Poussés par la précarité des conditions de vie dans leurs localités d’origine, des milliers de ruraux migrent chaque année vers les périphéries urbaines favorisant l’urbanisation rapide et incontrôlée durant les dernières décennies, et entrainant des conséquences néfastes en termes de prolifération de l’habitat insalubre sous ses différentes formes, de création de ceintures de pauvreté urbaine, d’aggravation de la vulnérabilité sociale, du chômage des jeunes, de l’insécurité…etc.
Selon une étude récente de la banque mondiale, l’emploi agricole régresse jusqu’à présent à une cadence annuelle de l’ordre de 0,5%, et à l’avenir, les destructions d’emplois devraient se poursuivre, voire s’accélérer en milieu rural, nombre de jeunes ruraux, pourtant éduqués, étant enclins à quitter leurs terres et leurs familles pour chercher désespérément du travail dans les périphéries des villes. Cette érosion des emplois agricoles ne manquera pas de générer des effets négatifs sur l’atteinte des objectifs de la stratégie agricole et les efforts de lutte contre les inégalités économiques et sociales et spatiales.
Fragmentation excessive des petits producteurs et éleveurs qui constituent environ 90% de l’ensemble des agriculteurs du pays, déficit de gouvernance du foncier agricole, absence de structures d’accompagnement technique et financier, insuffisance de systèmes d’accès à l’information sur les marchés et les prix, difficultés d’accès aux intrants agricoles (terres, eau, marchés, etc), au financement bancaire et aux innovations technologiques, etc.
Autant de défis à relever qui nécessitent de réinventer les équilibres Rural/Urbain, notamment dans le cadre du Plan Maroc vert sensé pourtant transformer le secteur de l’agroalimentaire en source stable de croissance inclusive et de développement socio-économique généralisé du monde du rural, et favoriser ainsi l’émergence d’une classe moyenne agricole.
L’essor économique passe par la valorisation des atouts territoriaux
Cette situation milite en faveur d’une approche volontariste, inclusive et durable pour migrer vers de nouvelles formules d’aménagement spatial s’appuyant notamment sur la promotion de centres émergents et la préparation de structures d’accueil, à même d’atténuer la pression de l’exode rural sur les espaces urbains et périphériques, de réduire les taux de chômage et du sous-emploi des jeunes femmes et hommes ruraux et de favoriser leur implication dans les circuits économiques et sociaux du Royaume.
Outre la maîtrise des flux migratoires ruraux, ces centres ont également vocation à drainer une frange des populations périurbaines en leur donnant la possibilité de s’installer dans des conditions décentes de logement et d’accès aux services publics de base à des coûts budgétaires maîtrisés, et de tirer avantage des dividendes de l’effort du développement national.
Leur essor économique passe par l’amélioration de leur niveau d’équipement en infrastructures de base, la valorisation de leurs avantages concurrentiels et potentialités locales (disponibilité de terres agricoles, ressources hydriques, halieutiques, forestières et minières…) et la promotion d’activités génératrices de valeur et d’emplois durables, notamment dans les secteurs de la transformation et la commercialisation des produits agricoles, des produits du terroir et de services à plus forte valeur ajoutée, tant au niveau régional, national qu’international.
A cet effet, il conviendrait de favoriser toutes les initiatives qui sont de nature à faciliter l’accès aux facteurs de production à même de promouvoir un développement harmonieux et équilibré du monde du rural et d’assurer un partage juste et équitable des dividendes économiques de l’effort de développement du pays.
La SDL : outil fédérateur d’un écosystème de compétitivité territoriale
La formule d’un véhicule juridique spécialisé, type SDL sous le contrôle de la commune, offre une solution pérenne et équilibrée, loin des rigidités et lourdeurs administratives, pour une gestion plus efficace en s’inscrivant dans une logique de performance économique grâce à la souplesse du droit privé, la rapidité de la prise de décision, la gestion dynamique des compétences et des carrières, la capacité de réponse aux contraintes d’exploitation et d’appréciation de la vérité des coûts et des risques, etc.
Outre l’absence d’opérateurs privés métier spécialisés dans la gestion moderne des équipements commerciaux (souks, abattoirs, plateformes, conservation, transport…), cette option trouve son fondement dans la nécessité d’optimiser les performances économiques et opérationnelles de ce patrimoine productif grâce à la modernisation de la gestion, le développement et la diversification, de la gamme des activités et des produits et services, voire leur certification et labellisation.
Cette structure sera appelée à catalyser et accompagner les initiatives novatrices visant à réorganiser les jeunes agriculteurs autour de dynamiques d’interprofession et les inciter à s’inscrire dans une démarche d’intégration dans les chaines de valeurs les plus porteuses.
En effet, la SDL aura vocation à réunir les conditions propices pour la mise en réseau de tous les acteurs de la chaîne de valeur agricole via la fédération d’un écosystème de compétitivité, capable de relever les défis du développement, en prenant levier sur les atouts et potentialités du territoire. Favoriser l’attraction d’investissements productifs orientés vers des activités d’export à forte valeur ajoutée économique et sociale, ce véhicule se positionnerait à la fois en tant qu’accompagnateur et acteur de l’innovation autour des filières traditionnelles et émergentes les plus prometteuses des chaines de valeurs agricoles.
Réorganiser les petits agriculteurs en interprofession
Or, force est de relever que plusieurs contraintes rencontrées au niveau des différents maillons de la chaine de valeur agricole (producteurs, transformateurs, commerçants, agrobusiness, etc.) impactent négativement la performance de la chaîne dans son ensemble, en particulier, celles inhérentes à l’accès des petits producteurs et éleveurs individuels aux marchés et la consolidation de leur potentiel de production, leurs capacités de négociation et de leur position commerciale et compétitive.
Il s’agit notamment des productions locales qui ne sont pas suffisamment bien valorisées à cause notamment de la non transformation (vente à l’état brut), le manque de conditionnement, le déficit d’organisation en coopératives, l’absence de circuits organisés et d’espaces permanents dédiés à la mise en valeur des produits et leur écoulement auprès des acheteurs finaux.
Cela requiert la mise en place de dispositifs innovants d’accompagnement technique et financier et de suivi intensif des producteurs sur le terrain, leur permettant d’acquérir une meilleure connaissance des enjeux, des potentialités et des opportunités de collecte mutualisée de la production et du stockage afin de bénéficier de gains d’économie d’échelle. Il convient en particulier d’assurer la fourniture de tout appui requis en faveur d’entreprises et coopératives gérées par des femmes impliquées dans les activités de production et commerciales qui manquent souvent de connaissances techniques de base.
C’est dans ce cadre que l’appel du Souverain à l’émergence d’une classe agricole suggère de muer vers un modèle inclusif d’agrobusiness reposant sur des synergies collaboratives entre les différents acteurs (collectivités territoriales, petits producteurs et éleveurs, agro-industriels, distributeurs, etc.) intervenant dans les chaines de valeurs agricoles, qui doit se matérialiser par des rapports win-win dont l’objectif principal est de connecter perpétuellement ces acteurs aux marchés, tout en leur facilitant un meilleur accès aux intrants de production, à la mécanisation, aux technologies agricoles améliorées, à la labellisation des produits, aux services d’appui et de financement innovants, etc.
Par Mohammed BENAHMED
Expert international dans la chaine de financement du développement territorial durable, ingénieur civil de l’EMI, diplômé du cycle supérieur de gestion de l’ISCAE, auteur de plusieurs ouvrages et publications dans les domaines de la gouvernance et le financement des services publics, la régionalisation avancée, la déconcentration, l’urbanisation, le PPP, l’évaluation des politiques publiques, l’économie bleue, les chaines de valeurs agricoles…
1 comment
Très bon article; à bon entendeur…