général des impôts (article 213) donne à la Direction Générale des Impôts le pouvoir d’appréciation des diverses charges des entreprises , notamment celles relatives aux opérations avec l’étranger(importation de services , etc.).
Ce chevauchement entre la règlementation des changes et les autres réglementations risque de donner lieu à de multiples discordances en matière de régulation publique.
Ces discordances ont été d’ailleurs fortement décriées par le Rapport sur le Nouveau Modèle de Développement.
Disposition qui met les opérateurs économiques dans une situation d’insécurité juridique, quelle serait votre proposition pour remédier à cette situation ?
Comme je l’ai souligné ci-dessus les dispositifs réglementaires douaniers et fiscaux sont largement suffisants pour encadrer cette question de la surfacturation des prix des importations de biens et de services.
Cette suffisance rend inutile la disposition précitée relative au prix du marché .
S’agissant des informations relatives aux prix présumés surfacturés, elles peuvent être utilisées comme source d’information (et non pas comme élément de preuve) pour entamer des investigations concernant la constitution d’avoirs à l’étranger.
Ces investigations permettront éventuellement d’apporter des preuves concrètes, et partant, irréfutables des possibles infractions à la règlementation des changes.
Cet état de fait aura pour implication la reconfiguration du système de constatation des infractions éventuelles, système qui sera basé sur des constats concrets et non pas sur des présomptions naturellement contestables.
Votre proposition ne risque-t-elle pas de vider tout le dispositif de contrôle des changes de sa substance ?
Non, car les dispositions réglementaires douanières et fiscales existantes permettent déjà d’encadrer la question des prix des transactions extérieures comme je l’ai indiqué ci-dessus.
Cet encadrement est d’ailleurs déjà entériné par l’article 6 de l’IGOC-24 (intitulé : Respect des autres réglementations) qui « donne la main » aux règlementations précitées pour s’enquérir de cette mission d’appréciation des prix des transactions extérieures.