Au Tribunal de Tétouan, on m’a refusé cette semaine le dépôt de documents de constitution d’un Syndicat de Copropriétaires, parce que rédigés en français. Une circulaire ministérielle datée de juillet 2023, aurait été à l’appui du refus de la part du Greffier qui n’a pas manqué de noter qu’il est tenu d’accepter les mêmes documents rédigés en Tifinagh (écrit de la langue berbère, langue nationale), bien qu’il soit incapable de les lire. Comme l’acceptation des documents en Tifinagh, le refus des documents en français est un acte politique et s’explique historiquement. Ce simple évènement combiné à la lecture récente de notre grand argentier[1], a fait voyager mon esprit, mais pas là où les mauvais esprits pourraient le croire…
Au 2ème choc pétrolier de 1979, la combinaison de la hausse de la facture pétrolière avec la baisse des cours des phosphates ont mis le Maroc dans un grave manque de devises. Il semble que la France, aussitôt sollicitée par le gouvernement de l’époque, refusa l’aide demandée, bien qu’ayant promis une « dépendance dans l’interdépendance« , comme à toutes ses anciennes colonies. La sécheresse des premières années de la décennie 1980 fit déborder le vase en ajoutant la difficulté de payer même les imports de blé. Le Maroc dût alors s’adresser au Fonds Monétaire International qui imposa le Programme d’Ajustement Structurel avec les conséquences que l’on connaît dont même le gel de recrutement dans la fonction publique. Jusqu’en 1984, l’enseignement était complètement bilingue (arabe et français) bien que tout le mouvement national (partis et syndicats) en réclamait l’arabisation depuis l’indépendance. Le refus de la France à porter secours au Maroc, donnait une raison de plus au Gouvernement d’autoriser le Ministre de l’Education Nationale de l’époque, qui émargeait a l’Istiqlal, à arabiser tout l’enseignement primaire et secondaire, matières scientifiques comprises, dès la rentrée de 1984. Malgré cela, ce pays arabophone et berbérophone continua pendant 67 ans d’indépendance à dispenser l’enseignement supérieur des sciences en français tout en le gardant comme langue de travail dans toute l’administration.
La France, qui a elle-même contribué à dépecer le territoire marocain, campe depuis 1975 sur une position dite « neutre » à l’égard de l’intégrité nationale marocaine en laissant bien le soin à ses ONG plus ou moins officieuses de mener des campagnes à charge contre le Maroc. La réduction de l’attribution de visas aux hommes d’affaires et étudiants méritants marocains par une France en perte d’influence en Afrique, accélérée par le Président Macron, a rendu insupportable aux yeux des marocains qu’elle ne veuille toujours pas, à l’instar de nombreux autres grands pays, infléchir sa position à l’égard de l’intégrité territoriale marocaine. C’est même devenu inacceptable depuis que S.M. Le Roi a affirmé la centralité de la question du Sahara dans son discours du samedi 20 août 2022 en l’affirmant comme « le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international« . Entretemps, les entreprises marocaines avaient anticipé le mouvement en abandonnant la France au bénéfice de l’Espagne dans leur achats pendant que les entreprises françaises investissaient de plus en plus dans les secteurs industriels et touristiques du Maroc.
Retournons au refus de documents en français par le Tribunal. N’est-il pas le résultat d’une politique française hypocrite à l’égard du Maroc, prônant une amitié qu’elle ne pratique pas ? Il est sûr que ce refus n’aurait pas existé si les politiques français avaient d’abord répondu à la solidarité du Maroc pendant la 2ème guerre mondiale, puis traité le pays à la hauteur de la continuité de sa relation privilégiée avec la France.
Certains experts français, locaux ou hexagonaux, parient sur le fait que « la graine est semée« , que le Maroc ne fera pas machine arrière sur le français comme langue de travail et que les marocains francophones, comme moi, sont pas voués à un futur « dinosauresque ». Moi, je ne parierais pas là-dessus car le processus d’arabisation, berbèrisation et anglicisation du pays est bien enclenché. Ce n’est qu’une question de temps pour que le français sorte progressivement par là où il est entré, le plurilinguisme des élites le facilite, la résilience et la continuité du Régime le permettent : « chi va piano, va sano e va lontano » dit-on.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)