Cet article présente un bref survol d’un siècle d’histoire du Maroc telle qu’elle peut être vue à travers l’évolution du mix électrique et à travers l’évolution de la croissance de la demande d’électricité nette appelée par habitant.
Si la première partie se contente de rappeler les différents évènements historiques qui permettent d’expliquer l’évolution du mix électrique, la deuxième partie traite nommément la coïncidence des évènements historiques notoires avec les différentes singularités de la croissance de la demande d’électricité nette appelée par habitant.
Les chiffres antérieurs à 2023 sont extraits de sources officielles : directes[1], [2], [3], [4], [5] ou indirectes[6]. On ne traite que l’électricité du bilan national en ignorant toute autoconsommation par d’éventuels autoproducteurs. Les apports au réseau électrique par les sources de chaleur industrielle antérieurs à 1977 restent inconnus.
Évolution de la segmentation de l’électricité nette appelée
La Figure 1 montre l’évolution de la segmentation de l’électricité nette appelée (ENA) durant un siècle : l’ajout d’estimations après 2022 est fait pour l’esthétique. Pour éviter les chiffres négatifs des absorptions (auxiliaires et STEP), elles sont soustraites à la production thermique, sans incidence majeure. L’échelle est logarithmique (1 carreau = multiplication par 10). L’insert représente l’évolution de la structure de l’ENA.
Figure 1 Le mix électrique marocain, segmentation de l’électricité nette appelée
La structure montre bien qu’entre 1929 et 1973, le mix électrique était dominé par l’hydroélectricité, ce qui explique la persistance du mythe d’un Maroc « fort en hydroélectricité » alors que les besoins en électricité se sont pratiquement décuplés tous les 45 ans et que les taux de remplissage des barrages sont devenus très faibles. Ceci dit, les oscillations de la contribution hydroélectrique donne une idée de l’énorme fluctuation de pluviométrie que subit le pays. L’entrée en lice de l’éolien a eu lieu en 2000 et celle du solaire en 2015 mais ils ne sont pas encore quantitativement suffisants pour atteindre le taux de couverture des besoins assuré par l’hydroélectricité avant 1973. Notons que les oscillations de la production annuelle de l’ensemble éolien + solaire, classifié « intermittent » sont nettement plus faibles que celles de l’hydroélectricité, pourtant classifié « contrôlable » lorsqu’elle est utilisée dans les pays mieux irrigués que le nôtre.
Lancé en 1972, le charbon représenter plus de 88% la production thermique après 2019. Même si la centrale au charbon de Jorf Lasfar a permis de limiter les imports entre 1996 et 1998, ce sont bien les interconnexions avec les voisins (Algérie 1988 et Espagne 1997) qui ont permis d’apporter le complément indispensable à la continuité de l’approvisionnement électrique du pays durant la période 1991-2018, date de la mise en service de la centrale au charbon de Safi. En 2022, le charbon assure 72% de la production brute.
Plutôt qu’un long texte, il a été choisi de présenter un tableau de rappel chronologique des évènements ayant influencé le mix électrique national, bien que leur visibilité sur le graphique ne soit pas toujours évidente.
Évolution de la croissance de de l’électricité nette appelée par habitant
La Figure 2 montre l’évolution (en bleu, échelle de gauche) de la quantité d’électricité nette appelée annuellement par habitant et son comportement moyen obtenu par lissages polynomiaux locaux ainsi que l’évolution de la variation relative de ce lissage (en rouge, échelle de droite).
Figure 2 Quantité d’électricité nette appelée annuellement par habitant
Pour éviter le fort impact de la singularité créée par l’année de l’épidémie de COVID19, la valeur de 2020 de la Figure 2 a été remplacée par la moyenne des deux années qui l’encadrent (2019 et 2021).
Au début du 20ème, l’introduction de l’électricité a, bien sûr, créé des croissances faramineuses de la demande, même s’il est vrai qu’avant 1939, le réseau électrique ne desservait que les parties « européennes » de quelques grandes villes et les exploitations agricoles des colons proches des quelques grands barrages hydroélectriques (quatre au total en 1939 : Sidi Saïd Maachou, El Kansera, Kasba Zidania et Takerkoust).
La deuxième guerre mondiale verra une baisse substantielle de la croissance de la demande d’électricité par habitant entre 1939 et 1945. Même si les hostilités n’ont pas touché le Maroc, le ralentissement des investissements a causé un ralentissement de la croissance de la demande électrique.
L’après-guerre verra un retour de la croissance de la demande d’électricité par habitant entre 1945 et 1955 jusqu’à ce que, en protestation contre l’exil de Sa Majesté Mohammed V, les évènements de Casablanca de Juin 1955 aient une telle ampleur telle qu’ils ont poussé la France à dépêcher des renforts policiers et militaires et même à nommer un nouveau résident général. Les actes de résistance incluent des grèves et des sabotages à l’échelle de tout le pays qui vont causer une baisse brutale de la croissance de la demande d’électricité par habitant entre 1955 et l’année de l’indépendance (Novembre 1956).
La hausse post-indépendance de la croissance de la demande d’électricité par habitant a été fortement accompagnée par la création de l’Office National de l’Electricité (ONE) en 1963 puisque la croissance de la demande d’électricité par habitant s’est située autour de 5,3% de 1963 à 1983, date de la mise en place du Programme d’Ajustement Structurel (PAS). L’appétit pour l’électricité a été tel que même la crise pétrolière de 1973-74 n’a pas eu d’impact majeur sur la croissance de la demande d’électricité par habitant avant que le PAS ne vienne freiner les investissements publics en équipements et infrastructure de transport et distribution d’électricité et ralentir la croissance de la demande d’électricité par habitant autour de 3,8%.
Malgré une légère hausse de la croissance de la demande électrique par habitant dans la dernière moitié des années 1980, il a fallu attendre le lancement du Programme d’Electrification Rurale Global (PERG) pour assurer une remontée autour de 5% de la croissance de la demande d’électricité par habitant jusqu’en 2007.
A partir de 2007, la quasi-totalité du pays est électrifié et la croissance de la demande d’électricité par habitant amorce une demande vers des niveaux qui, à terme, refléteront plus la croissance de la consommation individuelle que celle du nombre de consommateurs. Dans les circonstances actuelles, il n’y encore rien qui empêche cette chute de la croissance de la demande d’électricité par habitant. Sur le moyen terme, seule la croissance démographique devrait encore soutenir la demande électrique totale du pays.
Conclusion
Bien qu’ayant déjà communiqué sur le sujet[7], nous reviendrons dans un autre article sur les causes de la stagnation de la demande électrique par habitant. Pour une reprise de sa croissance, il faudra certes que le PIB par habitant en Dirhams constants subisse une croissance suffisante mais surtout que l’inégalité de sa répartition soit réduite car, si la demande par habitant reste encore la plus faible d’Afrique du Nord, c’est à cause des franges de la population les plus pauvres, au pouvoir d’achat insuffisant pour atteindre un standing énergétique décent tandis que les plus riches vivent aux normes énergétiques des pays développés.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] Office National de l’Electricité et l’Eau Potable, « Rapports Annuels », Différentes années, http://www.one.ma/
[2] Office National de l’Electricité et l’Eau Potable, « Brochures de chiffres-clés », Différentes années, http://www.one.ma/
[3] Haut Commissariat au Plan, « Annuaire Statistique du Maroc« , Version électronique après 2013, https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[4] Royaume du Maroc, Ministère de l’Énergie, des Mines et de l’Environnement, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Énergie (OME), https://www.observatoirenergie.ma/data/, Portail fermé depuis 2021
[5] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[6] Saul Samir, « L’électrification du Maroc à l’époque du protectorat« , In: Outre-mers, tome 89, n°334-335, 1er semestre 2002. L’électrification outre-mer de la fin du XIXe siècle aux premières décolonisations. pp. 491-512, https://doi.org/10.3406/outre.2002.3952
[7] A. Bennouna, « Combined impact of slower economic growth and self-production on the moderation of electricity demand growth in Morocco« , International Conference on Electrical Systems & Automation, ICESA, 30 Mai 2023, Faculty of Sciences and Techniques of Al Hoceima, Abdelmalek Essaadi University, https://icesa.ma/wp-content/uploads/2023/05/final_prog.pdf