Ecrit par Soubha Es-Siari I
Les difficultés auxquelles se heurtent les collectivités territoriales dans la généralisation d’une approche basée sur la performance, la transparence, la reddition des comptes… sont dues au fait que leur paysage est assez disparate. Les détails.
Le cri de la terre ce vendredi 8 septembre dans la région d’Al Haouz a mis en évidence l’échec de la cohérence et de la coordination des politiques économiques notamment sous l’angle rural. Il a par ailleurs mis en exergue la nécessité de la bonne gouvernance, de la transparence de la dépense publique et bien entendu la reddition des comptes. On irait même jusqu’à dire que ce séisme a balayé d’un revers de main tous les rapports de la Cour des comptes qui regorgent de recommandations. En vain.
La rencontre initiée récemment conjointement par le ministère de l’Economie et des Finances et de la Banque Mondiale relative à la bonne gouvernance et la transparence de la dépense publique a été une occasion pour les intervenants de mettre le doigt sur les écueils sur lesquels bute la bonne gouvernance dans les collectivités territoriales, un maillon important de la chaîne de développement économique. Les préfectures et provinces ayant pour mission la promotion du monde rural, les communes s’occupant des services essentiels et de proximité aux citoyens.
En quelques chiffres, les finances locales, si l’on se réfère aux données budgétaires de l’année 2022, représentent à peu près 45 Mds de DH dont 25 Mds de DH de dépenses de fonctionnement et 20 Mds de DH de dépenses d’investissement (soit respectivement 10% et 20% des dépenses de l’Etat). Depuis plusieurs années soit avec l’instauration de la Loi organique de la Loi de finances en 2015, des efforts ont été déployés pour calquer le champ financier des collectivités territoriales sur celui de l’Etat notamment en ce qui concerne la transparence, la sincérité des comptes, l’approche de performances…
« Toutefois l’application des règles de bonne gouvernance, de sincérité des comptes, de l’approche basée sur les résultats aux Collectivités territoriales, n’est pas aussi simple qu’elle paraisse », annonce un responsable au sein d’une commune à l’occasion de la présente rencontre.
Les difficultés auxquelles se heurte la généralisation de cette nouvelle approche sont dues au fait que le paysage est assez disparate. « Un peu moins de 90 communes sur les 1503 ont une population supérieure à 50.000 habitants. Il n’est toujours pas évident d’appliquer la même méthode à la même recette à tout le monde », tient-il à rappeler.
Pour faire face à ces difficultés, deux programmes sont ainsi prévus pour les communes.
Le premier projet concernant le programme d’appui à la performance communale. Il s’agit d’un programme qui contribue en l’octroi de dotations de performance à un échantillon de communes les plus représentatives et ce en mesurant leur performance en terme d’application des règles réglementaires à travers ce que l’on appelle les conditions minimales obligatoires ainsi qu’à leurs performances dans différents secteurs.
« Nous sommes à la 4e année de l’exercice et le programme commence à donner quelques résultats. Mais on s’est rendu compte que toutes les communes n’arrivent pas forcément à incorporer les approches de performance dans leur gestion », explique le responsable.
Le second programme consiste dans l’amélioration de la programmation budgétaire des régions. A ce titre, il est utile de rappeler que les régions ont pour principale mission le développement économique. Les programmes et les dépenses d’investissement doivent s’inscrire dans ce que les lois organiques ont défini comme étant le développement du programme intégré. Dès lors les régions sont confrontées à des défis de taille sachant que leur contribution dans ces programmes de développement intégré représentent 10% de l’enveloppe budgétaire globale qui leur est dédiée.
A ce titre, les collectivités territoriales sont appelées à assurer une très bonne programmation budgétaire des dépenses de leurs contributions dans ces projets tout en veillant à leur bonne exécution. Pour ce faire, le ministère a travaillé sur le déploiement d’une solution d’un système d’information relatif à la gestion des projets. Le développement de cette solution est attribué à la Trésorerie Générale du Royaume pour faire aboutir la connexion entre le système de suivi des projets où l’on surveille l’évolution physique des projets et le système des dépenses GID pour identifier les projets ayant enregistré une bonne avance physique mais pour lesquels les flux financiers sont en retard ainsi que les projets dont les contributions financières sont octroyées mais l’avancement physique affiche du retard.
Le déploiement de cette méthode va, selon le responsable, permettre aux acteurs à l’échelle régionale et locale de mieux piloter la mise en place de ces programmes de développement intégré.
Dans la foulée et pour une bonne gouvernance des dépenses publiques, le ministère travaille sur le déploiement et la mise en place de la comptabilité générale des Collectivités Territoriales à l’instar de ce qui a été appliqué à l’Etat. Il s’agit en fait de passer d’une logique de comptabilité budgétaire à une comptabilité d’exercice. Cela va permettre de mieux mobiliser le patrimoine et d’aller chercher des mécanismes de financement innovants, de mieux cerner leurs dépenses de fonctionnement, de les rationaliser…
Vivre aux crochets du budget de l’Etat
Autre problématique des Collectivités territoriales est leur forte dépendance au budget de l’Etat. Faute d’autonomie, elles continuent à vivre aux crochets de l’Etat. Les derniers chiffres publiés par la TGR au titre de août 2023 ne différent pas des statistiques des exercices précédents. Les recettes fiscales transférées par l’Etat représentent 48,8% des recettes globales des collectivités territoriales, soit à peu près la moitié.
A fin août 2023 et en comparaison avec l’exercice précédent, l’exécution des budgets des collectivités territoriales laisse apparaître une hausse des recettes ordinaires de 10%. Cette hausse provient essentiellement de l’augmentation de 28,5% des impôts directs (2.639 MDH) suite à la hausse de la part des régions le produits de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur e revenu (1.926 MDH), de 13,1% de la taxe professionnelle (352 MDH), de 5,6% de la taxe sur les services communaux (179 MDH), de 12,4% de la taxe sur les terrains non bâtis (156 MDH) et de 8,8% de la taxe d’habitation (26 MDH).
Elle provient par ailleurs de la baisse de 3,9% des impôts indirects (-555 DH) qui s’explique principalement par la diminution de 3,7% de la part des collectivités territoriales dans le produit de la TVA (-442 MDH) et de la part des collectivités territoriales dans le produits de la taxe sur les contrats d’assurance (-361 MDH) ;
Pour ce qui est des dépenses, on note une hausse de 1,9% en raison de la hausse de 6,3% des dépenses des autres biens et services et de la baisse de 1,4% des dépenses de personnel et de 3,5% des charges en intérêts de la dette. Les dépenses d’investissement ont grimpé de 29 % à 8,7 Mds de DH à fin août 2023.
Dans un contexte de raréfaction des ressources, de survenance des crises récurrentes… les collectivités territoriales sont appelées à être plus autonomes. Au-delà de la mobilisation des ressources financières, elles sont également amenées à être plus pointues sur les projets. Leur mission de développement économique ne tolère aucunement la dilapidation des ressources. Le séisme d’Al Haouz, à ceux qui veulent comprendre, est une révolte de la terre face au silence de cette population qui encaisse chaque jour des coups durs sans protester l’échec des politiques économiques.
Voir également : [Web TV] Développement territorial : l’autonomie fiscale est-elle encore la clé de voûte ?